Comment redonner de la liberté aux agriculteurs ? (4)

L’UE est particulièrement interventionniste avec une moyenne de 20 % des revenus bruts des agriculteurs réalisés par la redistribution forcée ces dernières années. Découvrez en 6 épisodes comment redonner de la liberté aux agriculteurs.

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Comment redonner de la liberté aux agriculteurs ? (4)

Publié le 26 février 2020
- A +

Par Laurent Pahpy.
Un article de l’Iref-Europe

Retrouvez les deux premières parties de l’article ici , ici et ici.

 

Une agriculture sous perfusion

Dans beaucoup de pays, l’agriculture fait l’objet de politiques de soutien massif supportées par l’argent du contribuable.

L’OCDE évalue cet interventionnisme en estimant la part du revenu brut des agriculteurs qui correspond à des subventions. Comme présenté figure 4, malgré une baisse des subventions de la PAC, l’UE reste particulièrement interventionniste avec une moyenne de 20 % des revenus bruts des agriculteurs réalisés par la redistribution forcée ces dernières années.

Figure 4 : subventions agricoles estimées en proportion du revenu agricole brutOCDE, Agricultural support data https://data.oecd.org/agrpolicy/agricultural-support.htm#indicator-chart

 

Les subventions agricoles sont pour majeure partie déterminées par l’Union européenne (UE). Elles constituent une part considérable du budget des institutions bruxelloises (39 %) puisque 408 milliards d’euros sont alloués pour la période 2014 – 2020 dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC, voir annexes 1 et 2). Ces dernières années, la part distribuée aux agriculteurs français se situe autour de 9,1 milliards par an.

En plus des subventions européennes, il faut prendre en compte le financement du déficit colossal de la MSA, soit 24,3 milliards (voir partie 8).

Ce sont donc 33,4 milliards que le contribuable français est forcé de débourser pour le secteur agricole chaque année, soit environ 100 euros par ménage et par mois. Une telle somme équivaut à une augmentation de 15 % du budget alimentation moyen des familles françaises.

Ces chiffres ne prennent en compte ni les subventions éventuelles des collectivités locales ni les surcoûts associés à la politique protectionniste de l’UE vis-à-vis des importations des autres continents.

Plusieurs raisons sont invoquées par les défenseurs du dirigisme agricole pour justifier l’injection massive d’argent public dans le secteur agricole (voir aussi la liste des subventions européennes ci-après) :

  • la volatilité des prix qui caractérise les marchés agricoles, car ils ne s’autoréguleraient pas
  • le soutien à des formes alternatives d’agriculture telle que l’agriculture dite biologique
  • la protection de certaines formes d’agriculture qui seraient en danger, par exemple le pastoralisme, les petites exploitations familiales ou des productions jugées traditionnelles
  • le maintien de l’emploi agricole avec le soutien à l’installation de jeunes agriculteurs
  • l’aide aux handicaps qui peuvent affecter certains exploitants tels que les handicaps naturels, climatiques ou les aléas sanitaires
  • le développement des territoires ruraux et la protection de l’environnement
  • le financement des externalités positives générées par les activités agricoles
  • l’autosuffisance ou la « souveraineté » alimentaire

 

Les dérives des subventions

Toutefois, en plus de générer un coût caché pour le contribuable et le consommateur, les subventions entraînent de nombreuses dérives.

Au moins six raisons contredisent le bien-fondé des subventions publiques appliquées à l’agriculture :

Les subventions sont un transfert forcé des ressources des plus pauvres vers les plus riches

Parmi les premiers bénéficiaires de la PAC se trouvent des grands groupes comme la société Doux, premier producteur européen de volailles (28 milliards de subventions en 2013) ou des associations de producteurs de vins haut de gamme comme le Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (3,3 millions en 2015).

Ce principe du « Robin des Bois à l’envers » s’applique notamment à l’agriculture dite biologique. Tous les contribuables sont forcés de subventionner des aides spécifiques pour les agriculteurs biologiques alors que ce sont les plus riches qui consomment ces produits : 24 % des catégories sociales les plus aisées (PCS+) consommaient du « bio » une fois par mois en 2012 contre 15 % pour les employés, les ouvriers et les professions intermédiaires (PCS-).

