#MeToo : la justice d’opinion a-t-elle détruit la présomption d’innocence ?

Le droit n’a pas à être instrumentalisé au service d’une cause, si noble soit-elle. Le mouvement #MeToo, né sur les réseaux sociaux, offre un bel exemple de justice d’opinion.

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#MeToo : la justice d’opinion a-t-elle détruit la présomption d’innocence ?

Publié le 31 juillet 2019
- A +

Par Élodie Keyah.

À l’instar de nombreuses personnalités dans le cadre du mouvement #MeToo, l’acteur Kevin Spacey a été accusé d’agression sexuelle. Mais après avoir été avertie des conséquences judiciaires de la destruction de preuves favorables à la défense, l’accusation a invoqué le cinquième amendement de la Constitution américaine, lui permettant de garder le silence, et a cessé de témoigner. 

Le procureur du Massachusetts a donc été contraint d’abandonner les poursuites.

Au-delà de cette affaire judiciaire — l’une des rares à avoir échoué après la vague de dénonciations sur les réseaux sociaux — il y a un angle du sujet que j’aimerais traiter ici. 

Il s’agit, plus généralement, de la rupture entre recherche de la vérité, respect de la présomption d’innocence, et respect du contradictoire lorsque le choix d’un tribunal populaire ou médiatique se substitue à celui des tribunaux judiciaires — où les droits individuels prédominent.

De la difficulté de la preuve

La difficulté inhérente aux cas de harcèlement et d’agression sexuelle relève le plus souvent de l’apport de preuves sans lesquelles l’accusé ne peut être condamné, bien que les soupçons ne soient pas nécessairement écartés. 

Or, c’est précisément cette complexité qui devrait nous inciter à la prudence face aux multiplications d’anathèmes jetés un beau jour sur des individus entre deux tweets de 280 caractères : il ne s’agit pas de nier ou refuser à l’accusateur le statut potentiel de victime, ni de présumer sa mauvaise foi ; il s’agit de ne pas transformer des accusations en présomption simple de culpabilité.

Féminisme et tribunaux populaires

Si la lutte contre le harcèlement sexuel est un combat juste et légitime, elle ne peut être menée en balayant les grands principes protecteurs des droits et libertés individuels, lesquels nous protègent contre l’arbitraire et nous servent d’appui pour que les jugements tendent le plus possible vers la justice.

Ce n’est pas la vision prônée par certains milieux féministes qui se sont emparés du mouvement #MeToo et ont, non pas encouragé à porter plainte pour les faits les plus graves – jugé peu efficace pour de multiples raisons – mais ont incité des dénonciations massives pour lui donner, progressivement, des allures de procédure inquisitoire où les déviants doivent être réprimés ; où la parole de l’accusateur a plus de poids que celle de l’accusé ; où la charge de la preuve en serait presque implicitement renversée. 

Contextualisation faite, toute tentative de défense paraît vaine tant l’intéressé est submergé par la propagation virale des accusations en ligne : choisir Twitter plutôt qu’un tribunal revient à refuser à l’avance tout débat contradictoire, sans lequel la vérité ne peut émerger. 

L’isolement de l’accusé dans la procédure, l’absence de confrontation et la culpabilité présumée étaient pourtant les éléments avec lesquels voulaient rompre les députés de l’Assemblée Constituante en déclarant la présomption d’innocence droit inaliénable en 1789.

Cette conception de la justice avait été consacrée plus de mille ans plus tôt dans le Digeste, corpus iuris civilis, vers 529 après J.-C. : « Un absent ne doit pas être condamné pour crime […] De même on ne doit pas condamner quelqu’un sur des soupçons, déclare un rescrit de Trajan à Assiduus-Sévère : car il vaut mieux laisser impuni le crime d’un coupable que condamner un innocent. »

Le phénomène auquel nous assistons est pourtant loin, très loin d’être orthogonal à cette question : l’effet viral des réseaux sociaux contribue à entretenir cet isolement, et limite les alternatives de l’accusé à celles du silence et de l’attente. Autrement dit, la logique du débat se trouve renversée et le contradictoire n’intervient qu’après la sentence.

Et quand la lutte ou l’attente ne sont pas supportables, certains préfèrent y mettre un terme : suicide du rockeur mexicain Armando Vega Gil suite à une accusation anonyme de viol ; suicide du photographe David Hamilton, également accusé de viol et dont la mort constituerait un aveu implicite de culpabilité, en témoigne son traitement médiatique.

