François Bayrou et les malentendus de l’intérêt général

François Bayrou semble bien décidé à faire descendre « l’intérêt général » de force dans les rouages de la société, quitte à étouffer tous les détestables intérêts particuliers.

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François Bayrou et les malentendus de l’intérêt général

Publié le 16 septembre 2020
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Par Nathalie MP Meyer.

Vous désespérez de trouver un jour un homme politique vraiment honnête et sincèrement dévoué au bien-être de ses concitoyens ? Alors reprenez espoir, souriez, chantez, dansez de joie, car François Bayrou, bijou auto-proclamé rarissime et scintillant au sein du cloaque de la politique française, est exactement l’homme sans tache et sans reproche qu’il vous faut !

Voici en effet ce qu’il déclarait sans rire, mais en souriant de satisfaction, au 20 heures de France 2 à la veille de sa nomination officielle comme Haut-Commissaire au plan et à la prospective par Emmanuel Macron le 3 septembre dernier (vidéo, 01′ 19″) :

J’ai choisi d’exercer cette fonction gratuitement, sans rémunération. […] J’ai voulu montrer – ça arrive, heu… c’est pas fréquent, on va dire – j’ai voulu montrer qu’on pouvait faire ça uniquement en pensant que l’intérêt général est plus important que les intérêts particuliers.

Vous n’êtes pas totalement convaincus par tant d’angélisme ?

Il est vrai que son petit mélange des genres entre salariés du MoDem et assistants parlementaires européens (à nos frais de contribuables, naturellement) qui lui a valu démission en catastrophe tout juste un mois après avoir été nommé à la tête de la Chancellerie pour – attention, c’est croquignolet – moraliser la vie publique ne parle pas franchement en sa faveur.

Ses cabrioles lexicales sur le fait qu’il n’est pas ministre donc pas concerné par les règles de l’exécutif en matière de mise en examen ou de cumul des mandats non plus.

Mais ce n’est certainement pas cela qui pourrait entamer l’excellente opinion que François Bayrou a perpétuellement de lui-même. Il était d’ailleurs si content de sa formule sur l’intérêt général qui seul guiderait ses pas en politique et qu’il serait l’un des rares à respecter qu’il s’est empressé de la tweeter dès sa sortie de l’émission, tout en la dépouillant des éléments concernant sa sublime abnégation :

Nous nous retrouvons ainsi en présence d’une de ces maximes de vérité générale archi-connue et archi-rebattue, véritable lieu commun bien-pensant sans lequel il n’est point d’action politique digne de ce nom, une maxime sur le sens de laquelle on ne s’interroge plus, mais dont il faut reconnaître qu’elle traduit à merveille l’état d’esprit collectiviste et dirigiste qui prévaut systématiquement en France.

La réforme des retraites

On l’a bien vu au moment de la réforme des retraites.

Le système par répartition qui est le nôtre devait absolument être préservé car il implique la belle idée de solidarité entre les Français, tandis qu’avec la retraite par capitalisation, où chacun se préoccuperait de sa retraite à titre personnel, sans rien devoir ni demander à son voisin, on tomberait dans le chacun pour soi, c’est-à-dire dans cet horrible individualisme qui n’est que l’autre mot de l’égoïsme le plus cruel.

Mais cela, c’est le joli discours. Dans la mesure où le système français de retraite par répartition doit être réformé à chaque quinquennat tant il menace à tout instant de s’effondrer, on se demande quel intérêt général il peut bien servir, sauf à se rappeler que certains régimes dits spéciaux ont surtout la « spécialité » de piocher dans les cotisations et les impôts des autres, qui ne peuvent s’y soustraire, pour obtenir de meilleures retraites pour leurs adhérents.

Autrement dit, on mesure à travers cet exemple des retraites combien l’intérêt général peut rapidement devenir l’alibi hypocrite des privilèges qui sont octroyés à certaines catégories de citoyens aux dépens d’autres catégories moins favorisées par le pouvoir en place.

Malgré cela, le mal est fait. Les intérêts particuliers sont devenus synonyme d’égoïsme absolu voire même de malhonnêteté intrinsèque, tandis que l’intérêt général est vu comme le sommet du désintéressement, de la fraternité, de la solidarité et de la générosité. C’est ce bien commun enviable autour duquel tout le monde se retrouverait pour former enfin une communauté heureuse, égalitaire et juste.

