Par Frédéric Mas.
Pendant près de 7 heures, à partir de lundi soir, Facebook, Instagram, Whatsapp et Messenger étaient en panne, occasionnant la migration d’une partie des utilisateurs vers d’autres réseaux d’habitude moins fréquentés.
Le monumental -et momentané- plantage du célèbre réseau ne fut pas seulement technologique et financier : il a été l’occasion de tester en direct notre grande dépendance politique vis-à-vis d’un média social peut-être plus fragile qu’il en a l’air.
Facebook down
Un « changement de configuration défectueux » touchant le DNS (Domain Name System) serait à l’origine du problème de Facebook. Quelques dizaines de millions d’utilisateurs des différents services du groupe de Mark Zuckerberg ont été dans le noir pendant des heures, jusqu’au rétablissement du service.
« Des personnes et des entreprises du monde entier nous font confiance chaque jour pour rester connectées. Nous sommes conscients de l’impact que des pannes comme celles-ci ont sur la vie des gens, et de notre responsabilité de les tenir informés des perturbations de nos services. » : l’équipe technique du géant du net est consciente de la boulette, comme en témoigne son communiqué de presse.
Facebook perd 5 % de sa valeur
Facebook perd 5% de sa valeur en bourse, soit près de 47 milliards de dollars au cours de la journée du 4 octobre. La méga-panne n’est pas seule incriminée dans cette déroute financière.
Une ancienne ingénieure du groupe Facebook a accusé publiquement son ancien employeur de « choisir le profit plutôt que la sûreté » et de négliger la lutte contre la haine, les fausses nouvelles et de minimiser les effets nocifs des réseaux sociaux sur les jeunes. Elle doit être interrogée par le Congrès ce mardi, mais pourrait apporter de l’eau au moulin du discours progressiste anticapitaliste du gouvernement américain.
Frances Haugen accuse #Facebook d’avoir « privilégié ses intérêts » au détriment de ceux des utilisateurs.
L’ancienne ingénieure chef de produit chez Facebook, s’est montrée pour la première fois à visage découvert, dimanche, lors d’un entretien diffusé par la chaîne CBS pic.twitter.com/Nmkvmtlyrn
— FRANCE 24 Français (@France24_fr) October 4, 2021
Pendant la panne, les utilisateurs se sont tournés vers d’autres réseaux sociaux, Twitter en particulier qui a vu débarquer des milliers de nouveaux utilisateurs, mais aussi Signal ou Telegram.
hello literally everyone
— Twitter (@Twitter) October 4, 2021
I’d say this is time to bring your other friends with you – but it might be hard to tell them.
— Telegram Messenger (@telegram) October 4, 2021
Face à la défaillance d’un acteur majeur de la tech, la concurrence est stimulée et l’offre qu’on croyait écrasée par les GAFAM est devenue plus attrayante pour beaucoup en l’espace de quelques heures. Si les GAFAM demeurent en situation de domination dans l’économie numérique, la compétition économique pour leur savonner la planche est aussi intense, et d’autres réseaux se pressent pour tenter de leur voler la place sur le podium.
Facebook sous pression politique
Mais il n’y a pas que la pression concurrentielle qui taille des croupières à Facebook. La pression politique est aussi intense pour que cet acteur majeur du débat public limite la liberté d’expression de ses utilisateurs au nom de la lutte contre « les fausses nouvelles » de « la haine en ligne » ou plus récemment de la « propagande antivax ».
Une partie de la classe politique aux États-Unis, mais aussi en Europe, ne se remet toujours pas d’une élection de Donald Trump qu’elle accuse d’avoir été portée par les réseaux sociaux. Depuis 2016, la pression s’est intensifiée pour que ces derniers censurent les contenus n’allant pas dans le sens du progressisme des élites occidentales incarné par Joe Biden et Kamala Harris.
Toutes les plateformes se sont attachées à réduire la liberté de parole sur leurs réseaux. Dernièrement, c’est Youtube qui supprimait les vidéos accusées d’être trop complaisantes avec les discours antivax et sceptiques à l’endroit de la crise sanitaire.
