Ces véhicules autonomes qui vont trop vite pour l’État

L’auteur a assisté à une journée consacrée aux véhicules autonomes, où les pouvoirs publics ont échafaudé des bases de réglementation à venir. Surréaliste.

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Google self-driving car by smoothgroover22(CC BY-SA 2.0)

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Ces véhicules autonomes qui vont trop vite pour l’État

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 27 novembre 2017
- A +

Par Laurent Meillaud.

En début de semaine, la DSR (Délégation à la Sécurité Routière) a organisé une journée d’études sur le thème des véhicules autonomes.

C’est un thème non seulement très à la mode, mais aussi un domaine qui intéresse au plus haut point le gouvernement, comme le prouve la consultation lancée sur ce thème en septembre et l’évolution de la feuille de route annoncée par le Premier ministre. Autant dire que le timing, bien qu’involontaire, était parfait.

Les pouvoirs publics se désolent de ne plus pouvoir tout contrôler

L’objectif de la journée était d’exprimer la vision de l’administration et de la recherche publique. Aucun industriel n’était convié, contrairement à la journée des 10 ans de la Fondation Sécurité Routière. Je dois dire que cette réunion a permis de voir comment fonctionne l’administration française, et rien que pour cela je ne regrette pas d’être venu, d’autant que je me trouvais dans l’antre de la Sécurité Routière, dans ce bâtiment de couleur rouge près de la Place de la Nation, qui accueille également les réunions du CNSR (Conseil National de Sécurité Routière).

Pour faire simple, l’administration vit dans un monde parallèle, où on se désole de voir la technologie évoluer si vite car les pouvoirs publics subissent la loi du numérique. Et ce n’est plus comme avant, on peut plus difficilement contrôler.

Les pouvoirs publics trouvent que le progrès va trop vite

Dans cet univers, qui regorge d’acronymes (DGE, DGTIM, UCLIR…), et où on mêle volontiers du sabir administratif1 et avec de l’anglicisme, on aime dire que le véhicule autonome n’ira pas aussi vite que l’affirment les journalistes (la profession a été citée plusieurs fois).

On s’interroge gravement sur les impacts, en noircissant par principe le tableau. Exemple : comme l’habitacle sera plus confortable, les gens vont donc rester plus longtemps dans leur voiture (qui ira se garer toute seule) et ils ne prendront pas les transports en commun. À moins que les clients, notamment les jeunes, ne s’embêtent. Dans les ministères, on veut croire que l’automatisation va apaiser le trafic, tout en s’inquiétant de la cohabitation avec les autres usagers. Le pronostic est d’un « petit demi-siècle » pour la période de transition.

Cela rassure les chercheurs, dont une dame âgée qui est venue interrompre une conversation à la pause pour me dire qu’il ne faut pas écouter tout ce qu’on dit, et que ça n’arrivera pas. Bref, il y avait un petit côté « Lost in translation ».

Des véhicules dûment testés

Mais bon, pour une fois que la Sécurité Routière parle de véhicules, on ne va pas se plaindre. Au moins, les participants ont-ils appris que 46 demandes de tests avaient été déposées en France pour le véhicule autonome, dont 19 pour la seule année 2017. Cela concerne aussi bien des voitures que des navettes autonomes. Il n’y a pas eu un seul accident, mais des incidents (perte de localisation, interactions avec les autres usagers…).

Pour déposer un dossier de VTPTD (Véhicule à Délégation Partielle ou Totale de Conduite), il faut remplir un dossier technique et répondre à un questionnaire de 67 lignes, en précisant notamment la nature de l’expérimentation, ainsi que la procédure qui met fin à l’autonomie de conduite. Et quand tout est OK, on obtient une plaque W.

Plusieurs acteurs sont impliqués dans le processus de décision, dont le ministère de l’Écologie, celui de l’Intérieur, celui de l’Économie et même Matignon (dont dépend l’agence ANSSI qui supervise en France la cybersécurité).

On peut faire confiance à l’administration pour bétonner les tests et faire en sorte que les gestionnaires de voirie soient prévenus, et tout et tout. Début 2018, il va y avoir des évolutions, puisque les robots-taxis seront pris en compte et qu’un registre national des expérimentations sera tenu.

