Par Philippe Bilger.
Au cours de « Ideas Weekend », un forum organisé dans la capitale des Émirats arabes unis, Nicolas Sarkozy s’est livré à une réflexion politique de grande qualité qui concluait que « les démocraties détruisent tous les leaderships…C’est ce qui fait que, aujourd’hui, les grands leaders du monde sont issus de pays qui ne sont pas de grandes démocraties » (Le Monde).
Il évoquait, pour ces derniers, les exemples du président Xi Jinping, du président Poutine et du prince Mohammed ben Salmane pour l’Arabie saoudite.
Il ne me semble pas qu’on puisse considérer, avec ces appréciations, que Nicolas Sarkozy « fait l’éloge des hommes forts ».
Il constate seulement que les démocraties – et c’est une évidence -, si elles constituent le pire des régimes après tous les autres, n’offrent pas l’opportunité à ceux qui les dirigent de faire passer leur affirmation d’eux-mêmes et leur volonté de puissance avant les droits, les libertés et les garanties, les pouvoirs et contre-pouvoirs qui structurent nos pays. Comment « un homme fort », au sens où on peut l’entendre avec Nicolas Sarkozy, pourrait-il exister dans une telle situation où tout est fait pour limer le pouvoir personnel et pour réduire l’autorité présidentielle ? Un homme fort est contradictoire avec une démocratie qui se méfie précisément de la force au point d’ailleurs d’être mal à l’aise quand elle doit s’armer contre des dangers exceptionnels et un terrorisme islamiste toujours prêt à tuer.
Il est alors inévitable que le contraire des démocraties classiques laisse libre cours à l’expansion discutable de dictateurs d’un nouveau genre qui sont parvenus, derrière une apparence trompeuse, à concentrer, dans une domination quasiment totale, des pouvoirs qui leur permettent de faire et de défaire à leur gré, de nommer ou de révoquer à leur convenance et d’incarner l’État sans craindre qu’une autre légitimité vienne disputer la leur.
Il convient seulement, ce constat fait, de se demander si la qualification de « grands leaders » est justifiée pour ces personnalités qui, pour avoir une liberté de manœuvre quasiment absolue et une latitude totale, ne sont pas forcément des dirigeants respectables. Leur grandeur résulte plus de l’absence d’opposition que d’une excellence politique.
Nicolas Sarkozy n’a pas eu tort, donc, en énonçant ces vérités qui résultent de l’état du monde tel que la lucidité peut l’appréhender. Il faut seulement résister à la tentation de ne considérer la démocratie que comme une empêcheuse de gouverner en rond alors que son honneur est précisément d’interdire à des « hommes forts » de faire fi d’elle.
Abou Dabi a inspiré Nicolas Sarkozy. C’est de la philosophie politique. Il n’était pas le plus mal placé pour en parler, lui dont le désir d’action et le souci d’efficacité s’étaient heurtés parfois au rythme lent et ostensiblement paisible de la démocratie.
C’est malheureusement vrai. Mais comme le disait Churchill « C’est le pire des systèmes mais je n’en connais pas de meilleur ».
Et depuis Churchill, qui d’autre dans la nouvelle génération permet d’éviter de penser que le pire des systèmes n’était pas la démocratie d’hier, mais celle d’aujourd’hui ?
Personne …
Il sous entendait probablement que nos systèmes politiques si policés n’accouchent plus que des médiocres impuissants….
Impuissants, pas tant que cela, par exemple notre Macron peut imposer son opinion personnelle sur les études scientifiques sur le glyphosate, notre Philippe la sienne sur la vitesse optimale sur les routes, notre Hidalgo la sienne sur la pollution de l’air, etc.
Je crains que vous confondiez impuissance et nuisibilité…
Impuissance à réformer, à mettre de l’ordre dans les comptes, à résorber la dette,à protéger les citoyens honnêtes…..
Impuissance masquée médiatiquement par des gesticulations au mieux inutile et grotesques et au pire, comme celles que vous citez, liberticides, antiéconomiques, démagogiques….
Exact, impuissants à prendre les mesures nécessaires: baisse des impôts et des dépenses. Mais obstinés dans leur incompétence sur des sujets accessoires!
Peut-être, mais de nombreux dirigeants qui semblent tellement fades que nous en ignorons le nom parviennent bien à réformer un peu, par exemple en Suisse ou dans les pays nordiques. Les systèmes de gouvernement donnent en fait pas mal de puissance, mais encore faut-il que ce soit au service de buts respectables…
c’est bien dit et bien ecrit. Merci.
« Il est alors inévitable que le contraire des démocraties classiques laisse libre cours à l’expansion discutable de dictateurs d’un nouveau genre qui sont parvenus, derrière une apparence trompeuse, à concentrer, dans une domination quasiment totale, des pouvoirs qui leur permettent de faire et de défaire à leur gré, de nommer ou de révoquer à leur convenance et d’incarner l’État sans craindre qu’une autre légitimité vienne disputer la leur. »
C’est tout à fait vrai. Pour le cas de la France aussi, puisqu’il n’y a pas de démocratie dans ce pays. Le président concentrant dans ses mains tous les pouvoirs.
Démocratie :
« Etymologie : du grec dêmos, peuple, et kratos, pouvoir, autorité.