Tout ceci est évidemment charmant, mais se heurte à un problème de taille :

S’il est aisé pour chaque individu de voir où résident ses intérêts particuliers dans l’existence – et je ne doute pas que certaines personnes commencent à se dire qu’elles auraient tout intérêt à adopter pour elles-mêmes un système de retraite individuel qui supplanterait sans problème ce que leur offre le système collectif actuel censé représenter l’intérêt général – comment définir cet intérêt général dont nos hommes politiques et les nombreux fonctionnaires qui les assistent se targuent de s’occuper pour nous 24 heures sur 24 ?

L’intérêt général

Lorsqu’on interroge les élus, ils répondent qu’ils travaillent pour le bien de tous, qu’ils mettent en place des services (piscines) et des politiques (aides aux agriculteurs, ou aux seniors, ou aux chômeurs) qui vont profiter à tous, mais ils n’expliquent jamais comment ce bien de tous, ce profit de tous est déterminé.

Et pour cause, car cela n’est pas possible. L’intérêt général n’existe pas sauf sous la forme d’une illusion imposée pour justifier l’interventionnisme cher à nos hommes politiques, cet interventionnisme fébrile qui leur permet de montrer à leurs électeurs qu’ils agissent pour eux mais qui ne peut en aucun cas se faire au nom de tous. Éventuellement au nom d’une majorité, mais en réalité presque toujours au nom d’intérêts particuliers.

Dès 1785, Condorcet démontrait en effet qu’il est impossible de fonder un choix collectif à partir des préférences individuelles, ce qu’a confirmé Kenneth Arrow au milieu du XXe siècle de façon un peu plus développée mathématiquement. Le Théorème d’impossibilité d’Arrow s’énonce ainsi :

Il n’existe pas de fonction de choix social (un système de vote) qui puisse convertir des préférences individuelles en une décision agrégée cohérente, hormis dans le cas où la fonction de choix social coïncide avec les choix d’un seul individu (« dictateur »), indépendamment du reste de la population.

Le terme « dictateur », celui qui dicte, est particulièrement révélateur. Les hommes sont divers, ils ne forment pas une unité, ils ne parlent pas d’une seule voix et ils n’agissent pas sous l’impulsion de désirs également et unanimement partagés. La seule façon d’obtenir une « harmonisation » de tant d’aspirations divergentes passe donc par l’instauration d’une entité supérieure, l’État à tout hasard, qui aura tout pouvoir de créer une volonté générale imaginaire par soumission des volontés individuelles aux fins sociales du régime en place.

Quant aux intérêts particuliers si aisément relégués au rang de vices honteux par les acharnés du collectivisme, on sait depuis Montesquieu, Turgot et Adam Smith que s’ils se développent dans un État de droit où la propriété des biens et l’intégrité des personnes sont respectées, ils contribuent sans le savoir et sans le chercher à la bonne marche et à la prospérité de la société en général :

Il se trouve que chacun va au bien commun, croyant aller à ses intérêts particuliers. –  (Montesquieu, 1748, De l’esprit des Lois)

L’intérêt particulier abandonné à lui-même produira toujours plus sûrement le bien général que les opérations du gouvernement. – (Turgot, 1759)

Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, (l’homme) travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler. – Adam Smith, 1776, Richesse des Nations, Livre 4, chapitre 2

Dans une société libre où les initiatives individuelles et les échanges ne sont pas bridés, chacun dans son domaine et à son niveau contribue à se rendre utile aux autres, avec l’avantage inestimable que les libertés individuelles telles que liberté de conscience, liberté d’expression et liberté d’entreprendre sont préservées.

On conseillerait bien à M. Bayrou de se livrer à quelques lectures plus élaborées que sa pieuse maxime, mais en 35 ans d’une carrière politique assez sinueuse, il a toujours su mieux que tout le monde ce dont le monde avait besoin. En 2017, le monde avait besoin de moralisation de la vie publique. On a vu le joli résultat.

Aujourd’hui, bien installé dans son nouveau bureau de Haut-Commissaire au plan et fort satisfait d’avoir le Président de la République comme « interlocuteur premier », il semble bien décidé à faire descendre « l’intérêt général » de force dans les rouages de la société, quitte à étouffer tous les détestables intérêts particuliers qui ne colleraient pas avec ses études prospectives. On attend le joli résultat.

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