Afrique : le fléau de la corruption entre dirigeants et multinationales

Les pays africains peinent à se défaire de la corruption tout simplement parce que la lutte manque de vraie volonté politique.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Afrique : le fléau de la corruption entre dirigeants et multinationales

Publié le 19 juin 2018
- A +

Par Mauriac Ahouangansi.
Un article de Libre Afrique

Au cœur des fléaux qui minent le continent africain figure, en tête de peloton, la corruption, surtout dans l’exploitation des ressources naturelles. L’Union africaine a d’ailleurs fait de la corruption l’un des dossiers prioritaires de son sommet de janvier 2018. Si la responsabilité des multinationales est souvent brandie, sont-elles réellement les seules fautives ?

Connivence entre dirigeants et multinationales

Les pays africains peinent à se défaire de la corruption tout simplement parce que la lutte manque de vraie volonté politique. En effet, les avancées de la lutte contre la corruption restent mitigées. Pour preuve le rapport 2018 de Transparency International, selon lequel la majorité des pays fermant la marche dans ledit classement sont africains.

Pourquoi ? Ceci s’explique par l’inaction sinon la complicité des dirigeants dans la surexploitation des ressources naturelles par les multinationales étrangères. Pour les dirigeants, c’est souvent un moyen de s’assurer à eux, leur entourage et à leur progéniture un train de vie élevé au détriment du bien-être des populations. En 1998, après la mort de l’ancien président nigérian Sani Abacha, les accords entre le Nigeria et la Suisse ont permis le rapatriement de 533 millions USD et cela rien que pour la Suisse !

Il s’agit de fonds issus du pétrole, détournés en complicité avec des multinationales exploitantes. Mieux, dealer avec les multinationales s’avère l’un des moyens les plus simples pour corrompre les différents maillons de la chaîne électorale et de s’assurer une réélection facile et répétitive. Selon Global Witness, en Guinée, Sable Mining aurait financé la campagne présidentielle 2010 d’Alpha Condé par des pots-de-vin versés via son fils.

Quant aux multinationales, corrompre les dirigeants les dispense d’une concurrence et d’un effort supplémentaire pour accéder aux marchés et aux ressources naturelles. Elles trouvent également de l’intérêt à ce que ces mêmes dirigeants se maintiennent au pouvoir pour la pérennisation de leurs deals. D’où leur implication souvent active dans la réélection de ces dirigeants.

L’affaire Bolloré qui défraie actuellement la chronique met en lumière un mécanisme dans lequel les chefs d’États guinéen et togolais auraient bénéficié de services sous facturés d’une filiale du groupe Bolloré dans leurs différentes campagnes présidentielles. Cela en échange de marchés très juteux dans les ports. L’alliance s’avère gagnant-gagnant. Mais que faire pour endiguer ce fléau ?

Protéger les lanceurs d’alerte

Les paradise papers ou les panama papers ont permis de démasquer des cas de corruption et de manœuvres suspectes, grâce à l’accès à des données sensibles. Il serait donc salutaire d’instaurer une protection juridique des lanceurs d’alertes pour encourager la société civile et les activistes à assurer une veille salutaire au bien commun.

Au Niger, par exemple, c’est la pression de la société civile qui a amené le gouvernement en 2014 à revoir son indécent favoritisme fiscal au profit du Groupe français Areva. Notons qu’en RDC, les rapports du Groupe d’étude sur le Congo, et l’ONG Global Witness, accablant Joseph Kabila et son entourage pour des cas de corruption et de détournement des rentes minières n’ont pas encore permis de l’inquiéter bien que des dizaines de milliards de dollars soient en jeu.

Davantage de transparence dans la passation des marchés

En outre, il faudrait réviser les codes de passation des marchés dans plusieurs pays et mettre en place des procédures claires et transparentes autour des concessions minières. Par exemple, les contrats miniers du groupe Sable Mining au Libéria et en Guinée ont été remis en question par l’ONG Global Wittness avec les preuves des manigances.

Malheureusement, les techniques de corruption se complexifient et appellent à des dispositifs de contrôle de plus en plus sophistiqués. Pour le suivi, il est urgent de créer des institutions autonomes, incluant des membres de la société civile outillés pour assurer une veille dans les administrations. De même, les contrats en cours de négociation devraient être impérativement soumis au parlement pour contrôle. Il faudrait en plus une justice indépendante et des Cours de comptes investies en la matière.

En ce sens, des accords entre les gouvernements devraient permettre d’une part, la levée rapide de l’immunité des personnalités politiques, et d’autre part une procédure judiciaire en harmonie avec les législations des pays d’origine des multinationales sur leur territoire.

Une franche collaboration des pays d’origine

Les réformes sur la transparence et l’État de droit sont certes nécessaires et urgentes mais difficilement réalisables à court terme au vu des nombreux obstacles restant à surmonter. Une situation qui appelle à l’implication des pays de provenance des multinationales où l’État de droit est plus fort.

C’est dans cette logique que la Convention de l’OCDE contre la corruption implique, pour les signataires, la mise en place de sanctions « efficaces, proportionnées et dissuasives», surtout concernant les cas de « corruption d’agent public étranger ». Même si cet accord est ratifié par la plupart des pays de provenance des multinationales depuis son adoption en 1998, très peu de cas ont abouti à des peines réellement dissuasives.

Les pays de provenance doivent donc aller plus loin en bloquant par exemple le financement des banques publiques au profit des multinationales corrompues. La Banque Européenne d’Investissement finance par exemple Glencore et beaucoup d’autres multinationales accusées de corruption et de pillage en Afrique par plusieurs rapports. Les pays d’origine pourraient établir des règles strictes concernant la traçabilité des fonds issus de ces transactions pour prévenir les détournements.

Aussi, un traité international devrait permettre de conférer une personnalité juridique aux multinationales et leurs filiales pour les mettre face à leurs responsabilités. Les mécanismes tels que Publish what you pay de l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives, de même que le reporting pays par pays du parlement européen, qui visent à rendre l’information financière disponible, doivent désormais être couplés à des sanctions.

La corruption naissant des connivences entre multinationales et dirigeants dans l’industrie extractive en Afrique est devenue très complexe et globale. Face à cela une approche globale et intégrée entre les pays d’accueil et de provenance est primordiale en lieu et place des tergiversations. Autrement le pillage ne connaîtra pas son épilogue de sitôt, la pauvreté non plus d’ailleurs.

Sur le web

Voir les commentaires (2)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (2)
  • On comprend ici pourquoi des milliers de migrants affluent en Europe pour fuir la pauvreté. Donc, continuons de les recevoir et le business pourra continuer en toute tranquillité…

  • L’article semble partager les responsabilités entre multinationales et dirigeants, or il me semble que d’une part ces multinationales sont parfaitement capables de se comporter loyalement ailleurs, et d’autre part que les sociétés nationales de ces pays ne sont pas exemptes de corruption non plus.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

En 2006, Julian Assange fonde WikiLeaks, une ONG qui publie des documents classifiés, les leaks (fuites), provenant de sources anonymes, souvent liés aux activités gouvernementales et militaires. Assange s’est notamment fait un nom en 2010 lorsqu’il a publié une série de documents classifiés de l’armée américaine. Accusé de conspiration pour avoir commis un piratage informatique et le fait d’être potentiellement un « espion », les États-Unis ont rapidement demandé son extradition, suivis par la Suède pour une accusation tout autre, à savoir d... Poursuivre la lecture

Avril 2021, alors que des procès en laxisme au sujet de la justice française fusent dans l’actualité, le nouveau garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, monte au créneau et exprime sa stupéfaction dans un entretien accordé au journal Le Monde : pour lui, c’est un gros malentendu, un problème de communication entre les magistrats et les Français qui ne font plus, à tort, confiance dans la justice de leur pays.

 

Pour le brave Éric du ministère de la Justice, de même que l’insécurité qui n’est qu’un sentiment peu étayé par la ... Poursuivre la lecture

L’Ukraine mène une deuxième guerre, intérieure celle-ci, contre la corruption.

En janvier 2023, le gouvernement ukrainien a été éclaboussé par des scandales de corruption impliquant le vice-ministre de la Défense et le vice-ministre des Infrastructures. Il se trouve que juste avant la guerre, le président Zelensky avait poussé à un tournant anti-corruption. L’Ukraine elle-même était déjà l’un des pays les plus corrompus du continent. Selon Transparency International, son indice de perception de la corruption pour 2022 était encore de 3... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles