« Big Pharma », les start-up et l’innovation : pourquoi Sanofi a perdu la course au vaccin

Ce qui est en cause dans l’échec de Sanofi, c’est le raisonnement stratégique qui domine parmi les « Big Pharma » depuis des années.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
vaccination by Sanofi Pasteur (creative commons) (CC BY-NC-ND 2.0)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

« Big Pharma », les start-up et l’innovation : pourquoi Sanofi a perdu la course au vaccin

Publié le 6 mai 2021
- A +

Par Vincent Giolito.
Un article de The Conversation

Quelques mois auront suffi pour que le sentiment national en France, la patrie de Pasteur, passe de l’espoir à la fierté, puis à la déception et à l’amertume quant à la découverte d’un vaccin contre la Covid-19. Au printemps 2020, le président de la République Emmanuel Macron comptait publiquement sur Sanofi, première entreprise pharmaceutique française, pour relever le défi.

Presque un an plus tard, ce vaccin n’a toujours pas vu le jour, le développement ayant pris plusieurs mois de retard. Le groupe espère désormais pouvoir le lancer à la fin 2021.

En parallèle, des vaccins développés par certaines biotechs, ou start-up du secteur de la santé, ont reçu l’homologation et sont aujourd’hui commercialisés. C’est le cas de celui du laboratoire allemand BioNTech, en collaboration avec le géant Pfizer, ou encore celui de la société américaine Moderna.

En France, notons également les avancées de Valneva, jeune pousse de Saint-Herblain, près de Nantes. Le vaccin est actuellement en phase III, dernière étape avant une demande de mise sur le marché. Les doses devraient d’ailleurs être réservées au Royaume-Uni, qui a contribué à financer le développement.

Expliquer le retard de Sanofi par une erreur opérationnelle lors des essais cliniques de phase II (un dosage insuffisant des antigènes) reste cependant largement insuffisant. L’incapacité de la société face à la Covid a des racines plus profondes. En effet, depuis le début des années 2000 et le déclin du rendement des activités de recherche – notamment sous la pression aussi des actionnaires exigeant davantage de dividendes –, les grands laboratoires pharmaceutiques ont progressivement délégué l’innovation à des entreprises plus petites. Ce qui est en cause, c’est donc le raisonnement stratégique qui domine parmi les « Big Pharma » depuis des années.

Extrait du bilan économique des Entreprises du médicament (LEEM), Édition 2020.Leem.org

Ce raisonnement n’est en effet pas propre à Sanofi : le groupe n’est que numéro 7 mondial du secteur en termes de chiffre d’affaires en 2019 avec plus de 40 milliards de dollars, et un seul de ses devanciers, Pfizer (quatrième avec plus de 46 milliards de dollars), a réussi indirectement à se positionner, via sa collaboration avec le laboratoire BioNTech, sur le vaccin anti-Covid. Celui du leader mondial du secteur, l’américain Johnson & Johnson (53,5 milliards de revenus) n’aura rejoint la liste des vaccins homologués qu’en avril, plusieurs mois après le début de la campagne de vaccination mondiale. À titre de comparaison, BioNTech n’avait réalisé que 108 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019, soit presque 500 fois moins !

Création et capture de valeur

Comment expliquer ce raisonnement stratégique qui a conduit à déléguer l’innovation ? Pour le décortiquer, il est nécessaire de modéliser les décisions structurantes d’entreprise à l’aide de deux concepts complémentaires, la création de valeur et la capture de valeur. Une entreprise crée de la valeur lorsqu’elle offre un produit ou un service que des clients achètent. La création de valeur se mesure par ses ventes, son chiffre d’affaires. L’entreprise capture de la valeur lorsque la valeur créée est supérieure aux coûts encourus. La capture de valeur se mesure par le bénéfice de l’entreprise.

Examinons d’abord la création de valeur dans le cas de Sanofi et des Big Pharma confrontées à l’opportunité de développer un vaccin au tout début de l’épidémie il y a un an.

La création de valeur se représente par une équation simple : c’est le nombre de clients multiplié par le nombre de produits vendus à chaque client, multiplié par le prix unitaire de chaque produit, et multiplié par un coefficient de risque.

Création de valeur = nombre de clients x achats/client x prix unitaire x (1–risque)

Certes, le premier terme de l’équation était prometteur – virtuellement toute l’humanité adulte. En revanche, les trois autres termes étaient défavorables. Le vaccin contre la Covid ne serait pas un traitement au long cours – deux doses au mieux ; le prix, qui se négocie avec les autorités sanitaires, serait certainement sous pression au nom de l’urgence humanitaire ; le risque, enfin, était élevé : le Covid pouvait régresser spontanément comme le SARS en 2004, finalement sans opportunité d’affaires pour les Big pharma.

