Par Philippe Silberzahn.Â
Dix-huit mois après le début de la pandémie, le monde politique n’a toujours pas pris la mesure de l’incertitude dans laquelle nous vivons désormais et de ce qu’elle implique.
Le politologue Dominique Reynié le soulignait récemment :
Il n’est pas rassurant que dans ce climat d’incertitude et de grand chamboulement, on ait l’air d’aller à l’élection présidentielle comme si rien ne se passait […] nous allons déchanter.
La difficulté d’admettre que le monde a changé définitivement est fréquente dans l’histoire, et elle se termine toujours mal lorsqu’on se fait rattraper par la réalité. Il est grand temps que le monde politique développe une culture de l’incertitude pour comprendre une époque qui change.
Il faut se pincer pour le croire et j’ai failli faire un écart sur la route en entendant le politologue Pascal Perrineau l’annoncer à la radio : pour bâtir son programme, le parti politique Les Républicains a lancé une grande enquête – réalisée par l’institut de sondage Ifop – lundi 30 août auprès de 15 000 personnes. Son objectif est de mieux cerner les attentes de l’électorat de la droite et du centre à l’approche de l’élection présidentielle. Les sondés devront sélectionner 4 thèmes leur semblant prioritaires pour 2022, parmi 20 propositions (crise sanitaire, immigration, lutte contre le terrorisme, éducation…).
Le sondage, symbole du désarroi
Un sondage, pour déterminer leur politique. Sérieusement ? Mais alors si les politiques, dont beaucoup sont élus locaux, ne savent pas ce qui est important pour les Français, qu’ont-ils fait ces dernières années ?
Aucun travail de terrain apparemment. Normalement c’est leur rôle, dans leur travail au quotidien, d’être au contact du terrain pour le sentir. Qu’il faille organiser un sondage pour savoir ce qui importe aux Français est un formidable aveu d’échec d’une classe politique déconnectée et surtout paresseuse.
Par ailleurs, la démarche procède d’une grande naïveté. Tout le monde sait ce que donnera le sondage : davantage de sécurité, de médecins, de policiers et de pompiers, moins d’impôts bien sûr, davantage de pouvoir d’achat, moins d’immigration, une touche de transition écologique (à peine, nous sommes un parti de droite après tout) ; enfin bref, une somme d’exigences contradictoires, parce que ça ne coûte rien de demander le catalogue des lendemains qui chantent.
Aucune révolution n’est née d’un sondage, de même qu’en innovation, aucun grand produit n’est né d’une étude de marché ni d’une addition de besoins. Ni l’électricité, ni la Ford T, ni l’avion, ni le téléphone mobile, ni Internet, ni la sécurité sociale. François Mitterrand a aboli la peine de mort malgré les sondages. L’idée très cartésienne selon laquelle « on va leur demander quels problèmes sont importants puis ensuite on va élaborer une réponse » est d’une naïveté confondante.
En outre, la démarche ignore les leçons de l’histoire, et notamment la catastrophique contribution des sondages aux élections.
Rappelons qu’aucun d’entre eux n’avait prévu la victoire de Donald Trump en 2016, et qu’en France, à l’automne 2016 toujours, Emmanuel Macron ne figurait même pas parmi les candidats possibles dans les sondages. Hillary Clinton a perdu la primaire contre Barack Obama alors qu’elle avait fait des sondages et des enquêtes quantitatives segmentées son arme de prédilection. Jamais une équipe de campagne n’en avait autant su sur les groupes, segments, et sous-segments de la population américaine avec leurs thèmes prioritaires, le fameux micro-targeting. Elle a refait la même erreur face à Donald Trump en perdant une élection imperdable, développant une incompréhension encyclopédique de l’Amérique à base de big data et de sondages.
Comme l’observe joliment l’historien François Hartog, ce n’est pas en comptant les bulles que l’on comprend le mouvement de la mer. Sans compter que les dits sondages sont organisés par des membres de l’élite médiatico-intellectuelle très éloignée des réalités du pays, qu’elle méprise. L’aveuglement est ici construit de façon déterminée.
