La « cancel culture » ou comment lyncher sans réfléchir sur les réseaux sociaux

Si le développement de la cancel culture peut inquiéter c’est que, sous couvert de l’édification d’un monde meilleur, la fin justifie les moyens.

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La « cancel culture » ou comment lyncher sans réfléchir sur les réseaux sociaux

Publié le 13 août 2020
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Par Yannick Chatelain.
Un article de The Conversation

« Nouvelle censure » selon L’Obs, débat « impossible » s’interroge France Culture, la cancel culture fait grincer des dents en France.

Située dans la même mouvance que le « call out » ou culture de la délation, très présente aux États-Unis, cette tendance trouverait son origine dans les affiches Wanted omniprésentes dans les westerns, comme le relève le politologue Jean‑Éric Branaa.

La Cancel Culture, issue du verbe anglais cancel : supprimer, éliminer, retirer… pourrait se traduire par la culture de l’élimination appliquée à des hommes et/ou des organisations. Cette pratique préexistait ipso-facto bien avant sa dénomination « officielle ». Elle s’est paradoxalement concrétisée dans un monde dématérialisé.

L’emploi du verbe anglais cancel au sens de la cancel culture remonte à 2015, mais son utilisation ne s’est popularisée comme le note Jesse Kinos Goodin qu’en 2018 après les événements liés au phénomène #MeToo en 2017.

Cancel culture, un phénomène qui fait suite à des mouvements sociétaux

L’année 2017 a en effet marqué un tournant, grâce au mouvement « #Me Too » qui a libéré la parole des femmes d’une part, et l’affaire Harvey Weinstein de l’autre, mettant en cause ce producteur hollywoodien pour ses agressions sexuelles.

Or, ces campagnes légitimes contre la prédation sexuelle ont aussi donné lieu à des attaques ad hominem, des lynchages médiatiques visant à l’humiliation publique de tel ou tel individu.

À titre d’illustration, Sandra Muller, la Française qui avait lancé le hashtag #Balancetonporc a été condamnée en 2019 pour avoir diffamé l’homme qu’elle accusait de harcèlement. Le tribunal ayant estimé qu’elle avait « manqué de prudence » avec son Tweet et qu’elle avait « dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression, ses propos dégénérant en attaque personnelle ».

Cancel culture, une logique d’attaque et d’adhésion contrainte

C’est bien cette logique, attaques personnelles et usages intempestifs des réseaux sociaux, qui est au cœur de la cancel culture. De manière paradoxale, sous couvert de « libérer la parole » cette dernière s’éloigne de la liberté d’expression. Cette culture ne tolère nul débat autre que l’adhésion tout en ouvrant la porte à la délation et à l’ostracisation.

Ainsi, la pratique de la cancel culture va viser à faire adhérer des individus à une cause sous peine d’être soupçonnés de soutenir, voire d’être complice de ce qui est dénoncé.

Ce phénomène d’adhésion comportementale forcée a pu se retrouver dans le mouvement « Black Lives Matter » dont l’ampleur a été renouvelée avec l’affaire George Floyd.

Par exemple l’ex-joueur de tennis Yannick Noah a déclaré regretter le silence des sportifs blancs.

C’est bien que les jeunes s’en occupent mais moi ce qui me gêne c’est que ce sont tous des métis ou des noirs.

Ce propos montre ici qu’il est implicitement demandé aux sportifs blancs de renom – ayant une facilité d’accès aux médias – de prendre position, en tant que blancs, tout en suggérant que s’ils ne le font pas, alors ils seraient indifférents et ce, parce que leur couleur de peau diffère.

Si le développement de la cancel culture peut inquiéter c’est que, sous couvert de l’édification d’un monde meilleur sur des sujets sociétaux de premier plan, elle estime que – au mépris des conséquences et dérives potentielle – la fin justifie les moyens.

En se retranchant derrière une posture de parangon de vertu, le risque de la cancel culture est de se substituer à la justice tout en empêchant – tout du moins en rendant périlleux – toute forme de contre-discours. En cela elle peut s’apparenter à une forme de terrorisme intellectuel. « La philosophie du bien » de la Cancel Culture n’est pas alors sans rappeler la phrase de Roland Barthes :

Le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire !

« Cancelled » ou « lynchage en ligne »

La définition la plus proche de ce concept de cancelled est donnée par le Urban Dictionary, il s’agit de renvoyer quelque chose/quelqu’un, de rejeter un individu ou une idée. Comme le pointe le New York Times :

Il y a une hiérarchie pour se retrouver cancelled : des célébrités qui disent des choses que beaucoup de gens trouvent inacceptables, comme Kanye, qui a suggéré que l’esclavage était un choix, ou Shania Twain, qui a dit qu’elle aurait voté pour le président Trump si elle n’était pas une personne canadienne, ont été rejetées (cancelled) en masse.

Si le cancelled touche prioritairement les personnalités publiques, nul n’est à l’abri d’un lynchage en ligne et de voir sa vie ruinée pour douze mots très maladroits comme le révèle le cas de Justine Sacco dont j’avais fait l’analyse.

Rappelons-le : c’était en 2013 et cette professionnelle de la communication avait eu la mauvaise idée de tweeter à ses 170 followers :

Going to Africa. Hope I don’t get AIDS. Just kidding. I’m white ! (Je pars pour l’Afrique. J’espère que je ne vais pas attraper le sida. Je plaisante, je suis blanche !).

Le second degré ayant été perdu dans le tweet et repris tel quel par d’autres usagers, la jeune femme avait vu sa vie ruinée en l’espace de onze heures de vol.

Ces adeptes de la pratique de la cancel culture sur la toile se font ainsi des bourreaux plus cruels que les cibles qu’ils clouent au pilori de l’Internet.

Le non-sens de l’argumentation sur la toile

Rappelons-nous ainsi que nombreux réseaux sociaux ne se prêtent pas à l’argumentation. Comment argumenter sur ces sujets de société sensibles que sont  la religion, la sexualité, la politique, le racisme, et ce en 280 signes ?

C’est un non-sens. Comme je le soulignais dans l’ouvrage Dis, tu t’es vu quand tu tweet, un réseau comme Twitter ne véhicule bien souvent que des assertions.

Nous assistons ainsi régulièrement à des tweet-clash entre politiques, ceux-là mêmes qui appellent de tous leurs vœux à un usage responsable des réseaux sociaux.

C’est un terreau propice au développement de la cancel culture. L’un des risques de cette pratique est l’accroissement insidieux d’une autocensure des usagers. Cette autocensure a déjà été engagée après la mise en place des lois sur le renseignement.

Exprimer une opinion divergente, plus nuancée, voire contraire à une pensée et/ou comportement imposé par ce type particulier d’hacktivisme pourra apparaître déraisonnable eu égard aux risques encourus.

Si certains réseaux sociaux ne sont pas des lieux adaptés pour débattre, tout le monde n’a pas le privilège d’avoir accès aux médias traditionnels pour faire une tribune structurée et argumentée. Chacun a le droit inaliénable de ne pas adhérer à une pensée et/ou un comportement qui se voudrait unique et de l’exprimer (hormis ce qui sort du cadre de la loi).

Une culture du cyberharcèlement en hausse en France

C’est ainsi que la cancel culture apporte sa contribution au cyberharcèlement et à la destruction de vies. Depuis 2016, Microsoft mesure le niveau d’incivilité et de risques sur le web. Or, selon les résultats de l’édition 2019, le cyberharcèlement est mondialement en hausse. En France, 62 % des citoyens ont déjà été victimes de cyberharcèlement. Une augmentation de 10 points par rapport à 2018, ce qui fait de l’Hexagone le deuxième pays avec la plus forte hausse.

Pour un propos jugé non conforme, une personne pourra se retrouver ainsi cancelled. La cible (individu et/ou organisation) sera considérée comme problématique et à boycotter quoi qu’elle dise. Il s’agira dès lors pour les usagers de choisir leur camp : de préférence celui qui leur a été désigné par ces nouveaux justiciers…

Comment conserver son libre arbitre ?

