Espagne : l’apartheid linguistique du nationalisme catalan

Le nationalisme catalan piétine la liberté linguistique. Ce nationalisme linguistique a des effets néfastes sur les classes populaires.

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Carles Puigdemont by Convergència i Unió (Creative Commons CC BY-ND 2.0)

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Espagne : l’apartheid linguistique du nationalisme catalan

Publié le 17 décembre 2021
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Depuis une semaine, un enfant de 5 ans et sa famille sont harcelés et menacés par le nationalisme catalan dans la ville de Canet de Mar. Leur tort ? Avoir demandé l’application d’une décision judiciaire du Tribunal Supérieur de Justice de Catalogne, qui consacre le droit des enfants catalans à recevoir 25 % de leur éducation en espagnol. Revenons sur ces évènements, témoins de l’apartheid linguistique qui sévit en Catalogne.

Eléments de contexte : qu’est-ce que l’immersion linguistique ?

La décentralisation politique est un des principes sur lesquels repose l’organisation de l’État espagnol. L’entrée en vigueur de la Constitution de 1978 a permis la naissance des Communautés Autonomes, qui bénéficièrent progressivement d’une importante autonomie politique grâce aux transferts de compétences de l’État : système de santé, éducation, collecte d’impôts, etc.

La norme suprême consacra également la co-officialité, aux côtés de l’espagnol, de trois langues régionales : le catalan, le basque et le galicien. Pourtant, ce qui aurait pu être la garantie de protection d’un patrimoine linguistique et culturel unique est devenu, notamment en Catalogne et au Pays Basque, un outil d’endoctrinement et de construction d’une identité nationale excluante.

À la fin des années 1970, le PSC (antenne du PSOE en Catalogne) et le PSUC (Parti Socialiste Unifié de Catalogne) furent les premiers à défendre un modèle sans diversité linguistique, en vertu duquel le catalan serait la seule langue enseignée au détriment de l’espagnol, considéré comme langue dominante n’ayant pas à être protégée. L’agenda caché des socialistes catalans était d’intégrer les ouvriers et employés issus de l’émigration intérieure à la naissante « nation » catalane. C’est donc dans la ceinture industrielle de Barcelone, dans laquelle résidait une majorité d’ouvriers hispanophones et gouvernaient des maires socialistes, que furent instaurés les premiers modèles d’éducation en catalan dans les années 1980.

En 1990, le gouvernement autonomique catalan dirigé par Jordi Pujol présenta son « Programme 2000  », une stratégie de construction de l’identité nationale catalane qui fit de la langue un de ses principaux instruments identitaires. En 1992, un décret de la Généralité de Catalogne généralisa et radicalisa le modèle d’immersion linguistique à l’école créé par les socialistes.

Dans les années 1990 commença le processus d’exclusion de l’espagnol du système éducatif public. Plusieurs associations, comme la Asociación para una Escuela Bilingüe (Association pour une École Bilingue), naquirent afin de défendre le droit fondamental des catalans -dont plus de 55 % utilisent l’espagnol comme langue quotidienne – à recevoir une partie de leur éducation dans la langue officielle de leur État.

En 2014, une décision du Tribunal Supérieur de Justice Catalan instaura l’existence d’un seuil minimal de 25 % de classes assurées en espagnol dans le système scolaire public. Nous sommes bien loin de la Convention Internationale des Droits de l’Enfance de l’ONU, qui consacre le droit des enfants à être scolarisés dans leur langue maternelle. Pourtant, un rapport publié par l’Asociación para una Escuela Bilingüe  a mis en évidence que cette décision de justice est délibérément ignorée par le corps éducatif catalan : moins de 8 % des collèges et lycées enseignent au moins une matière en espagnol, tandis que seules 7,8 % des écoles maternelles enseignent en espagnol une matière autre que celle de langue espagnole.

Un apartheid linguistique encouragé par les nationalistes catalans et toléré par la gauche

Après des années d’abandon de la part du gouvernement central de droite comme de gauche, c’est le courage et l’obstination de la famille d’un enfant de 5 ans pour exiger l’application de la décision judiciaire de mise en œuvre du seuil minimal de 25 % du temps d’enseignement en espagnol qui a mis le feu aux poudres.

C’est une spirale de haine, de violence et de xénophobie qui s’abat depuis quelques semaines sur cette famille. La horde a d’abord été lancée sur les réseaux sociaux, terrain sur lequel elle a vite été rejointe par l’intelligentsia de l’apartheid catalan. Ainsi, un ancien professeur de l’Université Autonome de Barcelone se déclarait « prêt à jeter des pierres sur la maison de cet enfant pour qu’ils quittent la Catalogne », tandis qu’un mosso d’esquadra (policier autonomique) appelait à ce que « cet enfant soit isolé en cours. Lors des cours en espagnol, les autres enfants devraient sortir de la salle de classe ».

Bien évidemment, la classe politique nationaliste participe à ce harcèlement et alimente cette ambiance nauséabonde : le Conseiller d’Éducation de la Généralité de Catalogne a ainsi promu et assisté aux manifestations (devant l’établissement scolaire de Canet de Mar aux heures de sortie des élèves…) contre la famille et l’enseignement de l’espagnol. Et pour couronner le tout, il n’a pas manqué un conseiller municipal de la CUP (parti de gauche radicale et nationaliste membre de la coalition de gouvernement en Catalogne) pour révéler dans un média nationaliste l’identité et la photo du père de l’enfant menacé, photographie partagée des milliers de fois sur les réseaux sociaux. La famille est depuis placée sous protection judiciaire.