On réfléchit déjà à une réglementation sur les véhicules autonomes

Et pourtant, nos fonctionnaires de choc ne sont pas encore en mesure de présenter une belle législation sur les véhicules totalement autonomes. À leur décharge, c’est encore un peu tôt, même si certains acteurs veulent aller plus vite, comme par exemple Navya dont l’Autonomous Cab a été projeté à titre d’illustration.

Sur la réglementation, c’est Joël Valmain, un conseiller technique de la DSR jouant le rôle d’expert auprès des instances de l’Europe et de l’ONU qui a tout expliqué. Modérateur de cette journée, il a montré qu’il méritait bien ses galons de Président de l’IGEAD (Informal Group of Experts on Automated Driving).

Je vous fais grâce des groupes de travail (WP1, WP29). Ce qu’il faut retenir, c’est que la Convention de Vienne a évolué en mars 2016 et qu’elle intègre désormais les aides à la conduite (ABS, ESP et même Autopilot de niveau 2), ou plus exactement les « systèmes ayant une incidence sur la conduite ».

Autres avancées, le Park Assist est lui aussi reconnu (y compris pour la manœuvre de parking à distance à partir d’une application ou d’une télécommande, à condition que le conducteur ne soit pas éloigné de plus de 6 m). Il y a même une ouverture sur le fait que la personne derrière le volant puisse avoir d’autres activités.

Cela peut faire sourire, mais il n’est pas si évident de faire converger des règles avec des pays qui n’ont pas signé la Convention de Vienne (USA, Japon, Corée, Grande-Bretagne, Espagne…). Du coup j’ai entendu qu’une nouvelle convention serait peut-être souhaitable en 2020.

Quelqu’un a suggéré aussi de faire l’équivalent du RDE pour mesurer sur route si les constructeurs ne trichent pas avec leur logiciel de conduite autonome.

Tout cela nous mène à l’homologation. Il faudra que le constructeur prouve qu’il a bien testé son véhicule sur des millions de km et qu’il a bien fait tout ce qu’il fallait pour la fiabilité. Certains qualifient de « leurre » les simulations virtuelles. D’autres ronchonnent en disant qu’il faudrait faire plus attention à la cybersécurité (déjà prise en compte par l’industrie automobile).

Quelques bémols encore

Les présentations ont été très inégales. J’ai bien aimé celle de Sébastien Glaser de l’IFSTTAR qui a bien retracé l’historique en matière de recherche sur le sujet. Par contre, j’ai été surpris du manque de rigueur de l’étude que la Fondation MAIF a réalisé pour le compte de l’UTAC-CERAM. 4 véhicules ont été testés (BMW Série 7, Mercedes Classe S, Tesla Model S, Volvo V90, des modèles s’échelonnant de 2013 à 2016) pour éprouver leur Autopilot de niveau 2 sur des parcours alternant autoroute, voie rapide, route nationale et départementale autour de Montlhéry. 1200 km de test pour chaque auto, qui n’a pas été testée dans les mêmes conditions météo.

On retiendra sinon que l’IHM (interface homme-machine) n’est pas au niveau et que les systèmes ne repèrent pas des bus qui traversent, des piétons sur le bord de la route, ainsi que les stops, les feux tricolores et les ronds-points. Des défauts qui ont suscité des rires gras dans l’assistance.

Sinon, je n’ai pas compris grand-chose au think tank Unir (Une nouvelle idée de la route) lancé par la Prévention Routière, et qui se veut un agitateur d’idées, en intégrant les réflexions de chercheurs en sciences sociales. La présentation était brouillonne.

Enfin, j’ai envie de citer en conclusion la NHTSA (l’équivalent de la Sécurité Routière), qui a dit que « le véhicule autonome était inévitable ». C’est du moins ce qu’a rapporté Joël Valmain, lors d’un voyage dans la Silicon Valley (où il a testé la Google Car). Et quand même, la Sécurité Routière elle-même espère que cette évolution technique va avoir un rôle sur la baisse des accidents. Elle en attend beaucoup, en fait. Mais pour l’instant, l’administration ne sait pas si l’impact sera positif et n’a pas d’outils pour l’évaluer.

