SIRHEN au ministère de l’Éducation nationale : zéro en informatique !

Un nouvel épisode édifiant de la série « Où va l’argent ? » Le fiasco à 400 millions d’euros du Système d’information et de gestion des ressources humaines de l’Éducation nationale dit SIRHEN.

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SIRHEN au ministère de l’Éducation nationale : zéro en informatique !

Publié le 29 février 2020
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Par Nathalie MP Meyer.

Grande nouveauté à la Cour des comptes ! Pour la première fois, la seconde partie de son Rapport public annuel, dont l’édition 2020 a été publiée mardi 25 février dernier, est consacrée à une « thématique transversale ». Et pas des moindres en cette époque résolument 2.0 puisqu’il s’agit du « numérique au service de la transformation de l’action publique » dans notre nation réputée post-moderne et audacieusement startupeuse.

Au menu, aux côtés de huit autres enquêtes moyennement enthousiasmantes dans les méandres informatiques de l’État, le lamentable échec chiffré à plus de 400 millions d’euros du grand chantier connu sous le nom de SIRHEN pour Système d’information et de gestion des ressources humaines de l’Éducation nationale.

Ainsi que je vous le disais il y a un an dans un court paragraphe de l’article « Fonction publique : ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas », en juillet 2018, le ministère de l’Éducation nationale en lien avec le secrétariat d’État au numérique décidait d’abandonner SIRHEN, anéantissant au passage plus de dix ans de développements informatiques erratiques, dont une refondation datant de 2017 tout aussi inaboutie que le projet initial, et expédiait de fait à la poubelle des centaines de millions d’euros soutirés fort peu gracieusement aux contribuables.

 

La Cour des comptes sur l’Éducation nationale

Aujourd’hui, ce sont douze pages très documentées, tant du point de vue historique que budgétaire, que la Cour des comptes consacre au sujet. Si le ton du rapport ne déroge pas aux habitudes rédactionnelles très policées des sages de la rue Cambon, le fond n’en est pas moins d’une grande sévérité.

Outre la gouvernance complètement chaotique de SIRHEN, caractérisée par l’absence d’un outil de suivi efficace du projet et le manque de contrôle sur les nombreux prestataires extérieurs impliqués, outre les retards et la gabegie financière sèche, la Cour considère en effet que la modernisation du système de gestion des RH de l’Éducation nationale est aujourd’hui « dans l’impasse » :

  • Les systèmes antérieurs, dispersés et obsolètes, qu’il s’agissait précisément de remplacer, commencent tout juste à être sécurisés. Or ils restent finalement seuls en lice – avec SIRHEN pour le peu qu’il est capable de prendre en charge, soit 18 000 agents – pour assurer paie, avancement, affectation, formation et évaluation des 871 000 enseignants et des 274 000 personnels administratifs (chiffres 2019).
  • La modernisation du système reste impérative mais aucune stratégie alternative associée à un couple budget-calendrier crédible n’a été définie pour l’instant, plaçant le ministère à la merci de défaillances possibles dans les anciens systèmes, notamment en ce qui concerne le point crucial de la paie.

 

Si vous pensez que cette mésaventure coûteuse rencontrée par l’Éducation nationale n’est qu’une malheureuse exception dans un contexte de transition numérique de l’action publique par ailleurs fabuleusement moderne et bondissante, sachez, hélas, que vous vous trompez très lourdement. Car l’un des gros points noirs de la fonction publique concerne précisément les systèmes informatiques.

 

SIRHEN… mais pas seulement : la liste des bugs est longue

Il y a quelque temps, je vous ai parlé des bugs hallucinants du système Osiris qui est censé effectuer les paiements de certaines subventions en provenance de l’Union européenne, et l’on se souvient des déficiences majeures du système Louvois de paiement des salaires des militaires qui, en désespoir de cause, a fini par être abandonné puis remplacé par le système Source Solde, lui-même déjà en retard de deux ans dans son développement.

À cette liste hautement ubuesque mais pas exhaustive, on peut donc ajouter l’abandon du système SIRHEN. Mais pas seulement.

Le rapport de la Cour des comptes nous rappelle justement que SIRHEN fut initié aussi afin de pouvoir être raccordé à terme à l’Opérateur national de paie (ou ONP) des 2,5 millions d’agents de la fonction publique d’État.

Ce projet de logiciel interministériel lancé en 2007 dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) de Sarkozy et prévu pour entrer en fonction en 2017 devait bien évidemment permettre à l’État de réaliser des économies colossales – de l’ordre de 190 millions d’euros par an par réduction des effectifs affectés à la paie, selon les estimations initiales.

Finalement, en 2014, l’ONP a déjà coûté 290 millions d’euros (en comptant les salaires des agents affectés à son développement) et un audit estime qu’il coûtera encore 60 millions d’euros par an pendant 10 ans. Une fois de plus, décision est prise d’arrêter les frais. Retour à la case départ au prix fort pour les contribuables.

 

SIRHEN et dérapages financiers

Qu’on parle de numérisation des interventions de l’État, comme ici, ou de grands équipements publics, comme à Notre-Dame des Landes ou dans le contexte du Grand Paris Express par exemple, force est de constater que tous ces projets d’ampleur se suivent et se ressemblent avec une désolante régularité dans la débâcle et le grand n’importe quoi.

Le Président, le ministre ou l’édile local concerné se met en tête d’être celui qui fera aboutir le projet du siècle auprès duquel plus rien ne méritera jamais le nom de système informatique, aéroport ou réseau de transport public. En conséquence, l’affaire prend rapidement des proportions « pharaoniques » alarmantes, à commencer par son budget s’il était évalué avec un minimum de réalisme.

Mais pour faire taire les réticences éventuelles et obtenir le feu vert pour le projet, le premier budget est immanquablement fixé à un niveau absurdement bas et le calendrier de livraison est abusivement raccourci, ce qui entraîne tout aussi mécaniquement de premiers dérapages financiers et des retards.

Dans le cas du SIRHEN, la Cour des comptes précise qu’à l’origine, le budget a été « fixé de façon irréaliste à 60 millions d’euros », rendant nécessaires de constantes réévaluations ultérieures.

Une seconde vague de dérapages financiers et de retards provient ensuite du fait que les pilotes du projet n’y prennent rigoureusement aucun risque sur leurs deniers personnels, qu’ils disposent à volonté d’une dette publique dont l’opinion publique est relativement peu familière et qu’ils se préoccupent fort peu de prendre en compte les facteurs économiques et humains nécessaires.

 

L’inefficacité de l’action publique

Leur motivation réelle relevant non pas de la recherche d’un intérêt général introuvable, mais d’une quête personnelle de conservation ainsi que du désir de briller au-dessus des autres en tant qu’élu ou haut fonctionnaire, il en découle une inévitable inefficacité de l’action publique, ainsi que l’ont très bien expliqué Hayek, Rueff, Friedman ou l’École du choix public :

Il résulte de cette situation d’irresponsabilité intrinsèque des hommes politiques qu’on peut presque poser par principe que les grands projets portés et favorisés par l’État sont voués au gaspillage ou à l’échec. La lecture des rapports de la Cour des comptes est toujours très instructive… après coup, l’abandon de SIRHEN n’étant qu’un écroulement de plus dans un édifice déjà bien délabré.

Mais voilà que surgit une nouvelle inquiétude. Suite à la nomination de Didier Migaud à la tête de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie publique (HATVP), la première présidence de la Cour des comptes est vacante depuis un mois. On a beaucoup parlé de Pierre Moscovici pour le remplacer et on évoque maintenant la ministre de la Justice Nicole Belloubet.

Autant Migaud, nommé initialement par Nicolas Sarkozy, appartenait à l’opposition socialiste de l’époque, autant ni Moscovici ni Belloubet ne peuvent faire figure d’opposants à Macron, sans compter que pour la dernière, il s’agirait plutôt du recasage d’une ministre largement démonétisée à force de se répandre en propos incompatibles avec l’expertise juridique qu’elle est censée posséder.

La Cour des comptes… qui a pour mission de s’assurer que l’exécutif fait bon usage de l’argent public. Cherchez l’erreur.

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  • le probleme de l’action publique c’est qu’il n’y a pas de responsabilité identifiable..
    Dans le privé il y a un responsable de projet… qui se fait virer si çà dérape et on attends pas 10 ans pour s’en rendre compte

  • Ce genre de ratage n’est pas réservé à la fonction publique, voir Lidl et SAP par exemple.

    Idem pour les dépassements de budget, c’est banal.

    On cherche a numériser des organisations qui n’ont jamais été pensé pour ça.

    Sans jamais avoir rien eu a voir avec Education nationale, je sais déjà sur quoi ils ont buté, une extrême complexité des RH avec des cas particuliers partout , et un fonctionnement officiel n’ayant rien à voir avec la réalité du terrain.

    Ajouter à ça une incompétence générale sur l’outil informatique , et ce qu’il est capable de faire , les inévitables intrigues politique des grandes organisations hiérarchique avec des mandarins voulant chacun retirer son épingle du jeu, et vous obtenez ce genre de résultat.

    Si on privatisait demain la fonction publique, en gardant la même taille, on aurait les mêmes types de résultats.

    C’est un problème de gouvernance et d’organisation interne, pas de public privé.

    • Oui mais deux remarques pour la fonction publique :
      Le côté systématique des projets qui finissent en catastrophes…
      Et il n’y a jamais de sanction pour les responsables, le seul b…. c’est le contribuable…

    • Le souci, c’est que dans un cas c’est le contribuable qui est obligé d’éponger les dettes et pas dans l’autre.

    • « …une extrême complexité des RH avec des cas particuliers partout , et un fonctionnement officiel n’ayant rien à voir avec la réalité du terrain… » Nous avons probablement travaillé dans la même organisation…
      Les services centraux édictent des règles applicables partout, mais localement, on n’en applique que ce que l’on a compris et retenu, et personne ne contrôle. Quand arrive l’application informatique censée mettre de l’ordre, l »échelon local n’y retrouve pas ce qu’il fait, alors, « c’est l’ordinateur qui se trompe ».
      Les cas particuliers étant le plus souvent gérés localement, ils ne sont connus qu’une fois l’application entrée en service. Ils ne sont donc pas intégrés « proprement », dès l’analyse préalable, mais font l’objet d’une « verrue » ajoutée après coup et qui risquent de générer des bugs . Ce qui est d’autant plus gênant que, de verrues en verrues, le programme devient illisible.
      A mon humble avis, il y a une culture de la conduite des projets informatiques qui est absente de la formation des décideurs.

  • Que de belles machines en illustration 🙂

  • les personnages responsables des avancées technologiques à reculons sont-elles éduquées ? sinon dehors, elles n’ont rien a faire à l’éducation nationale !

  • Moscovici !.. DEA de sciences économiques, DEA de philosophie, diplômé de Sciences Po, sorti sixième de l’ENA, conseiller maître à la Cour des comptes, député européen, député du Doubs, ministre des Affaires européennes, puis de l’Économie et des Finances… Mais au bout de trente ans de fonctions éminentes, il ne déclara à son entrée en fonction en 2012 qu’une fortune de 268.124 €, immobilier compris. Soit 100.000 € de moins que le patrimoine moyen des ménages français. C’était bien la peine de faire autant d’études ! Ou alors…

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