Guadeloupe et Martinique : les limites de l’étatisme centralisateur

Les récentes émeutes en Martinique et en Guadeloupe ne sont hélas qu’une nouvelle expression d’un même malaise récurrent.

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Guadeloupe et Martinique : les limites de l’étatisme centralisateur

Publié le 27 novembre 2021
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Par Claude Robert.

Les récentes émeutes en Martinique et en Guadeloupe ne sont hélas qu’une nouvelle expression d’un même malaise récurrent. L’histoire récente de ces territoires d’Outremer, départements français depuis 1946, ressemble à une longue litanie de mouvements sociaux.

Mis à part le contexte pandémique qui ajoute une dimension sanitaire à la crise actuelle, il semble que les périodes agitées se ressemblent considérablement. Elles se ressemblent quant aux éléments déclencheurs. Elles se ressemblent également quant à l’aspect inapproprié des réponses apportées par les gouvernements successifs.

Une longue tradition de révolte populaire en Guadeloupe et en Martinique

Guadeloupe

– 1952 : les ouvriers des plantations de canne à sucre manifestent pour réclamer une augmentation de leurs revenus et l’allègement des tâches puis la revalorisation des prix à la tonne. Les débrayages s’amplifient. Les CRS interviennent face à la violence. Quatre ouvriers sont tués.

1967 : en mars, un acte raciste d’un responsable local du parti gaulliste (UNR) déclenche des grèves et des émeutes nécessitant l’intervention de la gendarmerie. Au mois de mai, les ouvriers du bâtiment décrètent une grève afin d’obtenir une revalorisation des salaires et une équité en matière de droits sociaux. Les négociations sont subitement interrompues par le patronat et une rumeur profondément raciste attribuée à ce dernier se propage, ce qui déclenche des violences, puis des tirs de riposte de la part des policiers. Plusieurs manifestants sont tués.

– 1971 : la visite du ministre de l’Intérieur déclenche des émeutes qui dégénèrent avec la police lors d’une manifestation de lycéens, provoquant la mort de l’un d’entre eux.

– 2009 : grève générale de six semaines, scènes de pillages de magasins, barrages, blocus, incendie de voitures, et un mort dans des conditions douteuses

Martinique

1959 : alors qu’il se termine par une réconciliation entre les protagonistes, un accident de la route provoque des émeutes pendant trois jours contre les forces de l’ordre qui interviennent violemment. Trois jeunes martiniquais sont tués.

– 1961 : les grèves dans le secteur sucrier se multiplient dans un climat de plus en plus explosif. Deux hommes sont arrêtés par la police pour violences à l’encontre d’une femme. Des émeutes éclatent suite à la surenchère du parti communiste local concernant les problèmes raciaux. La séquestration d’un patron amène la police à intervenir avec comme bilan trois morts et plus d’une dizaine de blessés. Les salaires sont augmentés mais le changement de statut demandé par Aimé Césaire reste sans suite.

– 1974 : une manifestation des ouvriers des plantations de banane dérape. On dénombre deux morts mais aucun changement de politique n’est annoncé par le gouvernement.

– 2009 : grève générale de 6 semaines avec des scènes de pillages de magasins, barrages, blocus, incendie de voitures (Les mouvements sociaux en Martinique dans les années 1960 et la réaction des pouvoirs publics L.Jalabert 17/12/10 Open Editions)

Des éléments déclencheurs qui perdurent

Derrière cette longue série de conflits apparaît clairement une multi-causalité particulièrement douloureuse. Aux revendications salariales, aux demandes d’améliorations des conditions de travail, aux négociations statutaires, aux réactions face au marasme économique s’ajoutent des protestations anticoloniales, raciales et indépendantistes particulièrement sensibles.

À la décharge des gouvernements successifs, ce mélange de griefs objectivables et de réactions héritées d’un passé encore brûlant constitue un chaudron particulièrement explosif et difficile à gérer. Quoi qu’il en soit, aucun de ces gouvernements n’a été en mesure d’apporter une solution à la mesure de la gravité du contexte, ni même d’anticiper sur les conflits à venir.

Des réponses inappropriées des gouvernements successifs

À la différence des évènements précédents, le gouvernement actuel n’a pas à ce jour répondu par la violence. Les temps ont sans doute changé pourrait-on penser, bien que la réaction face aux Gilets jaunes en métropole laisse supposer le contraire.

