La presse bousculée par le numérique

La presse a été touchée de plein fouet par la révolution internet. Elle est présentée comme un secteur en perdition qui a besoin de l’aide de l’État. Pourtant, c’est surtout un secteur en pleine transformation, qui invente de nouveaux process.

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La presse bousculée par le numérique

Publié le 27 septembre 2018
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Par Vladimir Vodarevski.

Quel avenir pour la presse ? Qu’elle soit quotidienne, régionale, ou magazine, c’est la grande question. Internet a été un choc pour elle ; il l’est toujours après plusieurs années. Son avènement a mis les journaux en difficulté. Les groupes se restructurent. Un magazine comme L’Expansion a disparu. Le groupe Lagardère s’est délesté de la majeure partie de sa presse. Marie-Claire a cédé Marie France. L’audience de la presse a baissé, et ses revenus encore plus. Quels sont les maux de la presse, et comment le secteur y fait-il face ?

Une crise de la publicité

Quelques chiffres résument la situation de la presse, qu’elle soit quotidienne ou magazine. Le ministère de la Culture publie de longues études sur le secteur. Tous types de presse confondus, les recettes tirées de la publicité sont passées d’un pic de 4 828 420 000 € en 2007 à 2 380 108 000 € en 2015, soit moins que le chiffre de 1985 qui s’élevait à 2 553 776 000 €. On mesure l’ampleur de la chute en seulement huit ans.

Dans le détail, on constate que les petites annonces ont particulièrement souffert : elles atteignent seulement 479 951 000 € en 2015, contre un pic de 1 624 706 000 € en 1990.

Les recettes de ventes sont passées d’un pic de 6 064 626 000 € en 2004, à 4 990 948 000 € en 2015. Ce sont les ventes au numéro qui baissent le plus, passant de 3 812 109 € en 1999, à 2 4868 781 € en 2015.

Le modèle économique de la presse reposait sur la publicité, qui en finançait donc le contenu. Ainsi Le Figaro du lundi comportait un cahier économique qui était un véritable hebdomadaire, pour le prix habituel. Il était financé par les offres d’emplois destinées aux cadres qui y étaient publiées, et qui pouvaient provenir de grands cabinets de ressources humaines. Aujourd’hui, le cahier couleur saumon du lundi est identique aux autres jours.

Les magazines tentent toujours de recruter des abonnés par une avalanche de cadeaux. Pour le prix d’un abonnement, on vous offre le smartphone, la montre, et le stylo si vous vous décidez rapidement. Vous pouvez parfois avoir un abonnement sans cadeau mais à un prix très réduit. Ils ont besoin de capter et d’entretenir une large base d’abonnés.

L’apparition d’internet a fait apparaître de nouvelles possibilités publicitaires qui ont concurrencé la presse. Surtout, internet a bouleversé le marché des petites annonces. Les gratuits distribués dans les boîtes aux lettres chaque semaine ont ainsi quasiment disparu. C’est tout un modèle économique qui est chamboulé.

Une monétisation difficile

La presse est bien entendu présente sur le net, et propose de la publicité sur ses sites. Mais la monétisation s’avère difficile et moins rentable que sur le journal ou le magazine papier imprimé.

La presse a augmenté le prix de ses publications papier. Ceci est vrai pour les quotidiens comme pour les magazines. Certains clients préfèrent le papier, et sont prêts à payer ; une politique à double tranchant, car la baisse des revenus entraîne une baisse de la qualité, une hausse des tarifs peut rebuter les lecteurs. Mais le print reste rentable pour la presse traditionnelle.

Sur le net, le modèle payant n’est pas évident à trouver. D’abord, les clients ont des choix budgétaires à faire en matière de médias : abonnement à Canal Plus, Bein, Netflix. Sur internet, la presse est en concurrence avec les autres médias. Par ailleurs, il faut avoir quelque chose à vendre.

L’un des rôles traditionnels de la presse était celui d’être une courroie de transmission. Pour prendre connaissance des communiqués ministériels, de l’INSEE, des entreprises, des syndicats, pour connaître les dépêches d’agences de presse, il fallait acheter un journal. Aujourd’hui, ces communiqués sont présents sur différents sites, sans trop de différences. Ils sont donc devenus des produits d’appel, diffusés gratuitement. La presse doit offrir désormais une valeur ajoutée.

La presse est en outre confrontée à une autre concurrence sur le net : celle des blogs, des think tanks, qui offrent des analyses gratuites de qualité. L’internaute ayant le temps peut la trouver à la source sur le net : site de l’INSEE, d’un ministère, d’un think tank. Il peut selon ses compétences livrer une analyse au moins aussi pertinente qu’un journaliste professionnel.

Enfin, il faut trouver le bon modèle économique. Les journaux ont d’abord tout offert gratuitement. Ils mettent maintenant en avant différents modèles : le modèle du style freemium, avec une partie gratuite et une partie payante ; le modèle avec un nombre mensuel très limité d’articles gratuits. S’ils veulent développer un modèle payant, les journaux doivent néanmoins attirer le chaland en exposant la marchandise.

Deux marques réussissent très bien à se vendre dans les médias, sans difficulté apparente, du seul fait de leur réputation. Il s’agit du Financial Times et de The Economist. Ce sont des médias réputés, mondiaux, qui pratiquaient des tarifs élevés avant l’arrivée d’internet. Une part des abonnements provient des entreprises, le passage à l’internet payant ne semblant pas leur avoir posé problème !

La stratégie de groupe

Cependant, la situation des groupes de presse est à nuancer. On peut ainsi considérer que le groupe Shibstedt, éditeur de 20 Minutes en France, est en difficulté du fait de la baisse de la publicité ; mais le groupe possède le site de petites annonces — et bien plus aujourd’hui —, Le Bon Coin. Ce qu’il a perdu au niveau du journal, il l’a récupéré, et sans doute bien davantage, en rachetant Le Bon Coin.

Un bon exemple de rebondissement au sein d’un groupe est celui du Figaro. Le quotidien semble en difficulté, car il a perdu ses petites annonces en ressources humaines et immobilier, récupérées par le groupe via sa filiale Figaro Classified qui a récupéré le business de ces petites annonces. Le groupe Le Figaro a d’ailleurs repris le réseau social Viadeo. Il y a des synergies évidentes avec son activité de petites annonces emploi.

Le Groupe Le Figaro a aussi repris la société CCM Benchmark, laquelle possède des sites d’information spécialisés, une compétence dans le brand content, et dans le marketing internet. Le Groupe Le Figaro s’inscrit ainsi dans la nouvelle ère des médias.

Le renouvellement du modèle publicitaire

Le groupe Lagardère a vendu une série de titres à un nouvel acteur sur le marché, Reworld Media. Investissement-plaisir d’un investisseur qui cherche une danseuse ? Que nenni. Reworld Media compte bien rentabiliser ses acquisitions.

Reworld Media possède un pôle media, différents medias spécialisés pour attirer le lecteur, un pôle pour concevoir du brand content. C’est-à-dire qu’il peut publier des communiqués ou des publicités pour développer une marque au milieu des articles de ses médias, il allie média et insertion de publicité. Il y ajoute la mesure de la performance, avec la société Tradedoubler. Plus qu’une société de médias, c’est donc une société de technologie.

Par exemple, Reworld Media a créé un espace au sein de son site Auto-Moto co-brandé avec Les Furets (le comparateur d’assurances), l’objectif étant la récolte de contacts commerciaux. La société peut créer des contenus dans différents domaines pour alimenter des espaces publicitaires à destination des marques souhaitant développer leur réputation. C’est à la fois littéraire, puisqu’il faut des articles, et technologique, puisqu’il faut mesurer le rendement.

Infopro Digital fonctionne à peu près de la même manière. Il regroupe des sites B to B, de professionnel à professionnel assez puissants, comme L’Usine Nouvelle. Ce groupe rassemble des publications dans des domaines professionnels. Il crée aussi du contenu pour des marques. Il a aussi une importante activité d’événements, dans les secteurs professionnels des médias qu’ils possèdent. Il profite de la légitimité de ces médias, tout en s’appuyant sur l’audience pour promouvoir ses salons et autres événements, ces derniers entretenant ainsi la notoriété ; des synergies dans tous les sens donc. Les médias du groupe Infopro digital peuvent être payants, adopter un modèle freemium. Le groupe exploite toutes les sources de monétisations d’internet, et toutes les synergies possibles entre internet et d’autres vecteurs de communications comme les salons professionnels.

Dans les deux cas, les sociétés ont une composante technologique, consistant à trouver des contacts commerciaux pour les sociétés. Et elles l’associent à une compétence pour créer du contenu, pour leurs médias, ou pour des tiers, lors d’opérations de promotion d’une compétition d’E-Sport par exemple. Une société peut acheter du contenu pour valoriser une compétition de sports électroniques (ou LAN party).

Un groupe établi comme Le Figaro fait de même. Il utilise les compétences de CCM Benchmark, qu’il a racheté. Il utilise les même recettes, et profite de ses nouvelles marques pour aussi organiser des événements. Le Journal du Net fait partie de la galaxie du Groupe Le Figaro par exemple.

Toutes les sociétés ne disposent pas des moyens d’associer technologie et contenu. Mais on remarque que le modèle publicitaire perdure, associé avec de nouvelles méthodes de diffusion de la publicité. Un média se spécialise dans un domaine et vend une capacité à acquérir des contacts commerciaux. Les médias peuvent toujours se financer par la pub. Certains intègrent la composante technologique, d’autres non. Tous cherchent à faire du contenu publicitaire intégré, qui ressemble aux articles (mais on peut toujours faire la différence entre article et communiqué publicitaire).

Un foisonnement de transformations

La révolution de la presse ne se situe pas seulement au niveau de la distribution mais aussi de la production de contenu. Les nouveaux entrants comme Reworld Media mutualisent la production pour l’audience et pour le branding. Aujourd’hui, les rédactions doivent s’adapter, pour produire à la fois pour le journal imprimé, le print et l’internet, le digital.

Le parangon de l’adaptation est le Washington Post. Ce quotidien a été repris en 2013 par Jeff Bezos, principal actionnaire et fondateur d’Amazon. Bezos déclarait qu’il n’y connaissait rien à la presse, mais un peu en internet. Il a transformé le Washington Post. Les articles sont analysés pour déterminer les mots qui attirent les internautes. Le Washington Post a développé une application informatique facilitant la publication à la fois sur papier et sur internet. En s’adaptant aux technologies du net, le Washington Post a retrouvé le chemin de la rentabilité et de la croissance des abonnements payants (Cf l’article du Business Insider).

D’autres solutions de monétisation se développent également, telles que le don. Pour se développer, un pure player, comme Contrepoints, fait appel aux dons, en plus de la publicité. Contrepoints étant une émanation de l’association Liberaux.org, il est donc logique que ce magazine se développe via le don. C’est aussi le cas du quotidien socialiste britannique The Guardian, qui fait appel aux dons en plus de la publicité.

Il faut aussi considérer que le travail des journalistes est simplifié par internet. Une masse d’informations est disponible sur ordinateur, ce qui économise beaucoup d’argent.

Nous sommes loin de la vision apocalyptique de la presse condamnée par internet, ayant besoin du soutien de l’État. Nous sommes au milieu d’un foisonnement d’initiatives, et sans doute seulement à son tout début. Selon la théorie de l’entrepreneur d’Israël Kirzner, l’entrepreneur est celui qui saisit les opportunités. Et il y en a aujourd’hui beaucoup dans les médias.

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