La capture de valeur se représente également comme une équation : de la valeur créée à l’étape précédente on soustrait les coûts variables d’une part, les coûts fixes d’autre part, les deux catégories étant affectées d’un coefficient qui correspond au contrôle que l’entreprise peut espérer exercer in fine.

Capture de valeur = valeur créée – (coûts fixes + coûts variables) x degré de contrôle

Les coûts variables, ceux associés à la production de chaque vaccin, pouvaient être estimés comme relativement bas. À l’opposé, les coûts fixes étaient nécessairement élevés. Il fallait, pour Sanofi et les autres Big pharma, faire aboutir les recherches en accéléré.

Surtout, le coefficient de contrôle était faible. Les laboratoires pharmaceutiques pouvaient difficilement déterminer a priori si elles disposaient de l’expertise nécessaire, et avaient du mal à savoir comment chiffrer l’investissement. En admettant même qu’elles trouvent une solution cliniquement efficace, la production des vaccins pouvait réserver de nombreuses surprises.

Ces deux équations stratégiques expliquent non seulement pourquoi Sanofi n’a pas encore développé de vaccin, mais aussi la bonne place des start-up dans la course aux vaccins par rapport aux grands laboratoires.

Quand la start-up devient le produit

Ces derniers diffèrent largement de l’idée qu’en a le grand public – des firmes qui cherchent et trouvent puis produisent et vendent des médicaments. En réalité, les Big Pharma se concentrent sur la dernière étape, la vente. La production, on le voit avec la Covid, est désormais externalisée dans des pays à faibles salaires.

Quant à la recherche, les laboratoires historiques comme Sanofi n’en font que dans quelques domaines précis, ceux qui promettent le plus de capture de valeur à court terme. Depuis plus de 20 ans, ils n’y investissent que sous une forme indirecte, en l’occurrence le rachat de biotechs.

Le retrait des laboratoires a en effet découvert un champ sur lequel fleurissent de jeunes pousses biotech lancées par des scientifiques, biologistes ou médecins avec parfois le soutien de leurs universités.

En juin 2020, le président de la République Emmanuel Macron avait effectué un déplacement sur le site de Sanofi à Marcy-l’Etoile, près de Lyon.

Dans ce paysage, les mêmes équations stratégiques de base sont utilisées mais avec des paramètres totalement différents. En particulier, la création et la capture de valeur ne sont pas calculées par les start-up qui cherchent de nouveaux traitements, mais par leurs financiers.

Pour ces fonds de capital-risque qui investissent dans la biotech, le produit n’est pas le médicament, mais la start-up elle-même. Le seul terme important dans l’équation de création de valeur, c’est le prix auquel les financiers pourront la revendre… à une Big Pharma.

Comme leur nom l’indique, les fonds de capital-risque font leur affaire du coefficient de risque ou d’incertitude dans l’équation. Ils orientent les directions de recherche des start-up en fonction des ouvertures dans le portefeuille stratégique de ces clients finaux et n’hésitent pas à fermer les start-up qui ne trouveront pas d’acquéreur.

Les Big Pharma comme Sanofi sous-traitent l’essentiel de leur recherche médicale en entretenant une relation plus ou moins formelle, plus ou moins soutenue, avec un réseau de start-up, dans la perspective d’un rachat éventuel. Dans ce réseautage permanent, il y a des rencontres fortuites et des mariages décidés soudainement sous la pression de l’entourage, comme ceux de BioNTech avec Pfizer, et d’AstraZeneca avec l’Université d’Oxford. Sanofi, pas plus que GSK et Merck, ne se trouvait dans la bonne salle de bal.

The Conversation

Sur le web

Voir les commentaires (12)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (12)
  • Retard d’autant plus inexplicable que le Valvena repose sur un coronavirus désactivé, bien plus classique que de l’ARNm ou des trucs de chimpanzé.
    Le loupage monumental des autorités française est à l’image de sa gestion de la crise, calamiteuse.

    • Quand des milliers de gens meurent vous allez faire des essais cliniques durant 3 à 5 ans comme d’habitude en les laissant mourir? Vous êtes bien français!

    • Aucun des variants actuels ne semble vraiment échapper aux vaccins disponibles. Dans le pire des cas, leur efficacité est partiellement diminuée.

  • Euh, est-ce à dire que Pfizer et AZ sont des start-up ? Sanofi est noyée sous les paperasses francofrancaises ….