Or, mis à part les cent quarante blessés graves (quatorze qui ont perdu un œil) dont il a été le théâtre, le mouvement des Gilets jaunes nous fournit une excellente comparaison de ce que l’on peut attendre du gouvernement : un traitement de façon purement temporaire et superficiel consistant à acheter la paix à court terme afin d’éteindre l’incendie sans en traiter l’origine. À l’instar de nouvelles doses de méthadone, sans jamais s’attaquer aux causes de la dépendance étatique…

Si l’on observe la nature des décisions prises par les gouvernements successifs, on constate que derrière un usage de la force fréquemment abusif se cache un laxisme purement technocratique. Avec chaque fois comme résultat, une absence de réforme structurelle à la hauteur des enjeux.

Rien de plus édifiant que de reproduire ici la conclusion qu’un universitaire exprimait déjà à la fin des années soixante :

Les corps sociaux les plus radicaux obtiennent souvent gain de cause, n’hésitant pas à bloquer les pompes à essence ou les débouchés portuaires, multipliant les coupures d’électricité, paralysant les espaces jusqu’à l’élaboration d’un compromis. Les autorités publiques se sont accoutumées à de tels phénomènes et ont appris à les gérer par une stratégie douce, incarnée par une formule du caricaturiste du journal France-Antilles Jiho : « pas de vague »

[…]

Chaque fois qu’une grève prend de l’ampleur, l’État joue sur le volet de la concession de plus d’aides sociales, jouant un rôle de médiateur face aux bourgeoisies locales. Il recherche les équilibres, au coup par coup. Les mouvements sociaux en Martinique dans les années 1960 et la réaction des pouvoirs publicsLaurent Jalabert 17/12/10 Open Editions

Comment pourrait-il en être différemment aujourd’hui, tandis que malgré l’absence de conflits d’origine anticolonialiste, raciale ou indépendantiste en métropole, les gouvernements sont incapables d’enrayer le déclin économique et social du pays depuis la fin des Trente glorieuses ?

Comment pourrait-il en être autrement tant qu’un gouvernement courageux ne prendra pas le problème de face avec les solutions libérales et donc décentralisées qui s’imposent, les seules qui permettraient de relancer l’activité industrielle, de traiter le chômage, la pauvreté et de soulager le passif historique ?

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  • Les Antillais travaillent peu, ainsi les américains préfèrent-t-ils passer leurs vacances à Cuba où les services sont de meilleur qualité.
    Que garde-t-on ces territoires qui ne vivent que d’exonérations fiscales, de subventions, de congés bonifiés etc. sans visiblement aucune reconnaissance ?
    Donnons leur l’autonomie, ils comprendront combien la France les aidaient…

  • La gestion économique de la Martinique et de la Guadeloupe, doit avoir pour base une autarcie Maximum !!!
    Les cultues et l’économie vivriére au sens large doivent etre une priorité.
    Il faut arreter l’envoie dans ces territoires de colonnies de fonctionnaires payé double qui de fait multiplie par quatre le coùt de ceratins produits d’importation qui font envie par quatre, pour les autochtones. Ce serait un bon debut.

    • Par quatre une fois, Pas 16 ! ?

    • non…
      pourquoi diable rechercher l’autarcie maximum????

      tout est question de circonstance, les iles des Antilles ont en général des atouts touristiques..pourquoi diable ne pas décider d’en profiter???
      de peur qu’ un jour cela cesse??? ‘

      l’autarcie est séduisante quand on voit les relations avec les autres d’une façon pessimiste..

      à ce moment les politicien va arriver et décider ce qui essentiel .. en général, ça commence par l’ alimentation…il est facile de se donner l’illusion qu’etre indépendant sur le plan agricole, en regardant le produit final…produit dans les îles….avec du fioul…avec des machines…pas produites dans les îles..
      l’autarcie dans un monde moderne est actuellement quasi impossible.

      énergie, technologie de pointe, industrie.. la rationalisation du travail a pour conséquence que désormais sauf à vouloir se priver de beaucoup de choses on ne peut pas tout faire dans un territoire, surtout un petit.. vivre chichement mais vivre libre…

      l’autarcie a un « prix » en niveau de vie materiel.

      on a le droit de faire ce choix, individuellement il est difficile de l’imposer aux autres..