Le droit instrumentalisé

On pourrait également s’inquiéter des conséquences subies par ceux qui, sous l’impulsion de ce féminisme moralisateur dont le droit pénal est le principal outil, et dont la caractérisation des infractions se rapproche de plus en plus du subjectivisme plutôt que des faits, sont érigés au même rang que des agresseurs sexuels.

La clarification des textes, comme l’infraction de harcèlement sexuel, aurait au moins le mérite de nous rapprocher du principe de légalité criminelle, particulièrement malmené depuis que le droit se trouve instrumentalisé en arme militante.

Souhaitons-nous réellement éroder ce que nos ancêtres ont pourtant bâti pour que nous puissions vivre dans une société plus juste ?

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  • Le probleme c’est que la presse instrumentalisée par les factions politiques se fait le bras armé dénonciateurs sans que la justice ne puisse réagir..

    Oui est passé le secret de l’instruction ? ou sont passées les lourds peines financières pour diffamation?

    quand mediapart mes en cause un politique pour de supposées malversations qui se trouvent aboutir a un non lieu , ruinant au passage une réputation voir une carrière ou sont les condamnations? les 20 millions d’euros de pénalité?

    voila , on comprend a la lumière de ce qui se passe c’est que la justice en France c’est de la daube fonctionnarisées et politisée.

    dans ces conditions ne vous étonnez pas que la justice soit rendue par la télé et d’assister a des exécutions en live, genre Sarkozy ou Fillon et bientôt macron (une affaire de mœurs va surgir , ou des révélations sur ses avoirs planqués,quand ses sponsors seront déçus) vrai ou faux ce sera pareil il sera coulé et si c’est faux çà sera jugé dans 10 ans
    CPef

    • le problème est le double standard..

      il est normal que la presse dénonce le train de vie des élus..légal ou pas..
      et si c’est légal, vouloir changer les choses..

      c’est un débat qu’on peut avoir..

      • Le « double standard » est d’affirmer que les élus sont des citoyens comme les autres mais qu’ils n’ont pas droit au respect de leur vie privée.

    • Quel politique ? Quel non lieu ?
      Les carrières politiques : c’est déjà en soi un problème.
      Si on désigne les élus par tirage au sort pour un mandat unique, il n’y aura plus de carrière politique.
      Et qu’on ne me parle pas du problème imaginaire de la qualité des élus. Comme si le simple fait de vouloir le pouvoir était un gage de qualité.

      • designer par tirage au sort? avec des QI a 2 chiffres ?qui ne savent meme pas écrire et leur demande de faire la loi?
        vous rêvez

    • le lynchage médiatique ne concerne pas que la France, pas d’exception culturelle qui pourrait vous faire dire cpef par rapport aux autres.
      La faute aux réseaux sociaux, au désir d’immédiateté, au média qui qui traitent les affaires comme des filons juteux et des séries télés avec rebondissements etc. Les gens qui ont besoin de symbole à détester.
      Tout cela n’est qu’une forme de justice libérale en somme : la voix de l’instruction est libéralisée, libre aux gens de croire ou pas.

      • « justice libérale » ??? qu’est-ce?

      • @Amahuit et Dernier
        Bonsoir,
        La Justice ne peut qu’être judiciaire et rien d’autre. Aucun autre adjectif qualificatif ne peut suivre le terme « Justice ».

        « le lynchage médiatique ne concerne pas que la France, pas d’exception culturelle qui pourrait vous faire dire cpef par rapport aux autres. »
        Ce n’est pas faux.
        – Outre-Atlantique, le lynchage médiatique anti-Trump vaut une condamnation sur le réseaux sociaux et médiatique pour « racisme » à chaque Tweet que le Président U.S produit. Mais bon, dans la contrée que préside <>, il y a une croissance supérieure à 3% et un taux bas de chômage jamais vu en plus de 40 ans. Entendu hier à la radio : notre croissance plafonne à 0,2% fin du deuxième semestre. (L’I.N.S.E.E dit que c’est la faute aux ménages qui ne consomment pas assez, particulièrement dans le poste alimentaire. Les gens claquent moins d’argent dans ce qui est essentiel ; la nourriture.)
        – Il semble que le nouveau M.P britannique ne soit pas du même bord politique que la classe médiatique outre-Manche.
        – Tommy Robinson est en prison de haute-sécurité, alors que le tribunal a reconnu qu’il n’avait enfreint aucune loi. Quelle est cette forme de « Justice » à votre avis ? Je n’en vois aucune. (A son entrée en prison, il portait un T-Shirt avec l’inscription : « Condamné pour journalisme. » (Convicted for journalism)

        Les réseaux sociaux portent mal leur nom : ce sont des réseaux de commérages. C’est vieux comme la civilisation. Ce qui change c’est le nombre de commères, et la portée du fait de ce même nombre.

        • @STF : qui dit que les ménages sacrifient le poste « alimentaire », vous ou l’I.N.S.E.E ?
          Dire que l’alimentaire est essentiel c’est vrai. Mais cette assertion est à relativiser au vu du nombre d’obèses, au vu du nombre de maladies générées par un excès de nourriture. Réduire sa consommation de nourriture peut être un bienfait et tant pis (tant mieux) si ça réduit la croissance (économique s’entend).

          • @Hélébore
            Bonjour,
            « @STF : qui dit que les ménages sacrifient le poste « alimentaire », vous ou l’I.N.S.E.E ? »
            L’I.N.S.E.E. dit que les ménages dépensent moins dans l’alimentaire, ce qui veut que les gens achètent moins à manger vu qu’ils leur reste de moins en moins à la fin du mois.

            Je ne suis pas sûr qu’il y ait en France autant d’obèses que de pauvres pour que les dépenses des ménages en nourriture diminuent.
            Réduire la consommation de nourriture est un facteur, mais le plus important est l’exercice physique.

            L’I.N.S.E.E met en première cause de cette croissance dérisoire la consommation des ménages alors qu’il devrait pointer en priorité le manque crucial de création/production de richesses dans ce pays. Tant que la création/production de richesses sera une hérésie politique, notre croissance restera aussi faible qu’elle l’est. Parce que sans richesses, pas de consommation, même par les subventions d’Etat, elles-mêmes dûes aux richesses.

            • « Je ne suis pas sûr qu’il y ait en France autant d’obèses que de pauvres pour que les dépenses des ménages en nourriture diminuent. »
              Les ménages sont de plus en plus pauvres et consomment de moins en moins, partout, donc aussi en nourriture, qui la part principale des budgets des ménages.
              C’est quand même « à relativiser » vu qu’on nous avons eu « les états généraux de l’alimentation » il y a deux ans, afin de fixer le « juste prix » des produits courants ; et la pluie de taxes qui s’est abattue sur les ménages ces deux dernières années.

    • Si l’on attendait, pour ébruiter une affaire concernant les puissants, qu’elle soit jugée, les problèmes seraient encore plus facilement étouffés.
      Un problème est que la presse est imprégnée d’une idéologie totalitaire et s’érige en corps para-gouvernemental chargé de juger de la vertu des gens (au lieu d’informer et de discuter.)
      L’idéologie en œuvre (qui a aussi infesté la justice,) prétend juger chaque personne selon la dichotomie néomarxiste « opprimé/ oppresseur ». La culpabilité n’a pas à -vraiment- être prouvée car elle est liée à l’appartenance à une classe (dont sont exclus les « alliés », selon leur utilité actuelle.)
      La présomption d’innocence? Une invention des oppresseurs pour protéger le système. Le concept de preuve aussi. A l’inverse l’émotion exprimée par une victime doit nécessairement être vérité.
      On juge non les faits, mais l’émotion, le vice et la vertu. Soit une régression absolue vers le jugement par les gardiens de la foi.

  • faire des femmes des privilégiées car les femmes furent opprimées..
    discours moderne navrant..

    toute minorité même quand c’est dans le cas d’espèce une majorité veut ses privilèges..

  • Même si des fois on est limite délation et ou diffamation ,compte tenu des délais ubuesques de la justice et des pressions politiques les réseaux sociaux permettent de mettre au grand jour des pratiques ou des affaires connues auparavant de quelques initiés du pouvoir et journalistes .Imagine t-on les débuts de la Mitterandie à l’heure des réseaux sociaux cela n’aurait pas tenu longtemps !!!!

  • Oui le miteux qui a transformé le pays en France miteuse qu’on paye encore 40 ans après

  • Tweeter…..mais qu’est ce que les gens attendent d’un tel service a part se foutre de la gueule des gens comme le fait tres bien trump d’ailleurs dommage que les journalistes s’abonnent a ca..mais existe il encore des journalistes avec des neurones et ne se prennant pas pour des corbeaux en jacquette et payes pour ca ,pour faire le mal et le plus possible ?

  • Les commentaires sont fermés.

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