?COMMUNIQUÉ YOUTUBE – lutte contenus #antivax #infox #infodemia #FakeNewshttps://t.co/jog1BBfqTJ pic.twitter.com/7srWa4dXio
— Citizen4Science (@Citizen4Sci) September 29, 2021
Le Ron Paul Institute a été victime collatérale de cette reprise en main.
On Thursday, Ron Paul said YouTube had abruptly removed one of his pages without warning.@miltimore79 reports: https://t.co/EN0l8lyu5y
— FEE (@feeonline) October 4, 2021
Le témoignage -à plus d’un titre accablant- de Frances Haugen, l’ancienne employée de Facebook qui s’occupait de combattre la désinformation sur le réseau social, pourrait aiguiser l’appétit du régulateur. Pour pallier « l’incapacité » de Facebook à censurer ses propres contenus, l’État américain pourrait jouer la carte « antitrust » et chercher à briser la position dominante de l’entreprise de Zuckerberg.
C’est ce que souhaitait faire Donald Trump qui estimait les GAFAM trop gauchistes et hostiles à son égard, c’est ce que suggère aujourd’hui l’administration Biden qui les juge trop complaisantes à l’endroit des discours racistes, complotistes et antivax. Dans les deux cas, c’est le politique qui pousse les GAFAM à la censure indirecte.
La mégapanne rappelle que la place des Big Tech dans nos vies leur a donné de facto un rôle politique majeur dans la fabrication du débat public, mais aussi dans nos pratiques sociales ordinaires.
Instagram est-il en train de pervertir la jeunesse ? Facebook nous transforme-t-il en cyberharceleur ? Ou au contraire, tous ces réseaux aujourd’hui ne mettent-ils pas à disposition une masse d’informations sans précédent et des moyens de contourner des médias subventionnés, vieillissants et déconnectés des attentes des utilisateurs ? C’est tout cela à la fois. L’économie numérique est un écosystème fragile que le régulateur a trop tendance à caricaturer pour étendre son empire.
LOL !
Quand le grain de sable qui bloque la mécanique devient le nouveau problème politique qui menace la plaaaanète.
Les organisations techniques qui gèrent les systèmes complexes souffrent des mêmes problèmes que n’importe qu’elle administration : l’organisation pyramidale oblige chacun à travailler selon des directives plus ou moins bien pensées, efficaces et « buggées » tout en travaillant dans le virtuel avec une faible compréhension du réel.
Quand le grain de sable enraye la mécanique, chacun tourne en rond pendant des heures en empêchant les autres de faire correctement leur boulot. Les procédures de mise à jour sont si lourdes et incomprises qu’il faut des heures pour propager les correctifs. Et au final on rédige un « post-mortem » qui conclue que c’est la faute à pas de chance mais qu’il faut créer une commission pour évaluer si 2+2=4 comme on l’a supposé de façon indue.
Et au niveau politique, on crée une commission pour évaluer la responsabilité des platistes.
On a l’impression que Frances Haugen s’est fait engager par Facebook en 2019, en demandant spécifiquement à s’occuper de combattre la désinformation, pour montrer que les changements dans la gestion des contenus, en 2018, étaient nuisibles.
Ce qui explique la démarche très structurée de sa collecte d’information et de la diffusion de ses dénonciations, « faites au péril de sa vie », comme elle le dramatise elle-même, dans une optique de « démocratie et de participation citoyenne ».
Et elle illustre parfaitement la formule « protégez-moi de mes amis et je m’occuperai de mes ennemis » en déclarant, dans son dernier mail interne chez Facebook : « Je ne hais pas Facebook. J’aime Facebook. Je veux le sauver »
Et on a encore rien vu ! Quand toutes les grandes organisations passeront toutes leurs applications dans le cloud, il suffira d’une panne réseau pour bloquer toute une entreprise et sans compter les problèmes potentiels d espionnage ou piratage.