      • L’autarcie et le tourisme sont deux choses qui n’ont rien a voir, le tourisme est bien évidement un atout majeur de ces iles ! Les problèmes du tourisme aux Antilles, sont principalement de deux ordres (Vécu) : le victimisme esclavagiste qui répand dans la population une forme de rejet et ou de Haine du touriste blanc. Deuxième facteurs le manque total d’autarcie fait que les touristes consomment essentiellement des produits importés alors qu’une grande partie pourrait être produite sur place, (Choix culturel). D’où une activité économique quasi nulle !!!
        Cerise sur le gâteau, il y a des jalousies maladives et profondes entre ces iles. Depuis des siècles on n’a pas été capable de résoudre ces phénomènes.

    • « Les cultues et l’économie vivriére au sens large doivent etre une priorité. »
      Non pas vraiment? Ce n’est qu’une variante du « produire local ».

      Un pays s’en sort quand ce qu’il produit à une plus grande valeur commerciale (que ce soit des services, tourisme inclus ou des biens exportables de valeur, biens agricoles inclus). Il n’y a que comme cela qu’un pays s’enrichit et sort sa population de la pauvreté.
      Surement pas en se concentrant sur des productions vivrières.

  • La Théorie selon laquelle les problémes seraient les conséquences d’un victimisme de l’esclavage doit s’arreter !
    Les vrais causes sont l’incompétance de nos Enarques, qui pensent que des populations demandeuses, dans le besoin seront plus dociles, et une paresse institutionelle dans ces iles qui y répond en echo, trés logiquement

  • Pour supprimer ce sentiment anti colonialiste et anti blancs, donnons leur l’indépendance. Plus de sécurité sociale, plus de RSA, plus d’école, plus d’allocations de toutes sortes qui coûtent une fortune à l’État et donc à nos impôts.
    Et ils vivront indépendants et comme les haïtiens.

    • le colonialisme est toujours un crime..contre la souveraineté des peuples.. je ne suis pas certain que ce soit un sujet véritable aux antilles? les autochtones sont où?

      il s’agirait plutôt de question d’héritage de l’esclavage… un crime aussi..

      une fois pour toute…le racisme des individus…n’est pas un crime, on a le droit de le déplorer… mais il ne rend légitime aucune action « punitive »..

      les blancs les noirs, je m’en fous.. les blancs contre les noirs..je refuse de jouer à ce jeu..

      • Les autochtones (indiens caraïbes) sont tous morts. Il n’y a pas plus de population originelle dans ces iles qu’il ne reste de dodos.
        Mais si le problème coloniale n’est pas en soi un problème, il y reste un « ressenti » colonial, où certains se pensent « chez eux » et voient « les autres » comme des envahisseurs.
        Le problème est : si c’est une explication recevable à la violence là bas, il faudra admettre la même chose ici.
        Donc oui, redevenir « aveugle à la couleur » et traiter de nouveau les individus pour eux même et non sur la base d’appartenances de groupe. Mais c’est dur, voire impossible, pour les socialistes/étatistes.

  • Il est vrai que le pouvoir n’a jamais voulu s’attaquer au fond des problèmes qui gangrènent la société – aux Antilles comme ailleurs. Mais c’est en train de changer et la solution qu’il a inventée s’appelle… le « pass sanitaire ». L’enjeu est de faire accepter aux populations un bracelet numérique universel, dont elles auront besoin pour tous les actes de la vie. Une fois ce pas franchi, toute révolte deviendra de facto impossible – ceux qui oseraient sortir du droit chemin seraient immédiatement bannis.

  • Non mais franchement…

  • L’état n’est pas en cause, ces îles sont totalement à l’abandon, ce sont les locaux et les ex colons qui pourrissent ces iles

    • l’Etat est toujours en cause (même si ce n’est pas toujours la cause principale). Quant une entité prélève près de la moitié de la richesse produite et contrôle près de 60% des dépenses, et en plus veut se mêler d’à peu près tout, de l’état vaccinal à ce qu’on mange ou produit, elle est forcément en cause pour TOUT !

  • Le plus simple serait de leur donner une forme d’autonomie similaire aux lands allemands. Leur couper toute subvention nous aliénerait ces territoires (point qui peut se discuter…), mais qu’ils soient au maximum autogérés permettrait de les mettre face à leurs erreurs, et aussi de leur éviter les errements du pouvoir central.

  • Deux éternels boulets, à rendre indépendants d’urgence afin qu’ils se prennent enfin en main et soient enfin responsables de leur actes face à leur inertie.

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