Banques centrales : du « quoi qu’il en coûte » au « foutu pour foutu »

La Fed et la BCE ont manifestement l’intention de jouer la montre afin de retarder au maximum une crise financière qui s’annonce comme l’une des plus grandioses que l’humanité n’ait jamais connu.

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Banques centrales : du « quoi qu’il en coûte » au « foutu pour foutu »

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 10 juin 2021
- A +

Par Franky Bee.

Il y a quatre mois, nous alertions sur une fièvre spéculative incontrôlée qui s’emparait des marchés financiers, avec des achats en meute massifs sur des actions comme GameStop ou AMC, ainsi que sur la discrète complicité des différents régulateurs, et notamment les banques centrales.

Force est de constater que rien, ou presque, n’a changé. Certains investisseurs ont été une nouvelle fois pris de bouffées délirantes, et l’action AMC a de nouveau atteint en l’espace de quelques jours des niveaux record, totalement déconnectés de la réalité d’une entreprise au modèle économique sur le déclin à l’heure des Netflix ou autres Disney+.

Si certains schémas spéculatifs commencent à montrer des signes de fragilité, comme par exemple les cryptomonnaies, la planète finance et la planète immobilier demeurent pour l’instant en lévitation, hypnotisées par les injections de liquidités sans fin des banques centrales et notamment la Réserve Fédérale américaine.

Politique sans retour des banques centrales

En effet, depuis mars 2020, les grandes institutions monétaires se sont lancées dans une politique sans retour où toute tentative de normalisation semble devoir se solder par une crise financière retentissante. Néanmoins, faire marcher la planche à billets à plein régime commence à créer davantage de problèmes que cela n’en règle, laissant Jerome Powell et Christine Lagarde seuls face à un dilemme cornélien des plus compliqués mais dont ils sont largement responsables.

Certains alertent depuis des années sur les conséquences économiques désastreuses d’un laxisme budgétaire et monétaire sans limite, avec une hyperinflation des actifs qui assomment chaque jour davantage les classes moyennes et populaires, ainsi que les plus jeunes générations. Mais aussi sur le risque d’allocation inefficiente du capital dans un contexte où entrepreneurs et investisseurs ne sont désormais plus motivés par la création de valeur économique mais la perspective d’un gain en capital immédiat.

Chose nouvelle – et c’est certainement là le point le plus inquiétant pour les autorités – ces politiques commencent également à se traduire par des tensions inflationnistes au sein de l’économie réelle.

Politique de l’autruche

Face à cette nouvelle donne, les banques centrales ont choisi la politique de l’autruche, bien aidées en cela par de nombreux économistes et professionnels des marchés qui nous jurent que ce phénomène de hausse de prix n’est que transitoire. L’argumentaire est simple et efficace : il n’y aurait là qu’un effet de base lié à l’effondrement de l’activité au printemps dernier, sachant que de toute manière la demande en biens et services est structurellement sur le déclin depuis des années.

Comme le dit Olivier Delamarche, « on ne donne pas à boire à un âne qui n’a pas soif ». Mais la solution est-elle pour autant de laisser crever l’âne de soif ? En effet, si la tendance est effectivement à un ralentissement structurel de la demande, il faut garder la tête le fait qu’en face l’offre a aussi subi plusieurs chocs majeurs depuis dix ans.

D’abord l’important ralentissement chinois depuis 2012, avec la volonté de Xi Jinping d’impulser un changement de modèle économique, se traduisant notamment par des réductions drastiques des capacités de production.

Ensuite, la guerre économique entre la Chine et les États-Unis depuis 2016, venue créer une incertitude majeure sur les chaînes d’approvisionnement – y compris dans des domaines de plus en plus stratégiques comme l’électronique. Loin d’avoir désavoué la politique de son prédécesseur, Joe Biden semble au contraire parti pour faire durer cette rivalité devenue stratégique pour l’Amérique.

Autre facteur négatif pour l’offre, les différentes mesures environnementales limitant les investissements dans certaines activités comme le pétrole et le gaz, tout en apportant davantage de contraintes et de difficultés pour d’autres acteurs comme par exemple dans l’automobile.

Des plans massifs de sauvetage partout

Pour couronner le tout, la pandémie est venue achever de mettre KO une production déjà structurellement affaiblie et qui doit maintenant faire face à une demande surstimulée du fait des plans de sauvetages massifs lancés un peu partout.

La question devient donc : l’offre pourra-t-elle un jour rattraper la demande si cette dernière continue d’être dopée à l’infini ? Car la Chine ne semble clairement pas enclin à jouer le jeu des Occidentaux, refusant d’ouvrir la voie à une surproduction qui leur avait posé des problèmes après les mesures de relance de 2009.