Développer une compréhension profonde à partir des modèles mentaux
La pensée politique française, si tant est qu’on puisse employer ce mot, est très en retard sur les évolutions sociétales profondes. On peut contraster cette inaptitude du monde politique à comprendre la nature de l’incertitude et ce qu’elle implique avec le monde de l’entreprise, qui est bien plus avancé dans sa prise de conscience.
Dans mon travail avec les dirigeants d’entreprise, j’observe en effet que ceux-ci ont au moins compris trois choses :
- Après la pandémie, nous ne reviendrons pas au monde d’avant.
- Le fameux monde d’après est un mirage.
- Nous sommes condamnés au monde d’aujourd’hui pétri d’incertitude, ce qui nécessite de repenser les fondamentaux de l’organisation.
Même s’ils sont loin d’avoir toutes les réponses, bien évidemment, ils ont au moins compris la nécessité d’engager ce processus de remise en question.
Ce n’est ainsi pas d’un comptage de bulles dont le monde politique a besoin, à base de sondages et de notes savantes produites par de futurs membres de cabinets, mais de comprendre la façon dont la mer évolue.
Et ce qui détermine cette évolution, nous le savons, ce sont les modèles mentaux, c’est-à -dire les croyances et valeurs que nous développons pour expliquer comment le monde fonctionne. Ce sont ces modèles qui nous permettent de donner un sens à ce que nous vivons. En période de rupture, comme actuellement, ces modèles sont remis en question. Certains deviennent obsolètes. De nouveaux émergent.
Face à l’incertitude, il faut donc une démarche de compréhension profonde, et celle-ci passe par un travail sur les modèles mentaux pour élaborer une nouvelle grille de lecture du monde. Celle-ci ne s’obtiendra pas par un sondage. Ce n’est d’ailleurs pas un travail purement intellectuel, établi en chambre. On ne peut se plonger dans les modèles mentaux qu’en étant immergé dans le réel.
Dans ce clair-obscur surgissent les monstres
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Ainsi écrivait Gramsci. En effet, les bouleversements du monde rendent les anciens modèles obsolètes et ceux qui émergent ne sont pas clairs. C’est ce qui explique l’incertitude. Dans ce vide ainsi créé, aucun modèle ne peut donner un sens à ce qu’on vit, et quand on ne peut pas donner un sens à ce qu’on vit, il ne reste que le désespoir ou la violence, ou l’appel à un sauveur qui viendra, avec des modèles mentaux tout prêts, combler le vide et soulager tout le monde. La situation actuelle est ainsi grosse d’immenses risques politiques et sociaux.
Le mouvement des Gilets jaunes constituait déjà un avertissement à la fois des bouleversements sociaux et politiques mais aussi de l’incapacité des modèles actuels à l’interpréter et lui donner un sens. Mais plutôt que de le prendre au sérieux et de creuser la question, et voyant qu’il ne pouvait pas le récupérer, le monde politique a préféré laisser pourrir le mouvement sans travailler sur les causes. L’avertissement a été ignoré.
Les mouvements de fond actuels autour des vaccins et du passe sanitaire constituent eux aussi des avertissements d’un décrochage de modèles mentaux, balayés par un monde politique pressé d’avancer sur la préparation de l’élection présidentielle, qu’on persiste à nous présenter comme le grand moment de la vie politique française, un peu comme le dîner à la table du commandant Smith devait être le grand moment de la vie du Titanic. Tout va très bien madame la marquise.
Il faut espérer qu’il se trouvera des politiques acceptant de faire une croix sur la présidentielle qui vient et qui engageront le travail intellectuel de fond qu’appelle notre époque.
