Contrôle prolongé des investissements étrangers : Le Maire protectionniste

Prolonger jusqu’au 31 décembre 2022 le renforcement du contrôle des investissements étrangers pour protéger les entreprises françaises de secteurs stratégiques pourrait se révéler inutilement protectionniste.

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Bruno Le Maire EPP SUmmit 2014 by European People s Party (CC BY 2.0)

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Contrôle prolongé des investissements étrangers : Le Maire protectionniste

Publié le 8 décembre 2021
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Par Paul-Jacques Lehmann1.

Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire a annoncé fin novembre la prolongation  jusqu’au 31 décembre 2022 du renforcement du contrôle des investissements étrangers pour protéger des entreprises françaises de secteurs stratégiques.

Cette mesure avait déjà été modifiée en 2018, date à laquelle le seuil de détention déclenchant le contrôle de certaines opérations étrangères sur des sociétés cotées avait été abaissé de 33,3 % à 25 %. À la même époque, l’Allemagne avait pris une décision similaire, suivant en cela les recommandations de la Commission européenne de se protéger face à la menace d’acquisitions hostiles.

Au printemps 2020, au plus fort de la crise du covid, arguant du fait « qu’au lendemain de la crise, il y aura des entreprises qui pourront être fragilisées, d’où le risque de perdre un certain nombre de compétences, de technologies, de savoir-faire », le seuil fut abaissé à 10 % pour éviter que la fragilisation de certaines entreprises françaises ne les expose à des OPA hostiles. Cette mesure avait ensuite été prolongée jusqu’à la fin 2021.

Ce seuil de 10 %, je le prolonge d’une année supplémentaire […] « parce que ma responsabilité de ministre de l’Économie et des Finances c’est de protéger les technologies françaises, de protéger les entreprises les plus stratégiques », a expliqué le ministre.

Après avoir succinctement présenté les principales dispositions de cette obligation, nous montrerons qu’elle ne se justifie pas et qu’elle peut se révéler dangereuse.

Les principales dispositions du renforcement du contrôle des investissements étrangers

Ce renforcement consiste à imposer une demande d’autorisation préalable de l’investissement projeté par une entreprise si celui-ci lui fait franchir, directement ou indirectement, seul ou de concert, le seuil de détention de 10 % des droits de vote d’une entité de droit français (pas nécessairement installée en France) appartenant à un secteur sensible.

Les secteurs concernés relèvent désormais d’un grand nombre de domaines : la défense nationale, la sécurité publique, l’aérospatiale, la protection civile, les transports, la santé, les biotechnologies, les activités de recherche et développement en matière de cybersécurité, d’intelligence artificielle, de robotique, de fabrication additive, de semi-conducteurs, les hébergeurs de données sensibles, les communications électroniques, la sécurité alimentaire, la presse écrite et les services de presse en ligne d’information politique et générale, le stockage d’énergie et les technologies quantiques.

La demande d’autorisation est présentée soit par l’entreprise française soit par l’entreprise étrangère en accord avec l’entité française. La demande ne concerne pas les investisseurs européens et ne porte que sur les investissements réalisés au sein de sociétés cotées. Dès qu’un investisseur franchit le seuil des 10 %, il doit prévenir la direction générale du Trésor qui en informe le ministre de l’Économie et des Finances.

Celui-ci dispose de 10 jours pour indiquer si l’investissement répond ou non de la procédure d’autorisation, s’il est autorisé sans condition ou si un examen complémentaire est nécessaire.

Le ministre peut refuser, par décision motivée, l’autorisation d’investissement demandée « si la mise en œuvre des conditions ne suffit pas à assurer la préservation des intérêts nationaux, par exemple s’il considère que l’investisseur entretient des liens avec un gouvernement ou un organisme public étranger ou s’il a connaissance de présomption de certaines infractions pénales de la part de l’investisseur ».

Des mesures d’injonction peuvent être prises à l’encontre de ce dernier s’il a réalisé l’investissement sans autorisation ou en méconnaissance des conditions imposées.

Un mécanisme de contrôle qui pose question

Quelques statistiques montrent l’inutilité économique d’une telle contrainte. En 2018, les investissements directs français à l’étranger ont atteint 86,8 milliards d’euros, en hausse de 50,2 milliards par rapport à l’année précédente.