De peur de vexer ses alliés d’ERC (Esquerra Republicana de Catalunya), dont il dépend pour approuver sa Loi de Finances au Congrès des Députés, le gouvernement central a timidement condamné la violence exercée par le nationalisme qui détruit la cohabitation en Catalogne. La famille menacée attend toujours le soutien direct d’un représentant du gouvernement.

Des constitutionnalistes condamnés à l’héroïsme ou au départ

Les parents menacés ont publié un communiqué, diffusé par l’Asociación para una Escuela Bilingüe, qu’il nous semble essentiel de traduire ici  :

Il est très dur de ressentir dans sa propre chair la haine, l’intimidation, les menaces et l’ostracisation. Nous avons souvent eu envie de pleurer. Nous vous remercions pour les gestes de soutien, mais nous voulons vous demander un peu plus. Ce que vous nous dites en privé, dites-le en public aussi. Personne n’a envie d’être un héros, et nous non plus… Nous voulons juste être des parents ! Mais, pour que notre société soit libre, il nous faut vaincre cette spirale du silence que nous avons alimentée. […] Toujours avec ce nœud à la gorge, nous en sommes arrivés à une conclusion : il faut arrêter de tout tolérer, nous devons être courageux pour dire ce que l’on pense, se lever pour le faire et réclamer démocratiquement que nos droits soient respectés. Il est temps de construire une école pour tous, véritablement inclusive.

Cette démonstration de courage de la part de parents devenus parias et héros malgré eux reste un fait isolé en Catalogne. Nombreux sont les hispanophones constitutionnalistes qui n’ont pas accepté de subir la xénophobie institutionnelle qui sévit dans la société catalane et ont quitté la Catalogne, comme 300 000 Basques fuirent le Pays Basque sous la menace d’assassinat par l’ETA. L’objectif à long terme des tyranneaux nationaux-socialistes est sans aucun doute de provoquer un exode massif qui modifierait la carte électorale à leur avantage.

L’ancien enseignant et journaliste libéral Federico Jiménez Losantos fut parmi les premiers dans les années 1980 à dénoncer le piège de l’immersion linguistique et du nationalisme identitaire catalan, ce qui lui valut d’être séquestré, blessé par balles et laissé pour mort accroché à un arbre par la dissoute organisation terroriste Tierra Liure, dont la plupart des membres sont depuis recyclés dans ERC, soutien de la majorité gouvernementale…  Son ouvrage Ce que fut Barcelone : la liberté et la culture que le nationalisme a détruites est un instructif rappel de ce qu’aurait pu être Barcelone et la Catalogne sans le nationalisme.

La pression sur les hispanophones est désormais permanente au point que même les résidents étrangers, hispanophones par élection, font le choix du départ. Le peintre irlandais Sean Scully qui résidait à Barcelone depuis 2000 a fui pour Aix-en-Provence, fatigué par l’ambiance oppressante alimentée par les nationalistes et des pressions incessantes subies par son fils de 12 ans à qui les enseignants demandaient de ne pas parler espagnol dans la cour de récréation…

Les classes populaires, sacrifiées sur l’autel de l’immersion linguistique

Une récente étude de l’économiste Ferran Brunet a mis en évidence l’échec scolaire généré par la politique d’immersion linguistique. Les résultats du tests PIRLS, qui mesure les progrès de l’alphabétisation dans l’OCDE, a tout d’abord mis en évidence qu’en Catalogne, les élèves ayant pour langue maternelle le catalan ont un taux d’échec de 17,5 %, contre 30 % d’échec pour les élèves ayant l’espagnol pour langue maternelle. Sachant que la majorité des élèves issus des familles aux revenus les plus précaires ont l’espagnol comme langue maternelle, ces statistiques confirment le caractère discriminatoire et résolument anti-social du modèle catalan d’immersion linguistique.

De plus, une maîtrise imparfaite de l’espagnol prive de nombreux enfants catalans d’une mobilité professionnelle dans près de 22 pays du monde et rend difficile leur communication avec près de 600 millions d’hispanophones. Mais rassurez-vous : c’est un sort auquel échappe sans doute l’intelligentsia nationaliste et socialiste dont les enfants fréquentent les meilleures écoles privées trilingues.

Et pendant ce temps en France un média comme Le Monde, grand pourfendeur des « atteintes aux principes fondamentaux de la démocratie », réserve ses meilleures pages à la propagande de Carlos Puigdemont et du député « progressiste » Sébastien Nadot.

 

Credit Photo : Carles Puigdemont by Convergència i Unió (Creative Commons CC BY-ND 2.0)

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  • Nationalisme exacerbé, xénophobie, apartheid … et je n’ai pas vu une seule fois la mention « extrême droite »? Bizarre…

  • Et alors ? tant de langues disparaissent chaque jour; merci au catalan d’avoir (encore) le pouvoir de se défendre !

    J’ai été puni à l’école pour parler Alsacien pendant la récré et j’ai attendu longtemps pour comprendre que je n’avais aucun tort, mais ça m’a permis de devenir l’anti-jacobin acharné et heureux de l’être aujourd’hui…

     » Rien n’humilie plus un peuple que la négligence que subit sa langue par une volonté étrangère. « 

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