Les subventions créent des illusions de richesse qui faussent les signaux de marché

Dans la plupart des industries, les prix de marché donnent des indications essentielles sur l’offre et la demande. Les profits générés permettent d’investir et de prendre des risques en innovant pour produire toujours mieux et pour moins cher. En faussant ces indicateurs par des subventions, les ressources ne peuvent plus être allouées aux investissements les plus pertinents. Les plus compétitifs comme les moins compétitifs sont maintenus à flot.

Cela empêche les meilleurs de grossir tout en entretenant la soutenabilité des entreprises les moins efficientes. Des surproductions, des mauvaises allocations des terres, des augmentations artificielles des prix ne sont alors que des conséquences logiques de telles politiques interventionnistes.

Le graphique présenté figure 5 montre que les subventions constituent une part considérable de la valeur ajoutée nette moyenne des exploitations en Europe, particulièrement en France. Le montant des subventions hors investissement correspond peu ou prou à ce qu’il reste pour l’exploitant après avoir payé ses charges (le revenu net d’exploitation).

Ces chiffres doivent être considérés avec précaution car ces moyennes cachent des disparités considérables entre les exploitations. Ces dernières peuvent faire de quelques hectares à plusieurs centaines.

Par ailleurs, certaines cultures comme la vigne sont beaucoup moins subventionnées. Ce sont potentiellement des dizaines de milliers d’exploitations qui sont artificiellement maintenues à flot par le contribuable.

Concrètement, pour un euros de subvention, un exploitant obtient environ un euro de revenus. Dans de nombreux cas, il serait plus rentable de percevoir la subvention et de ne pas travailler. Ce n’est pas les servir que de maintenir une telle illusion de productivité.

Le maintien de l’emploi agricole est un objectif politique affiché par de nombreux politiciens et syndicats. Cela explique la mise en place d’aides spécifiques pour les jeunes agriculteurs et les aides découplées pour les petites exploitations. L’emploi agricole, considéré comme une fin en soi, est ainsi artificiellement maintenu élevé par des subventions pour des raisons électoralistes et corporatistes.

Figure 5 : indicateurs des performances économiques moyennes des fermes de différents pays de l’UE (les montants sont en euros pour l’année 2014)IREF à partir des données de la Commission européenne Farm Economy Focus https://ec.europa.eu/agriculture/sites/agriculture/files/statistics/factsheets/pdf/fadn-fef-eu-2014_en.pdf, 2014

 

Les subventions tendent à multiplier les scandales

Lorsque la distribution des ressources des contribuables est soumise à l’arbitraire politique plutôt qu’aux mécanismes de marché, de nombreux conflits d’intérêts émergent.

Les plus gros syndicats agricoles, dont les membres détiennent des postes dans l’administration peuvent privilégier les leurs. On peut aussi observer de nombreux cas de fraudes aux subventions.

Les subventions génèrent des coûts administratifs et des contrôles improductifs

Le paiement des aides et le contrôle de leur bonne allocation nécessitent une administration considérable. Pour le versement des aides européennes, deux agences, l’ASP et FranceAgriMer, dont le budget de fonctionnement cumulé s’élève à 373 millions d’euros en 2014, emploient plus de 3300 agents.

Ce sont autant de ressources humaines et financières qui sont allouées pour des démarches administratives plutôt qu’au bénéfice d’activités productives. Ces coûts administratifs affectent tout autant les agriculteurs qui doivent remplir des dossiers extrêmement complexes et subir des contrôles pointilleux. Ils doivent aussi être capables de comprendre à quelles subventions ils ont le droit en répondant quelles exigences. Bien souvent, ils délèguent ces tâches à d’autres organismes qui prennent eux aussi leur commission, détournant ainsi une partie des subventions de leurs objectifs initiaux.

Liste (simplifiée) des subventions européennes

Les subventions appellent les subventions

Si les subventions cessent, des activités économiques considérables devenues dépendantes de l’argent public peuvent s’effondrer du jour au lendemain. Il n’est alors plus possible de mettre fin à leur financement obligatoire pour les maintenir à long terme.

