Les trois fossoyeurs de l’avenir du Zimbabwe

Il existe trois obstacles à une rupture décisive avec le système politique corrompu qui sévit dans le pays : l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front Patriotique au pouvoir, son président et son principal soutien, l’armée.

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Riddlesden Angel 1 By: Tim Green - CC BY 2.0

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Les trois fossoyeurs de l’avenir du Zimbabwe

Publié le 22 décembre 2018
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Par James Hamill.
Un article de Libre Afrique

Le nouveau président du Zimbabwe, Emmerson Mnangagwa, a été accueilli prudemment, avec l’espoir qu’il ramène le Zimbabwe sur une trajectoire plus démocratique. Il a évoqué une nouvelle démocratie « en train de se développer » au Zimbabwe. Mais c’était un vÅ“u pieux car il existe trois principaux obstacles à une rupture décisive avec le système politique corrompu et dysfonctionnel qui sévit dans le pays : la Zanu-PF (L’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front Patriotique) au pouvoir, son président et son principal soutien, l’armée.

Le monopole politique de la Zanu-PF

La Zanu-PF constitue un formidable obstacle au progrès démocratique du pays. Le Zimbabwe a maintenu l’apparence extérieure d’une démocratie multipartite depuis l’indépendance en 1980. Mais c’est bien une dictature à parti unique. Dans la sphère politique, la Zanu-PF a instauré la culture de jeu à somme nulle : elle doit toujours l’emporter et ses adversaires doivent être écrasés.

Certes les partis d’opposition existent officiellement, mais ils n’ont pas été autorisés à remporter des élections. Si une telle possibilité se présentait – comme ce fut le cas en 2002, 2008 et 2013 – les élections seraient truquées pour préserver le statu quo. La Zanu-PF fournit l’exemple le plus éloquent de la culture de l’exceptionnalisme qui a caractérisé le parti de la libération au pouvoir incluant sa conviction qu’il a le droit de gouverner indéfiniment, son refus de se considérer comme un parti politique ordinaire, sa fusion avec l’appareil étatique, et sa diabolisation d’autres partis comme des « ennemis de la libération » cherchant à rétablir le colonialisme ou la domination de la minorité blanche.

La façon dont la Zanu-PF a colonisé l’État depuis près de quatre décennies signifie qu’il existe un vaste réseau de clientélisme établi pour faciliter le pillage des ressources de l’État. Le changement démocratique et la gouvernance éthique constituent une menace mortelle pour ces réseaux, et il est peu probable que de tels privilèges soient abandonnés sans une résistance intense.

Un nouveau président consacrant la continuité

Le sombre passé de Mnangagwa n’incite pas à croire à un nouveau départ. Il a exercé les fonctions de « ministre de la justice » de Mugabe jusqu’en novembre 2017. Il a joué un rôle crucial dans l’effondrement de l’état de droit et l’implosion de l’économie zimbabwéenne. De même, il a joué un rôle central dans les violations flagrantes des droits de l’homme qui ont caractérisé le régime de la Zanu-PF. Cela inclut les meurtres commis dans les années 1980 dans le Matabeleland.

C’est un passé dont il a nié toute responsabilité. Son langage plus conciliant ne se traduit pas dans ses actions. Après son élection, il a nommé une administration composée de copains, de partisans de l’armée et de « vétérans de la guerre. » Ces nominations semblaient consolider le pouvoir de la faction désormais dominante de la Zanu-PF, les « sécurocrates » de la vieille garde qui avaient mis en échec la faction tout aussi maléfique du G40 de Grace Mugabe par le biais des armes à feu plutôt que par un processus démocratique.

Après avoir attendu tant d’années pour décrocher le poste suprême, il est difficile de risquer la perte de son butin durement gagné en misant sur un programme de démocratisation.

Les militaires, gardiens du temple de l’autoritarisme

Le rôle joué par les forces de défense zimbabwéennes dans la destitution du président prouve leur place d’acteur politique privilégié et déterminant de l’ensemble du système politique. L’armée n’a jamais été un gardien neutre de la constitution. Elle a bien au contraire toujours été une extension hautement politisée du parti au pouvoir, une sorte de milice politique.

Auparavant, son rôle était limité à la répression des opposants au parti au pouvoir et au maintien de sa domination. Le principe d’un régime civil a été respecté même si ce modèle de relations civilo-militaires n’a pas respecté des normes démocratiques. Mais avec le coup d’État, les militaires ont franchi une ligne. Ils ont déterminé l’issue des luttes de pouvoir au sein même du parti au pouvoir.

De la même manière que l’armée a été politisée, le système politique a été fortement militarisé. C’est le cas de plusieurs anciens combattants militaires clés qui ont été nommés au gouvernement, comme Mnangagwa a été candidat de l’armée à la présidence. Il s’agit essentiellement du visage civil du régime quasi-militaire au Zimbabwe.

Voir le retrait de Mugabe par l’armée comme une bonne nouvelle, c’est ignorer le fait qu’elle n’a aucune notion de l’intérêt national ou qu’elle considère cet intérêt national comme synonyme du sien et de celui de la Zanu-PF. Il s’agit d’une « démocratie de caserne » efficace au Zimbabwe. L’armée a obtenu un veto sur les dirigeants du parti au pouvoir et sur le processus politique au sens large. Elle se réserve également le droit de rejeter les résultats d’élections qu’elle n’approuve pas ou de prendre des mesures qui pourraient empêcher ces résultats de se concrétiser.

Il est dangereusement naïf de s’attendre à ce qu’une telle force facilite une véritable transition démocratique lorsque sa raison d’être a toujours été de préserver le régime du parti unique (sous la direction de son choix), de neutraliser les opposants, et de préserver ses propres réseaux de corruption.

Des perspectives troublantes

La véritable démocratisation – par opposition au simple maintien des formes procédurales d’un gouvernement démocratique – est un anathème pour le parti au pouvoir, son président et les forces armées du Zimbabwe. Il est évident que leur tâche sera triple dans les prochains mois. Ils doivent obtenir un soutien pour un semblant de libéralisation ; arrêter les ennemis politiques pour corruption plutôt que de s’attaquer à la corruption en soi, et installer l’écran de fumée d’une rhétorique démocratique théâtrale.

Leur espoir est que cette sombre mascarade suffise à garantir l’aide, les investissements et l’approbation de donateurs extérieurs, alors que rien même que rien n’a changé dans les relations de pouvoir à l’intérieur du pays. Dès lors, toute personne attachée à la démocratie au Zimbabwe – à l’intérieur ou à l’extérieur du pays – devrait commencer à se mobiliser contre ce projet le plus tôt possible.

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  • qui détient les armes a grand pouvoir entre les mains ;

  • Au risque d’être brutal, pour avoir visité le Zimbabwe à plusieurs reprises et bien connaître cette région de l’Afrique, je dirai qu’il faut couper les vivres à ce régime ultra corrompu pour que le peuple se rebelle et exige une intervention politique extérieure qui chasse sa classe politique indigne.
    Les Zimbabwéens souffrent dans leur chair à un point inimaginable ; j’ai vu ces pauvres gens faire la queue devant les banques pour retirer quelques dollars (la monnaie nationale n’existe plus (elle avait atteint 231 000 000 % d’inflation)) ; on admet l’USD et l’Euro, parfois le dollar Sud-Africain), ces campagnes à l’abandon après qu’on en ait chassé les fermiers blancs, les routes bitumées, défoncées et envahies par les terres apportées par le vent, l’usine de caoutchouc de Hwange crachant ses suies couvrant la végétation.
    Il reste encore quelques pillards locaux et occidentaux qui pompent ce qui reste à prendre.
    A l’écart des enjeux régionaux, ce pays est abandonné.

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