Certains États commencent officiellement à s’inquiéter de cette situation et de l’emballement des prix, y compris dans la sphère immobilière. Cela a d’abord été le cas de la Nouvelle-Zélande, puis du Canada et plus récemment du Royaume-Uni. En Europe, certains membres de la Banque centrale européenne font depuis longtemps entendre leur scepticisme vis-à-vis de la planche à billets. Mais cela n’empêche pas Jerome Powell ou Christine Lagarde de continuer à foncer tête baissée.

Certains diront que nous n’avions de toute façon pas vraiment le choix. Que ces politiques nous ont sauvé à chaque fois de la grande dépression et d’une mort annoncée de nos pays. Peut-être. Mais à quoi cela peut-il servir de dépenser sans compter et ne jamais réformer des économies qui manifestement fonctionnent de plus en plus mal ? Pourquoi ne pas avoir à un moment donné choisi de profiter de ces taux d’intérêt artificiellement bas pour engager une restructuration profonde de notre tissu productif et de notre système de dépenses ?

Illusion monétaire

Sans surprise, le recours à l’illusion monétaire est largement soutenu par bon nombre d’intellectuels français pour qui la création de liquidités à partir de rien est censée pourvoir régler des problèmes de fond comme les inégalités ou – soyons encore plus fous – la crise environnementale. Pourtant, non seulement la planche à billets aggrave les inégalités économiques, mais pire encore elle conduit ceux qui s’y risquent sur la voie de l’effondrement via une inflation incontrôlée.

L’Histoire est très claire à ce sujet, car les exemples de catastrophes économiques et politiques provoquées par la planche à billets y sont légion : du Venezuela ou Zimbabwe, en passant par la célèbre République de Weimar, sans oublier la dramatique situation de la France du XVIIIe siècle qui a d’abord mené à la Révolution avant de provoquer l’échec de cette dernière.

« Foutu pour foutu » semble donc être le mot d’ordre de nos chers dirigeants. Si la Fed et la BCE ont manifestement l’intention de jouer la montre afin de retarder au maximum une crise financière qui s’annonce comme l’une des plus grandioses que l’humanité n’ait jamais connu, les politiques eux ont choisi de respecter l’énigmatique « indépendance » des banques centrales pour les laisser faire à peu près ce qu’elles veulent.

Il faut dire que certains pays comme la France ont particulièrement intérêt à ce que rien ne change. Quoi de mieux en effet que de pouvoir continuer à aligner les budgets déficitaires que nos députés finiront tôt ou tard par voter les yeux fermés (du moins dès qu’ils seront dans la majorité) au motif qu’il n’y a de toute manière « pas d’alternative » ? De quoi arroser suffisamment l’économie, non pas pour la remettre sur les rails d’une croissance structurelle, mais du moins pour sauver la face avant la prochaine échéance électorale.

De toute manière, la plupart des effets indésirables continuent d’être invisibles de la classe politique. Pire encore, l’envolée des prix de la pierre semble même plutôt bénéfique pour une majorité de parlementaires et ministres.

Ne soyons donc pas surpris si tous ces sujets sont les grands absents des débats pour les élections de 2022. Hormis quelques chaînes YouTube comme ThinkerView bien décidées à mettre sur la table ce type de problèmes, la plupart des grands médias ne s’y intéresseront pas.

Après tout, on ne scie pas la branche sur laquelle on est assis.

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  • Nos « z’élites » nous font danser sur un volcan.
    Aucune vision à moyen terme.
    Rien que de la comm’ , du sentiment, des émotions.
    On doit gérer sa société « en bon père de famille » il faut dire qu’à défaut c’est le dépôt de bilan. Pour les états c’est apparemment exclu.

  • L’argent facile favorise la valorisation d’actifs existants et la destruction de la concurrence au profit du capitalisme de connivence.

  • Il y aurait donc d’autres solutions que de dilapider l’argent des contribuables juste pour calmer la grogne et gagner la prochaine élection ?
    Bigre ! Voilà une théorie révolutionnaire au pays du « généreux modèle social » et de la mitraillette à subventions inutiles.
    Le pire, c’est que Super Bruno ne doit pas comprendre pas la moitié des notions économiques abordées dans ce très bon article…

  • Malheureusement, ca fait depuis un moment que les banques centrales ont perdu leur indépendance face aux politiciens. Elles sont toutes alignées les unes, sur les autres et c’est ce qui fait que ça tient puisque l’argent ne fuit pas d’une place à l’autre. Ça craquera des que la première banque centrale bougera.

  • « l’une des plus grandioses que l’humanité n’ait jamais connu »: « l’une des plus grandioses que l’humanité ait jamais connues » serait beaucoup mieux. « Jamais » a ici le sens positif de « un jour », donc pas de « ne ». A cela s’ajoute la faute sur le participe passé. Si on ne maîtrise pas bien le français, est-on crédible quand il s’agit d’analyser la société ?

  • Les commentaires sont fermés.

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