Une personne, une entreprise, qui a été cancelled par un mouvement de masse peut-elle encore être suivie ? S’il semble de prime abord que c’est à l’usager d’en décider  in fine, conserve-t-il réellement son libre arbitre ? Quelle est sa marge de manœuvre pour exprimer son désaccord sans risquer de devenir à son tour une cible ?

Nous pouvons saluer ici l’initiative de Le drenche du journal Ouest France, qui donne à voir d’une nouvelle forme de lieu de débat :

Un contexte simple, factuel, court et précis, pour savoir de quoi on parle. Deux tribunes d’avis opposés, chacune rédigée par une personne compétente, légitime et engagée.

Ce qui pourrait paraître un média traditionnel ne l’est pas tout à fait : le lecteur – doté de la connaissance qu’il a du sujet traité – est invité, en amont de la lecture des tribunes à se positionner : pour ou contre… Il est par la suite – et après lecture des tribunes – à nouveau invité à se repositionner.

Cette approche ne permet certes pas à tous les internautes de participer (à l’instar des RS) mais de se forger une opinion plus éclairée.

C’est là un premier moyen de lutte contre la cancel culture afin d’aborder des sujets sensibles. Il existe aussi une autre manière pour lutter contre la pratique de la cancel culture : ne pas la pratiquer soi-même.

Sur le web

The Conversation

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  • il faut être précis …parce que vie ruinée , destruction de vie;.

    en gros souvent perdre son boulot…

    • Dans certains cas ça va un peu plus loin que « perdre son boulot », voir par exemple la citation suivante tirée de cet article : https://www.contrepoints.org/2020/08/08/377737-cancel-culture-une-mise-hors-la-loi-moderne :
      « Les racistes qui vont à la fac finissent comme avocats racistes et comme médecins racistes. Je ne veux pas que des individus comme ça continuent à avoir des emplois »

      On parle ici de détruire une vie professionelle future sur la base de présupposés sur les croyances des personnes. Dans certains cas, le monde professionnel est petit, être exclus pour les raisons citées, ça veut dire au minimum devoir changer de métier. Compliqué quand ça vous tombe dessus à 50 ans.

  • cet article est angélique!

    Il présent ce phénomène comme spontané, « grass root » whereas it is anything but….c’est tout sauf cela.

    Ainsi par exemple, pour fabriquer la poupée internet greta, il a fallut investir 100 mio de usd, (venant en grande partie directement ou indirectement de la poche du contribuable) sans compter ce qui a été investi depuis des années pour lobotomiser les gogos qui se livrent à ces lynchages.

    Plebs sordida. Que l’internet soit devenu, entre les mains de nos modernes Göbbels, une formidable machine à faire perdre aux individus leur autonomie (relire Lebon!) est un sujet de profonde tristesse pour un libéral.

    Le cancel culture coûte un pognon de dingues.

    Follow the money…!et vous trouverez des gens/institutions/fondations/ngo qui gravitent/dépendent de l’état.

    Il faut les exposer pour présenter, de manière strictement factuelle, j’insiste, ces « phénomènes » pour ce qu’ils sont, c’est à dire de gigantesques opérations de propagandes modernes.

    J’espère que cela sera le thème d’un prochain article plus informatif.

  • Le meilleur moyen d’éviter d’être « cancelled », c’est de ne pas « tweeter » ! Par contre, si on aime attirer la foudre, il suffit de s’adresser à ses « followers ». Remarquez que trois des mots de ce commentaire sont en anglais… ?
    CPEF

    • c’est un peu plus compliqué que ça, notamment aux Etats-Unis. Souvenez-vous du psychodrame causé par la menace française de mettre un veto sur une résolution autorisant les Etats-Unis à attaquer l’Irak. À cette époque, d’une part tout ce qui est français avait subi une forme d’annulation (souvenez-vous que dans certains endroits les frites n’ont plus été appelées « French fries » mais « Liberty fries »), mais tous ceux qui s’étaient exprimé publiquement contre l’intervention aussi (voir les problèmes rencontrés par The Chicks, à l’époque Dixie Chicks, relatés ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Chicks)

      • ben voila.le boycott est légitime…

        pas l’agression.. boycotter tout ce qui est français ok , agresser des gens non..
        maintenant, si un vague serveur fait des commentaires racistes ou pseudoracistes , et que des gens menancent de ne plus aller dans le lieu où il travaille et que cela conduit à son licenciement..est ce acceptable?