La démocratie est le régime politique dans lequel le pouvoir est détenu ou contrôlé par le peuple (principe de souveraineté), sans qu’il y ait de distinctions dûes à la naissance, à la richesse,à la compétence… (principe d’égalité). En règle générale, les démocraties sont indirectes ou représentatives, le pouvoir s’exerçant par l’intermédiaire de représentants désignés lors d’élections au suffrage universel. »
Ses principes sont :
– la liberté des individus ;
– la règle de la majorité ;
– l’existence d’une Constitution [d’après l’article 16 de la DDHC il n’y en pas] ;
– la séparation des pouvoirs [ illusion en France]
– la pluralité des partis politiques [dont l’article 2 dit : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »]
– l’indépendance de la Justice [avec un ministre de la Justice]
La Démocratie s’oppose aux autres régimes politiques que sont :
– la monarchie absolue (pouvoir aux mains d’un seul homme) ;
– l’aristocratie (pouvoir aux mains des meilleurs) ;
– l’oligarchie (pouvoir aux mains d’un petit nombre de personnes ou de familles) ;
– la théocratie (pouvoir aux mains d’une caste sacerdotale) ;
– l’empire, la dictature et autres régimes totalitaires.
« «Là et nulle part ailleurs se trouve la racine d’où s’élève un tyran ; lorsqu’il apparaît d’abord comme un protecteur. »– Platon
Sarkozy a prononcé ce discours inspiré aux Emirats, connu pour être une grande démocratie, ça va de soi, n’est-ce pas? Et pour appuyer son propos, Philippe Bilger prend pour exemple 2 présidents passés, Chirac et Sarkozy, dont il est évident que c’est la « démocratie » qui les a empêchés de mener leur pays vers la félicité.
Je pose la question: quel organe démocratique a empêché ces présidents de mener à bien leur projet? Seraient-ce les syndicats élus démocratiquement? Et financés par des prélèvements obligatoires?
« … le souci d’efficacité s’étaient heurtés parfois au rythme lent et ostensiblement paisible de la démocratie ». L’auteur veut sans doute parler de cette caste de fonctionnaires pouvant s’opposer à la mise en oeuvre de réformes quand elles ne leur conviennent pas, ce qui est fort démocratique sans doute?
Et pour commencer, en quoi un président devrait avoir un projet de société à long terme? C’est qui « la société » ? Et si ce projet ne convient pas à une catégorie de citoyens, c’est pas grave, c’est la démocratie? Et qu’est-ce qui me garantit que ce projet serait souhaitable? Ces propos de Sarkozy, cet article, et ces commentaires sont la représentation même de la caricature que faisait Bastiat de l’état: « cette grande fiction où tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde ».
Et donc Sarkozy déplore que nos prétendues démocraties (notez qu’en France nos élites n’ont que le mot « république » à la bouche, et rarement démocratie) sont un obstacle à l’avènement de leaders décidant autocratiquement un projet pour les 20 ans à venir, et pour tout un pays? Et il prend pour exemple des dictatures communistes et religieuses?
ll n’y a donc que moi que ça turlupine de lire ça?
Un état démocratique devrait s’employer à garantir le mieux possible la liberté, la sécurité et la propriété des habitants du pays qu’il gouverne. Dit autrement, il devrait garantir les conditions qui permet à chacun de mener à bien ses propres projets. Les projets néfastes pour autrui sont réprimés par la loi, les bons projets profitent au plus grand nombre, et les mauvais projets échouent, ne causant de pertes qu’à ceux qui ont fait l’erreur de le soutenir.
Il n’y pas seulement erreur sur le diagnostic, mais aussi erreur sur les origines du mal, et erreur sur le remède, tout est faux dans cet exposé. Ce n’st pas la démocratie le problème, c’est son absence, doublée de l’absence d’état de droit. Je ne suis pas du genre désespéré, mais lire ça sur Contrepoints, il y a de quoi!
Relisez l’article. Il n’y a là aucun éloge des « grands hommes », mais bien un éloge de la démocratie.
@ Dr Slump,
Merci d’avoir pris la peine d’écrire ce commentaire évident que l’énormité de l’article rendait nécessaire.
Effectivement nous n’avons pas besoin de grands leaders dans le genre de Sarkozy et de ceux qu’il cite.
Par contre, nous avons impérieusement besoin d’un Etat de droit qui garantisse la liberté, la sécurité et la propriété afin de permettre à chacun de mener à bien ses propres projets.
C’est la seule façon d’avoir les grands hommes (scientifiques, ingénieurs, entrepreneurs, artistes, etc.) sans l’inspiration desquels nous ne serions que des hordes de loups avec des chefs de meutes.
Xi Jin Ping , tout comme Poutine sont devenus dictateurs car la démocratie est inexistante dans ces pays! Mais Erdogan l’est devenu dans un pays démocratique, mais musulman!
Macron a acquis , démocratiquement, mais temporairement, tous les atouts pouvoirs d’un dictateur: présidence, gouvernement, majorité absolue de députés, mainmise sur le seul parti « en forme » actuellement (LREM), une opposition moribonde avec des partis et leaders en décomposition avancée.
Mais ce n’est pas un grand leader, mais un leader chanceux, choisi par défaut, et le défaut était cette fois-ci nettement plus important que d’habitude.
@Franchounet
Bonsoir,
E. Macron a été très mal élu, grâce à un jeu truqué par ses prédécesseurs. Il a été élu avec 43% des voix des inscrits. De plus lors du premier tour, il a fait à peine mieux que l’abstention. Marine LePen et lui totalisaient 45% (21%vs24) des votes exprimés, même pas des inscrits.
Ce n’est pas la démocratie, puisqu’elle est absente en France, qui a donné les pouvoirs à E. Macron : c’est la Constitution de la 5ème République (et sa panoplie de règles), qui donne au président ainsi qu’à des ministres (membres de l’Exécutif) les prérogatives du pouvoir Législatif, plus la mise au plis du pouvoir Judiciaire. Le Chef de l’Etat et ses ministres se prennent pour des députés à faire des lois et les passer avec force « Je vais créer une loi… » puis « Je vais créer une taxe… »