  • A la base de l’innovation, il y a des individus dans des labos. Comparez les retours pour ces individus quand leurs idées sont bonnes, entre une big pharma et une start-up, et il est évident qu’ils ne vont pas se fatiguer pareil, ni même que s’ils se fatiguent pareil, les bonnes idées triompheront pareil.

  • La recherche privée a été détruite par les lois sur les génériques privant ces laboratoires d’argent sur le long terme. Donc leurs travaux se portent sur ceux dont le retour sur investissement est de 10 ans lors de la commercialisation.

  • Comment ça « perdu » la course? Pourquoi, ca y est, c’est plié, Sanofi ne peut plus rien faire? Sanofdi ne peut plus du tout développer de vaccin contre le covid ou les coronavirus, par exemple un vaccin de formule classique, si ce n’est un vaccin génique?
    Pour Sanofi, Pasteur, Servier, etc, c’est kaputt, fichu, les carottes sont cuites, juste parce que Pfizer et Moderna sont arrivés premier avec un machin mal fichu, et toujours en cours d’expérimentation? Non mais je rêve!
    Je ne crois pas une minute aux explications qui sont données ici. Si les américains sont arrivés premier avec leurs vaccins, c’est d’abord parce qu’ils y ont cru, parce que qu’ils avaient la volonté et l’optimisme de réaliser leur projet. Le reste n’est que du verbiage de technocrate hors-sol qui complique tout avec son esprit tortueux de fonctionnaire incapable de faire autre chose que des règlements, des formulaires, et des plan de déconfinement stupides.

    • @Dr je serais assez d’accord , certains ont « gagné » le premier sprint , mais le covid et ses nombreux enfants ne sont pas morts, l’histoire n’est pas terminée; bien malin celui qui saura qui sera dans le peloton de tête dans la suite de la course. Sans compter que le P4 chinois peut nous sortir d’autres monstres .

  • Bof, ces gros sociétés pharmaceutiques ne se bouffent pas entre elles, du vaccin, y en aura pour tout le monde, on va vivre avec durant des années. Les vaccins actuels ne sont pas encore degrossis, loin d’être parfaits, le lièvre et la tortue, des fois faut prendre son temps

  • L’accusation des actionnaires est assez gratuite. C’est juste leur business model: ils externalisent le risque de la recherche, qu’ils payent ensuite lors du rachat puis ils utilisent leur puissance financière pour déléguer la production et négocier la vente grâce à leur poids. Les actionnaires de ces sociétés ne cherchent pas les risques importants, et ce satisfont de ce fonctionnement.
    La bonne question que ne pose pas l’article, c’est:
    Pourquoi les BigPharma ont un avantage concurrentiel dans la vente des médicaments?
    C’est à cause de la collectivisation de la santé, ils peuvent faire pression sur les politiciens par qui passe les seuls vrais clients, les états.

  • Votre appel à signer, vous le retapez à chaque commentaire ou vous faites du copier-coller ?

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Par Romain Delisle.

Durant la crise sanitaire, la pénurie de masques de protection, dont les stocks avaient été détruits sur ordre de Marisol Touraine, ministre de la Santé sous le mandat de François Hollande, avait mis en lumière le risque accru de pénurie de produits de santé en cas de crise majeure. En réalité, la pandémie n’a fait que révéler au grand jour les déséquilibres structurels d’une économie surrégulée du médicament : selon l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), le nombre de ruptures ... Poursuivre la lecture

Le gouvernement a été cette semaine confronté à un nouveau psychodrame : la fin programmée au 1er janvier 2024 de la dérogation permettant d’acheter n’importe quel produit alimentaire avec un titre-restaurant.

En effet, Bercy n’avait pas prévu de reconduire cette dérogation, adoptée durant la crise liée au Covid-19 alors que les restaurants étaient fermés : bronca immédiate parmi l’ensemble des partis d’opposition et des salariés maintenant habitués à faire leurs achats alimentaires quotidiens avec ces chèques subventionnés. Le gouvern... Poursuivre la lecture

Initiée par un économiste danois qui voulait vérifier si, oui ou non, le confinement à la chinoise avait sauvé beaucoup de vies, une étude vient de paraître à Londres. Exploitant un large corpus de données internationales, ses conclusions sont tranchées :

nulle part, le confinement du printemps 2020 n'a eu d'influence majeure sur la mortalité induite par la Covid-19 ; en revanche, les confinements ont eu un effet désastreux sur l'économie, et perturbent durablement les populations concernées.

 

Les auteurs en déduisent ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles