Élections municipales en Tunisie : vers une victoire du parti islamiste ?

Ce dimanche 6 mai se tiennent des élections municipales en Tunisie : une victoire des Islamistes en vue ?

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Élections municipales en Tunisie : vers une victoire du parti islamiste ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 6 mai 2018
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Par Farhat Othman.

Le 6 mai, en Tunisie, se tient l’unique tour des premières élections municipales après la chute de la dictature. Une forte désaffection au vote y est attendue, annoncée déjà par les 12% de participation des sécuritaires, dimanche dernier, jour qui leur était réservé.

Peut-il y avoir une démocratie dans un État soumis encore aux lois de la dictature supposée abolie ? C’est la question à laquelle on est forcé de répondre à l’occasion des élections municipales en Tunisie, et qui viennent un peu tard pour que la réponse soit positive.

Manifestement, par cette votation, on cherche moins, en Tunisie, la démocratie au sens de plus de droits et de libertés au profit du peuple, ou l’État de droit, la législation en vigueur étant toujours celle de l’ancien régime, maintenue en l’état. Ce qu’on semble privilégier, c’est d’instaurer juste une sous-démocratie, une sorte d’État de similidroit où l’on feint d’organiser des élections dont le but est moins d’exprimer un vote libre que d’octroyer une légitimité à des partis assurés de gouverner selon un scrutin taillé sur mesure.

Victoire islamiste aux municipales ?

En l’occurrence, ce sont les deux mastodontes de la vie publique, les ennemis d’hier agissant comme larrons en foire aujourd’hui, et dont l’objectif est de se mieux user et abuser du pouvoir, qui se partagent les dépouilles de l’ancien régime dont ils bénéficient des lois scélérates.

Les municipales ne semblent avoir que ce but et elles viennent consacrer un partage évident des rôles entre les alliés islamistes du chef du parti Ennahdha, Ghannouchi, et les supposés modernistes du parti Nida, du président Essebsi.

Ces élections viennent bien tardivement, car elles auraient dû être organisées les premières, bien avant les législatives et la présidentielle de 2014, au vu de l’état déplorable des villes tunisiennes livrées à l’anarchie.

Or, cela l’aurait été quasiment à dessein et soigneusement entretenu pour donner la pire image des villes ; ainsi mettra-t-on mieux en valeur le rendement des nouvelles équipes municipales. En effet, quoi qu’elles fassent, le résultat sera forcément meilleur par rapport à l’état d’avant. C’est le premier objectif de ces municipales.

Le second est de donner aux islamistes un pouvoir local renforcé, ayant été décentralisé par le nouveau Code des Collectivités Locales et ce afin de se désintéresser quelque temps du pouvoir national. En effet, ils sont donnés largement vainqueurs de la plupart des villes du pays, non seulement dans leurs fiefs traditionnels, et ce grâce à d’illusoires listes supposées indépendantes outre la désaffection annoncées des électeurs. De plus, le mode de scrutin choisi favorise à la fois l’éparpillement des voix et la mainmise des plus grands partis.

Avec sa stratégie, de loin la plus sophistiquée, le parti islamiste serait donc gagnant sur tous les plans. Ce qui aurait été sa condition majeure en vue de laisser libre cours à son rival et néanmoins partenaire au pouvoir pour ne pas contrarier ses velléités d’initier certaines grandes réformes de l’arsenal législatif scélérat. Or, cela aura été le grand perdant du compromis contre nature entre les supposés islamistes modérés et les non moins supposés modernistes.

Un nouveau compromis moins stérile semble se dessiner et on en a vu un aspect avec l’issue trouvée pour la fin de la mission de l’instance controversée Vérité et Dignité (IVD) où les députés islamistes ont participé, sans nulle honte, à une mascarade parlementaire. Prenant bien part à la discussion de la loi mettant fin à l’existence de l’IVD présidée par leur protégée, Madame Ben Sedrine, ils se refusent, par la suite, d’aller jusqu’au bout de la procédure en se retirant du vote. Mais l’essentiel est acquis : ils permettent ainsi le résultat escompté, le seul qui comptait : le vote de la fin de la mission de l’IVD que voulait leur partenaire.

Une entente pour gouverner

On n’a fait qu’agir de même pour le lendemain des municipales : le parti islamiste auréolé de sa victoire qui sera éclatante dans les villes aura de quoi occuper ses troupes pour se désintéresser du gouvernement. Il laissera alors, pour à peine une année, le gouvernement à son allié pour se dépêtrer seul avec la politique nationale. Pour sa part, à l’échelon local, le seul qui compte désormais à ses yeux, il choisit de veiller à préparer minutieusement les législatives et la présidentielle de 2019, les futures élections qui comptent aux yeux islamistes.

Car leur chef, Rached Ghannouchi, entend bien se présenter à la présidentielle et aurait même déjà les assurances d’entrer à Carthage de la part de ses protecteurs, les partenaires de la Tunisie veillant à sa transition tant politique qu’économique. Ce serait le secret deal passé, sous les auspices occidentaux, avec son supposé rival, l’actuel président de la République.

On le voit désormais peaufiner son image de marque à l’étranger, osant enfin mettre une cravate et substituant le qualificatif de professeur à celui de cheikh auquel il a tenu jusqu’ici et qui lui a assuré une certaine aura spirituelle.

C’est donc à préparer les législatives et la présidentielle que serviront les municipales du 6 mai s’agissant des troupes du parti Ennahdha assuré de les gagner haut la main.

Si un tel scénario est imparable pour le parti rival au vu de la force électorale du parti islamiste et son unité, il serait mis, dans l’immédiat, à profit pour faire passer au parlement certaines lois symboliques, particulièrement celle sur laquelle s’est engagé le président de la République : l’égalité successorale. Ce qui serait déjà une grande victoire pour M. Essebsi de réussir une telle réforme majeure en un domaine aussi sensible et sans avoir à faire face à l’opposition du parti islamiste se chargeant de museler ses troupes.

Or, ce sera aussi et surtout un triomphe encore plus grand pour les islamistes qui renforceront de la sorte leur prétention à paraître véritablement modérés. Et bien mieux, à incarner cette Démocratie islamique à quoi appelle de ses voeux un Occident soucieux de voir réussir sa stratégie capitalislamiste en Tunisie, quitte à être sauvage et intégriste, étant sans libertés politiques ni droits économiques, et ce en vue d’ouvrir le pays encore plus à l’économie libérale.

Assurément, il  s’agit d’un marché qui serait honnête s’il ne cachait des intentions malignes de part et d’autre et qu’on peut résumer par cette entente constatée chez les deux partis de total refus de la moindre avancée sur les questions sensibles suivantes eu égard à leur forte charge symbolique : la révolution sexuelle dans le pays avec notamment l’abolition de l’homophobie et la libéralisation des relations sexuelles consenties hors mariage, outre les droits et libertés en termes de consommation d’alcool ou même la dépénalisation du cannabis.

Il est à noter ici que si le parti islamiste semble prêt, pour aller dans le sens du lobbying occidental en matière d’homophobie, pour sauter le pas de son abolition, il ne fait rien en ce sens, se reposant sur la position homophobe du parti du président qui prétend, de son côté, se fonder sur la religion et/ou les moeurs du pays.

Pourtant, il a été largement démontré par des livres en vente libre dans le pays, que l’islam n’a jamais été homophobe et que la société est loin d’être conservatrice. Ce sont les lois qui l’obligent à jouer à une sorte de jeu du je néfaste, une hypocrisie qui ne sert que les minorités privilégiées au pouvoir, ceux qui en usent et abusent.

Un nouveau départ attendu

C’est d’un tel jeu malsain fait d’ententes et d’hypocrisie que semble se faire le paysage politique au lendemain du 6 mai dont l’unique certitude doit être l’abstention massive des électeurs.

Déjà augurée par le ridicule pourcentage de participation des sécuritaires, la participation des électeurs inscrits, dont le nombre a déjà été bien plus bas que les prévisions les plus pessimistes, est appelé à baisser encore plus. Ce qui traduira moins une désaffection à l’égard de la politique en général, qu’une défiance vis-à-vis de sa pratique immorale, surtout de la part de qui prétend agir au nom des valeurs de l’islam.

Cette défiance nourrie par sept ans de vaches maigres se voit alimentée par la certitude que la supposée instance indépendante veillant à organiser les élections est loin de l’être ; s’il fallait une preuve, elle l’a donnée elle-même avec son revirement sur la honte de l’encre électorale.

En effet, ayant préalablement décidé souverainement de ne pas y recourir pour cause d’inutilité au vu de l’adoption des listes mises à jour, l’ISIE a finalement été amenée à se contredire à la suite de pressions politiques subies. Ce qui a incrusté dans les têtes l’idée que l’encre, outre son aspect de stigmate de sous-développé, participe d’une opération de tromperie psychologique, cherchant à donner juste l’illusion que l’acte de voter est franc et honnête. Or, cela réveille de mauvais souvenirs, car on ne fait que continue à user des bonnes vieilles ficelles malhonnêtes de la dictature.

Il n’empêche que la scène politique en Tunisie ne sera plus comme avant. Tout dépendra de ce qu’on en fera. Ainsi, le pouvoir local ne sera plus comme avant, que cela le soit pour le meilleur ou le pire. Mais déjà, dès le lendemain des élections, on s’attend au départ de l’actuel chef du gouvernement qui n’aura tenu aux élections que grâce au soutien du parti islamiste et qui ne saurait que le lâcher dans le cadre de son repli sur les localités.

Un tel départ inéluctable est d’ailleurs réclamé à cor et à cris par la puissante centrale syndicale UGTT quasi associée désormais dans la gestion du pays, aux aguets au moindre écart par rapport à ce qui constitue sa vision patriotique de la gouvernance en Tunisie. Et si elle semble obtenir gain de cause à ce niveau, il n’est pas sûr que le choix du nouveau président du conseil lui convienne.

On s’attend, en effet, à voir un homme du président de la République à sa place et à un gouvernement éventuellement sans islamistes ou sans portefeuilles importants pour ne pas avoir à obérer leurs chances à venir dans les futures échéances capitales. Ainsi, parmi les personnalités qui semblent bien placées pour présider le nouveau gouvernement, on avance non seulement le nom du ministre actuel de la Défense, mais aussi le globe-trotter diplomatique de M. Essebsi, le ministre des Affaires étrangères, dont le nom avait d’ailleurs déjà été avancé lors de la constitution de l’actuel gouvernement.

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