Par Eric Pichet1
Un article de The Conversation
Pas de retraite pour la Cades : 24 ans après sa création et alors que la Caisse d’amortissement de la dette sociale s’acheminait paisiblement vers sa disparition prévue en 2024, les ravages du Covid-19 dans les comptes de la Sécurité sociale et la nécessité de financer la dépendance contraignent le gouvernement à la pérenniser et à en élargir le champ d’action dans le cadre du « Ségur de la santé » ouvert le 25 mai 2020.
La Cades, instaurée en janvier 1996 pour financer les déficits accumulés à la suite d’une brutale récession par la Sécurité sociale entre 1993 et 1996 (l’équivalent de 44 milliards d’euros actuels), est une structure de cantonnement de dette, distincte de l’État et des organismes de Sécurité sociale.
Cette caisse se présente sous forme d’un établissement public à caractère administratif dont la durée de vie était initialement prévue pour 13 ans et un mois, soit jusqu’en 2009.
Pour financer la Caisse, une nouvelle contribution, dite de remboursement de la dette sociale (CRDS), fut également créée « à titre provisoire ». Ce prélèvement de nature fiscale mais à objet social – selon l’inénarrable jargon des fiscalistes – est considéré par le Conseil constitutionnel comme un impôt et par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) comme une cotisation sociale.
La souplesse d’une banque d’investissement
La CRDS frappe la quasi-totalité des revenus, y compris les allocations familiales et les allocations-chômage, à l’exception de quelques rares allocations de solidarité. Avec la TVA créée en 1954 puis imitée dans le monde entier, elle constitue sans conteste la plus grande innovation d’origine française du XXe en matière de prélèvements obligatoires.
La Cades a été conçue comme une créature hybride bénéficiant de la garantie implicite de l’État, puisque le gouvernement a, en cas de difficultés, l’obligation de soumettre au Parlement les mesures nécessaires pour assurer le paiement du principal et des intérêts aux dates prévues, mais disposant également de la souplesse de gestion d’une banque d’investissement.
Elle emprunte à un taux très légèrement supérieur de seulement quelques points de base par rapport à l’État, mais peut le faire majoritairement sur les marchés étrangers en devises. C’est ce qui lui permet parfois d’obtenir, au travers de contrats swaps (contrats d’échange de flux financiers), un coût de sa dette inférieur à celui de l’État qui lui n’émet qu’en euros.
Bref, Patrice Ract-Madoux, le premier président de la Cades a pu donc affirmer avec raison, dans un communiqué de 2002, qu’elle était :
« Un instrument très efficace au service de l’État. Simple, souple et transparent tout en offrant un grand niveau de sécurité, il contribue également à renforcer la visibilité de la signature publique française sur les grands marchés financiers mondiaux. »
En période de ralentissement économique, le déficit de la Sécurité sociale se creuse mécaniquement car ses recettes (très largement assises sur les revenus d’activité) évoluent alors moins vite que des dépenses structurellement orientées à la hausse. Les gouvernements successifs ont donc très vite compris l’utilité d’utiliser la Cades pour y loger des déficits récurrents.
C’est ainsi que la loi de Finances pour 1998 l’a contrainte à reprendre les déficits cumulés des années 1996 à 1998, soit 13 milliards d’euros, en la prolongeant de 5 ans jusqu’à fin janvier 2014. De même, en 2004 la Caisse a absorbé les déficits cumulés des années 2002 à 2004 soit 37 milliards d’euros, le législateur supprimant même la date de son extinction à cette occasion.
En 2005, 15 milliards d’euros, représentant les déficits estimés de 2005 et 2006 lui sont une fois de plus attribués, son extinction étant de nouveau programmée en 2025 dans une loi organique donc moins aisément modifiable et sous le contrôle vigilant du Conseil constitutionnel.
Réouverture à « titre exceptionnel »
En 2008, la CRDS ne couvrant plus la reprise d’une nouvelle dette de 27 milliards, une fraction de la CSG de 0,2 point lui a été alors dédiée. En octobre 2010, une nouvelle reprise de 130 milliards euros est décidée la part de la CSG fléchée vers la Cades passant à 0,48 point toujours pour respecter la date-butoir de 2025. Enfin la dernière révision a eu lieu avec la loi du 21 décembre 2015 qui lui a affecté 0,12 point supplémentaire de CSG pour atteindre le niveau actuel soit 0,6 point.
Au fil des réouvertures, les ressources de la Cades, initialement exclusivement le fait de la CRDS, se sont ainsi largement diversifiées. La CRDS, dont le taux est resté inchangé à 0,5 %, ne représente plus que 42 % de son financement actuel (soit 7,4 milliards en 2018) soit désormais moins que la CSG dédiée au taux de 0,6 % (8,1 milliards pour 46 %), le solde étant assuré par un versement annuel du Fonds de réserve des retraites (sic) de 2,1 milliards d’euros, soit 12 %.
La crise sanitaire de 2020 aggravant dans des proportions dantesques le déficit de la Sécurité sociale, le gouvernement s’apprête donc à rouvrir une nouvelle fois à « titre exceptionnel » (sic) la Cades pour y loger la dette de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qui s’élevait à 31 milliards d’euros au 31 décembre 2019, ainsi que les déficits sociaux, estimés entre 2020 et 2023 à 92 milliards d’euros.
Le gouvernement ajoute au passage 13 milliards destinés aux sommes nécessaires à l’investissement dans les hôpitaux, soit un total de 136 milliards d’euros qui nécessite de repousser une fois de plus et significativement sa date théorique d’extinction à fin 2033 via une loi organique.
Le coronavirus a également précipité la réforme de la dépendance repoussée par le président Nicolas Sarkozy le 1er février 2012 et qui nécessite un financement public et solidaire de l’ordre de 7 milliards par an.
Pour ce faire, la cinquième caisse de la Sécurité sociale prenant en charge la perte d’autonomie va voir le jour en 2021, sans doute à partir de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie créée en 2017. Son financement sera assuré dans un premier temps par un transfert de 0,15 point de CSG en provenance de la Cades, soit 2,3 milliards d’euros.
Comme nous l’avions imaginé en 2000 et annoncé dès 2003 l’immortalité de la Cades et de la CRDS ne font désormais plus aucun doute. Nos petits-enfants continueront donc à payer non pas des investissements dans des infrastructures ou dans l’éducation mais les dépenses courantes de santé depuis 1993. Nul doute qu’ils méditeront amèrement la formule d’Albert Camus dans l’Homme révolté :
« La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent ».
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- Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business School. ↩
le tonneau de danaïdes , ça vous parle ?….c’est ainsi qu’il faut appeler la CADES….
L’éternité, c’est long, surtout vers la fin.
La fin, c’est l’oubli les dettes en les logeant dans des structures de défaisance à échéances suffisamment lointaines pour qu’elles paraissent perpétuelles. Mais l’argent correspondant sera alors libéré dans l’économie sans contrepartie, création d’inflation pure.
Les dettes sont toujours remboursées, la seule question étant de savoir par qui.
Comptabilité Ponzi et faire payer les enfants pour les dépenses courantes de 96? La californie, l’illinois et le New Jersey on fait la meme chose a la meme époque (pour les pensions de leurs employés) et ont les memes problèmes que la France maintenant.