Les subventions servent des intérêts politiques et des idéologies

Les subventions sont justifiées par la nécessité de respecter certains modèles idéologiques tels que l’agriculture dite biologique avec les « aides à la conversion et au maintien de l’agriculture biologique ». Or, il appartient à chaque consommateur de choisir un mode de consommation particulier. Avec les subventions, l’État se substitue aux consommateurs (voir point 1.) en détournant leur pouvoir d’achat.

 

Faire place à l’innovation

C’est à chacun de décider quelle consommation lui convient le mieux et il est infantilisant que les institutions publiques décident à sa place. Sans subventions, des ressources seraient libérées pour l’innovation. Un plus grand nombre de modèles agricoles adaptés à la pluralité des préférences des consommateurs pourrait voir le jour.

Plusieurs pays ont décidé de supprimer leur soutien public massif à l’agriculture. D’après l’OCDE, le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Australie, le Chili et la Nouvelle-Zélande subventionnent de manière extrêmement limitée voire pas du tout leurs agriculteurs (inférieur à 5 % du revenu brut), et ce depuis plusieurs dizaines d’années. La Nouvelle-Zélande pourrait être une source d’inspiration pour une réforme radicale et ambitieuse.

Dans les années 1980, les agriculteurs néo-Zélandais recevaient plus de 30 % de leurs revenus bruts sous forme de subventions. En une dizaine d’années, le gouvernement travailliste a limité drastiquement cette redistribution forcée (moins de 5 % en 1990) tout en ouvrant le marché aux importations et aux exportations. Bien entendu, comme toute industrie sous perfusion, cette réforme ne s’est pas faite sans douleur.

De nombreuses exploitations ont fait faillite, mais les fermes les plus compétitives ont pu se restructurer et se fournir à l’étranger à moindre coût. Leurs revenus ont augmenté et leur situation s’est largement stabilisée depuis. C’est aujourd’hui une des agricultures les plus compétitives et les plus durables du monde. Elle exporte notamment ses produits laitiers, son vin, sa viande de bœuf et de mouton sur les marchés asiatiques.

Face aux effets pervers des subventions, il est urgent de rétablir les signaux de marché, libérer le pouvoir d’achat du contribuable et laisser les exploitations les plus compétitives innover. Ce n’est pas servir les agriculteurs que de maintenir les exploitations les moins compétitives artificiellement en vie, au nom du maintien de l’emploi agricole. C’est au consommateur de sélectionner les perdants et les gagnants. L’État et l’UE doivent laisser les préférences individuelles dicter la demande. Face à la volatilité des prix, les agriculteurs peuvent s’organiser eux-mêmes pour limiter le risque comme c’est le cas dans de nombreux pays avec les marchés à terme. Il serait pertinent d’envisager les négociations sur la PAC post 2020 avec une stratégie de sortie progressive et définitive du financement forcé de l’agriculture européenne en prenant pour modèle la réforme agricole néo-zélandaise dans les années 80. FranceAgriMer et les services de l’ASP en charge de l’agriculture pourraient alors être supprimés.

Article initialement publié en mars 2018.

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  • Une analyse correcte, mais qui oublie un point crucial : la transition vers moins ou pas de subventions ne se réussira que si les contraintes réglementaires, environnementales, entrepreneuriales, etc. qui minent la rentabilité des entreprises agricoles sont levées en même temps (voir avant pour laisser le temps d’opérer).

    Pour illustrer par un ex., il faut savoir que le marché des terres agricoles n’a rien de libre. Tout terrain agricole à la vente est préemptable par une SAFER parce que cela contribue à leur financement (cercle vicieux). Quand on sait que les administrateurs SAFER sont généralement les mêmes qui sont au Crédit Agricole, à la MSA, à la FDSEA, aux JA, et autres CDOA, on comprend que la mission de la SAFER est de redistribuer non aux jeunes qui s’installent, mais aux copains qui tiennent les rênes de ces organismes, avec les renvois d’ascenseurs habituels.

    Un moyen de contourner cette perte de liberté à choisir votre acheteur et le copinage qui en découle, est de mettre en société : les SAFER avaient réussi à persuader le législateur de lui donner le pouvoir de préempter aussi les parts sociales lors de ventes partielles, ce que le Conseil constitutionnel a heureusement censuré. Elles conservent leur droit de préemption en cas de vente totale mais nul doute qu’elles retenteront plus tard de s’accaparer cette dernière parcelle de liberté.

    Un autre ex. : les CDOA. Ces structures président aux destinées du contrôle des structures, c’est à dire que si vous avez réussi à acheter (ou louer) une terre, ce n’est pas pour autant que vous avez le droit de l’exploiter (ce serait trop facile). Ces sont les CDOA qui vous autorisent (ou non) à exploiter. Oui, au XXIème siècle en France, nous avons un contrôle des structures, car vous le savez bien, il ne faudrait pas qu’un exploitant agricole s’arroge l’ensemble des terres face aux pov’ petits paysans … Là aussi copinage et connivence sont de rigueur.

    Donc supprimer les subventions est très bien, mais il faudrait aussi veiller à supprimer toutes ces organisations, structures, réglementations, obligations et interdictions parasites qui restreignent les capacités et efforts d’adaptation de la profession (j’en fais partie).

    • SAFER et CDOA sont les mamelles d’une corruption généralisée de ce milieu d’administrateurs soit disant issus de la profession qui n’ont plus vu une vache ni monté sur un tracteur depuis des lustres..

    • @ TIMTIsfree
      Si je vous comprends bien, la France qui, me semble-t-il, ne s’est jamais révoltée contre les subventions accordées par la P.A.C., a surtout du souci à se faire avec sa propre organisation très administrée, bien sûr, où la corruption est dite « non absente »!

      Bon, on sait qu’aucun pays ne respecte les principes libéraux à la lettre, tels qu’édictés sur Contrepoints, dans cet article, et la France n’a pas les moyens de « tenter le coup »!
      Les U.S.A. n’ont pas la réputation d’être un pays collectiviste: voir:

      https://fr.ictsd.org/bridges-news/passerelles/news/le-co%C3%BBt-des-subventions-agricoles-am%C3%A9ricaines-conna%C3%AEt-une-hausse

      Là-bas aussi, il y a des subventions! Alors, la France!

      • Ce que je veux dire est qu’on peut vouloir supprimer les subventions comme en NZ, mais qu’il faut aussi et surtout s’attacher à supprimer les contraintes d’exploitation comme en NZ. Par ex. la surface moyenne d’exploitation est de plus de 250 ha en NZ, mais n’est que de ~60 ha en France car pas de mobilité des terres à cause des SAFER. Impossible de rentabiliser sur une surface aussi petite.

        La suppression passe donc d’abord par une réelle liberté de s’installer, de s’agrandir et de commercer, et une non moins réelle diminution drastique de l’administration à toutes les échelles du mille-feuilles franco-européen (par ex. l’Agriculture est le seul ministère qui a vu son personnel fortement augmenter alors que dans le même temps le nombre d’agriculteurs diminuait significativement !).

        • c’est pire que ça… il ne s’agit pas simplement de supprimer les contraintes de toutes natures pour revenir à une situation « juste » . A l’instar des taxis ayant acheté fort cher une licence…des gens ont dépensé de l’argent là où il ml’auraient pas du le faire si l’ensemble des contraintes n’avaient pas existé car ils ont été obligés à le faire ,il faut donc rembourser de la part de l’état qui est le responsable de cette situation.

  • ASP et France AgriMer, 373 M€ en 2014 de frais de fonctionnement pour 3300 agents, soit plus de 110.000 € par agent, c’est plus que le revenu moyen d’un agriculteur. je suis choqué par ces chiffres. une honte!

    • n’oubliez pas que les subventions avaient un but…que très souvent on peut dire « inestimable » comme entretenir les paysages, maintenir les haies, maintenir des population rurales , être indépendant pour notre nourriture..etc etc…. donc, quand on a des lubies, on paie pour..

  • il faudrait savoir :un jour nous mangeons trop de viande et 48 heure après il faut acheter de la viande pour aider les agriculteurs et surtout ne pas la manger….
    heureusement que le ridicule ne tue pas !!!!

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