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Article mis à jour le 9/09/21 à 10h15
en fait la question serait surtout les limites de la légitimité démocratique.. ce sur quoi un élu est légitime à agir..
un élu qui est compte tenu de l’abstention élu par « sondage » biaisé, prend des décisions au nom du peuple…
pour beaucoup de décisions , sonder les gens ne me choque pas..le champ d’action de la politique devrait se résumer à définir les règles necessaires pour par exemple utiliser des bien collectifs..
la vitesse limite dans la capitale par exemple..la crèche dans la mairie…le sapin de noel sur la place du village.. ça peut être en une forme de « démocratie directe »..
par contre pour définir ce qu’il est acceptable de dire..
Commentaire modéré
Ils ne sont pas bêtes, pas plus de 10%, ils n’ont simplement pas eu une bonne éducation.
Avides de pouvoir, non, ils ont le pouvoir, seulement avides de la reconnaissance, pas du peuple mais de leurs sphère  » d’amis ». L’éternelle lutte pour être le male alpha.
ce qui m’ennuie est l’idée qu’un politicien peut être compétent..à gouverner par exemple ce que je mange, ma santé…
non justement la competence de ‘homme politique n’est pas définie.. et son honnêteté ou sa droiture doivent être mises sous scrutation par des contrepouvoir et des règles de comportement contrepouvoir.. et une presse libre..
trump a été normalement salutaire à a démocratie …
Parfois je me demande si les français eux-mêmes savent ce qui est important pour eux !
attendez…connaissent et comprennent la constitution et pourquoi elle est là …limiter la démocratie..
c’est normalement notre seul interet commun…il est choisi…il a été pensé..il doit être enseigné..
la nécessite de la preuve pour accuser , ça ne va pas de soi..et ce n’est pas bon pour une foule de lyncheur.. eux…
Le probleme de tous les partis politique (pas que de LR) c est qu ils sont completement deconnecte de la société: leurs militants sont peu nombreux, une bonne parti sont la pour faire carriere (soit dans la politique, soit un emploi plus ou moins fictif dans une marie, une region …)
Si on ajoute a ca un fort biais (par ex le militant LR est souvent tres agé, celui de EELV habite dans une grande ville) ca donne des partis incapable de produire autre chose que des affrontements de personnes (dernier ex l eviction de Segolène de la liste pour le senat)
Y aura t il une prise de conscience de la classe politique ?
Ca va etre dur. Outre la mediocrite de celle ci, changer implique la fin d un systeme assez confortable où les ploucs restent a leur place (ceux qui paient) et sur lesquels ils peuvent regenr meme de facon catastrophique et sans consequence pour eux meme (Gaudin est toujours au senat et personne ne lui demandera des comptes sur ses 25 ans de rgeen a Marseille)
En photographie argentique en chambre noire, une fois que j’avais impressionné le papier sensible sous l’agrandisseur pendant le temps requis, rien ne changeait – en apparence. Puis, j’immergeais le papier dans le bain de révélateur et là , fasciné, je voyais apparaître l’image potentielle que contenait le papier. Le Covid est le révélateur qui fait apparaître à nos yeux l’incompétence des politiciens et leur déconnexion de la société. C’est comme un parapluie troué: on ne constate le défaut que quand il pleut…
Il fallait une certaine expérience et des tests pour apprécier la durée d’exposition, ainsi que pour analyser le résultat sous la lumière rouge.
Avec le Covid, on n’a fait de gros progrès dans le travail à l’aveugle : pas de tests, pas d’expérience, pas d’analyse des résultats et de l’eau bénite comme révélateur.
LR fait simplement un sondage pour pouvoir correctement orienter sa publicité. Bien évidemment, celle-ci n’engagera que les gens assez sots pour y croire.
Si la droite se demande quoi faire, qu’ elle médite les paroles de Pompidou, et qu’ elle s’ occupe à plein temps à ce que l’ état nous foute la paix. Voilà ce que révèle plus que jamais cette pandémie.
La politique française, du cinéma avec de mauvais réalisateurs et des comédiens médiocres, et le scénario du film,toujours le même, de plus en plus fin du monde..ils nous mènent à la catastrophe mais eux seuls ont un bouée ou un parachute.
Les sondages…. Ils se les paient, et les sondeurs adorent faire plaisir aux clients.