  • C’est une forme modernisée de la vindicte populaire, des paysans brandissants fourches et flambeaux.
    Mais y a deux styles :
    – ceux menés par des leaders/influenceurs/mouvements diverses : typique de la dangereuse gauche dite progressiste (les pires fachos…)
    – ceux menés par des intérêts plus personnels, par vengeance, par calcul politique ou pour abattre un concurrent.
    Perso, j’y vois une forme de justice privée, décentralisée, avec accusation et sanction en dehors de la sphère judiciaire.

  • Entre l’Etat et la foule je préfère pas choisir..

  • « Phénomènes sociétaux » il faut le dire vite.
    Si vous enlevez tout l’argent public de ceux qui promeuvent massivement la culture « inclusive » gauchiste et anticapitaliste, il n’en reste probablement pas assez pour convertir qui que ce soit.
    .
    Associations « inclusives » à 7 milliards, EDNAT à 70 milliards, médias subventionnés à 5,2 milliards, culture « plug » inclusive à 7 milliards, syndicats à 5 milliards.
    .
    L’argent public coule à flots dans cette mouvance.

  • Pour des discutions argumentées n’oublions pas le forum. Ok le forum est quelque peu passé de mode actuellement mais vu la dégénérescence des réseau sociaux son heure reviendra.
    La cancel culture existe aussi sur les forum, comme on peut s’y attendre surtout sur les forum progressiste qui n’hésitent pas à bannir les membres non progressistes un peu trop influents, aussi choisissez plutôt les forum de droite ou l’expression est beaucoup plus libre.

    • Lol. J’en suis à mon 20 ban sur CP :-).

      • CP ?
        Essayez fopo.

        • CP = contrepoints, la Pravda de l’école autrichienne du libéralisme.
          Fopo ? C’est quoi ?

          • fopo: essayez google: « forum fopo »
            Contrepoint c’est pas comme un forum politique c’est un magazine d’opinion alors qu’un forum politique ne doit pas avoir d’opinion, si ce n’est sur la forme, autrement ça n’a aucune sens.
            Je crois au retour du forum perso, c’est un intermédiaire entre l’oral et l’écrit qui peut être très riche.

            • Merci Filochard, je ne connaissais pas :-).
              Les forums sont des espaces très intéressants, mais soumis aux influences des clans, groupes et autres trolls. J’espère que la modération y est plus clairvoyante qu’ici.
              (Et oui, CP est un site d’opinion, pas d’information, ni d’échange)

      • Vous êtes un troll socialiste mais la seule chose qui vous fait bannir de Contrepoints c’est que vous finissez systématiquement par injurier vos interlocuteurs.

        • Guillaume P, n’oubliez pas que vous n’avez jamais pu prouver, démontrer, expliquer, en quoi j’étais un troll.
          Si j’injurie (un peu), c’est par énervement face à mensonges et calomnies. Vous êtes hyper-agressif de nature, vous devriez le comprendre.
          Tiens, au passage, je voulais vous demander : puis-je montrer nos échanges à une psychologue ? J’ai quelques suppositions sur votre état mental (et l’origine des troubles). Je partagerais bien sûr ses observations, ça pourrait vous aider.

          • Mais faites donc ! Un type qui se fait bannir 20 fois parce qu’il injurie tout le monde en le justifiant par « leurs mensonges et leurs calomnies » et qui revient 20 fois avec le même comportement et le même résultat est à l’évidence parfaitement normal.
            Ce sont les autres qui sont tous fous… 🙂

            • Même comportement ? C’est étrange.. Quelqu’un a dit récemment que j’étais incohérent. Amusant, non ?

              • Le comportement d’un fou est cohérent il est toujours fou, ses dires non.
                « Amusant, non ? »
                Très, vous êtes médiocre 🙂

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