Quant au stock d’investissements directs français à l’étranger, il s’est élevé à 1317 milliards d’euros fin 2018, un doublement en dix ans. En contrepartie, les investissements directs étrangers en France se sont établis à 31,6 milliards d’euros en 2018, en augmentation de 5,2 milliards par rapport à 2017.

En 2020, malgré une baisse de 40 % des flux mondiaux d’investissement, la France a tiré son épingle du jeu en bénéficiant de 1215 projets d’investissements étrangers sur son territoire de la part de 60 pays, générant la création de près de 30 000 emplois, essentiellement dans les domaines de la santé et des énergies renouvelables.

Globalement, toujours en 2020, le flux d’investissements directs étrangers en France s’est élevé à 4,4 milliards d’euros, celui des investissements français à l’étranger à 40,3 milliards, soit un solde positif de 35,9 milliards d’euros.

Ces quelques éléments chiffrés montrent que notre pays est fortement gagnant dans ses investissements à et de l’étranger. D’ailleurs, on connait la volonté d’attractivité affichée par les pouvoirs publics pour attirer les investissements étrangers dans nos territoires et les diverses mesures prises à cet effet.

Alors, pourquoi cette crainte de mainmise d’investisseurs étrangers ? Une raison structurelle et une raison conjoncturelle complémentaires nous semblent pouvoir expliquer cette décision dangereuse.

D’une part, depuis quelques années, la tendance, particulièrement en France, mais aussi globalement en Europe est à la critique de la mondialisation économique et au retour à la préférence nationale par une demande de contrôle étatique plus prononcée. Il est indiscutable que ces dix dernières années se caractérisent par une accélération de la réglementation publique sous le couvert d’une reprise en main régalienne dans le domaine de la sécurité et la défense des intérêts nationaux, orchestrée par Bercy.

D’autre part, l’approche de l’élection présidentielle de 2022 est l’occasion pour un grand nombre de responsables politiques de différents partis de répondre à une soi-disant volonté des citoyens pour une protection étatique, passant par une relocalisation industrielle.

Or, ce repli sur soi en refusant des participations étrangères dans nos entreprises n’est que la forme moderne du protectionnisme qui a conduit nos pays à repousser les possibilités de progrès. En effet, longtemps, des barrières douanières, des droits de douane, des quotas… restreignaient les échanges entre nations.

Ces dispositions portaient atteinte à la liberté du travail et se transformaient souvent en isolement politique, tout en favorisant les hausses de prix, en empêchant la consommation de produits non fabriqués sur le sol national et en bridant la croissance puisque, en raison des mesures de rétorsion des autres pays, les entreprises nationales exportaient et donc produisaient moins : il est illusoire de vouloir imposer un protectionnisme à sens unique en empêchant les importations (dans le cas présent les investissements par des étrangers) tout en favorisant les exportations (les investissements à l’étranger).

Même si le taux de prise de participation de 10 % paraît faible et si seule une régulation sélective et décidée au niveau mondial peut être envisagée, il faut faire attention à ne pas agir en solitaire au risque de brider une croissance déjà menacée par des conditions défavorables.

  1. Paul-Jacques Lehmann est économiste, professeur des Universités. Il est l’auteur de Le capitalisme est-il encore d’actualité ? publié chez Ellipses en 2012.
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  • N’en déplaise à l’auteur de cet article, cette mesure à été créée contre les prédateurs étrangers. Tel GE sur Alstom.
    Quant à sa comparaison entre les investissements en France de 4,4 milliards qu’il rapproche aux investissements Français à l’étranger de 40,3 milliards elle est risible et inappropriée. L’investissement de 4,4 milliards concerne 1 pays (la France), celui de 40,3 milliards concerne tous les autre pays, soient 179 pays.
    L’auteur aurait mieux fait de nous expliquer la politique chinoise et américaine d’achat des entreprises étrangères et celle de la vente de leurs entreprises.
    Car ces 2 pays sont ceux qui interdisent le plus la vente de leurs entreprises mais qui n’hésitent pas à agir comme de purs prédateurs pour détruire leurs concurrents

    • Il est clair que le contrôle de notre industrie par un état étranger est encore pire que par l’état français.
      Quant à limiter la participation à 10, 20 ou 33%, je ne sais trop comment viser juste.

  • Les commentaires sont fermés.

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