Sur le web

  1.  Comprenez-vous l’expression : « le locus de contrôle est interne » ? Elle a été utilisée pour qualifier la perception par l’automobiliste des systèmes d’assistance.
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  • La voiture autonome n’est pas pour demain même si l’administration ne lui met pas de batton dans les roues !
    Combien de milliards pèse l’industrie du transport et des taxis dans le monde ?
    La première étape aurait dû être , l’avion , le bateau le train….et la tondeuse à gazon…..croyez vous qu il sera possible de recaser tout le monde dans le numérique sans quelques turbulences sociales ?
    Ma petite expérience de la voiture me dit que son automatisme…est impossible techniquement en milieu hétérogène, cela sera tout ou rien.
    J’oubliais , le point capital, l’assurance auto, disparue puisque une voiture autonome ne peut pas avoir d’accident ni d’incident…incident qui est en fait un accident quand on ne veut pas édulcorer les choses …mais c’est pas grave ,le constructeur sera l’unique responsable n’est-ce pas ?

    • L’assurance sera toujours nécessaire parce-que les accidents ne seront jamais impossibles. En revanche vous pouvez vous préparer à de belles bagarres d’experts pour savoir qui de l’automobiliste, du constructeur ou du développeur est in fine responsable d’un éventuel accident.
      Concrètement, si l’administration a du retard sur ce sujet l’industrie y réfléchit depuis quelques années, et commence sérieusement à se poser des questions juridiques. Il y a largement de quoi faire.

  • Comment pouviez-vous vous attendre à autre chose ? La France qui a déjà une gestion normative de la sécurité routière au top mondial, et qui n’a pourtant pas des résultats en rapport, pouvait-elle prendre le risque de relâcher la pression et de voir la sécurité s’améliorer sans que ses commissions techniques et réglementaires y soient pour quoi que ce soit ?

  • Bonjour,

    C’est quand même un révolution formidable qui s’annonce devant nous, ainsi que les voitures communicantes.

    Mais en effet, je fais confiance à l’état de tout entraver pour défendre sa clientèle; la SNCF, les régies de transport et les taxis.

    • @ gillib

      Il est un fait que le frein traditionnel de l’administration fera le nécessaire pour que le projet apparaisse plus tard en France qu’ailleurs (avec retard supplémentaire en recherche technologique et industrielle: dommage! J’aurais bien vu une « Renault Zoé » circuler sans bruit et sans fumée dans les rues parisiennes!). Tant pis!

    • Attendons de voir. En fait, les révolutions qui « s’annoncent » font flop et seules aboutissent celles que personne n’avait vues venir. La question n’est pas de faire mieux que la SNCF, mais mieux qu’une conception moderne et sensée du train. Il y a un ordre de grandeur de différence…

  • Quelqu’un a-t-il évoqué le célèbre « dilemne du tramway » à l’occasion de cette journée ?
    Application pratique au VA : comment le « cerveau » du VA va-t-il gérer la situation suivante ? Une personne dans le VA et une bande de gosses qui traversent. Qui faut-il sauver ? Le « cerveau » doit-il seulement freiner le véhicule, ou devant l’inévitabilité de la collision, précipiter le véhicule dans le décor en prenant le risque de tuer son occupant.
    On peut compliquer la problématique à loisir.
    – quid si le nombre de passagers et le nombre de gosses est identiques
    – quid si ce sont des jeunes dans la voiture et une mamie qui traversent la route
    – quid si c’est une bande de skinheads qui traversent et une petite famille du 16ème dans la voiture ?
    – quid si c’est un chien qui traverse ?
    – et si c’est un chien d’aveugle ou un saint-bernard, et que la voiture transporte un pédophile ?

  • En réalité, il n’y a aucune certitude d’une meilleure sécurité des VA. Pour info, tous se gargarisent de quelques millions de kms parcourus sans encombre, mais faut-il rappeler qu’en France, par exemple, il y a un mort tous les 150 millions de kms. Le VA est encore très loin d’obtenir ce genre de résultats.
    L’autre plan avancé par les autorités, qui est celui de l’empreinte écologique, est encore plus risible. Il paraît que ces véhicules devraient moins consommer, en adoptant une parfaite écoconduite. C’est oublier l’énergie nécessaire à leur construction, et dans le cas de véhicules ultraconnectés à toute la puissance informatique nécessaire pour en gérer le trafic.

  • Finalement, le seul avantage que j’y vois, c’est la possible disparition de la direction de la sécurité routière française, dont l’incompétence n’a d’égale que la rigidité dogmatique (en dehors des radars point de salut) et la propension à la gesticulation politique, destinée à duper les usagers de la route sur son inefficacité congénitale.
    Quand je pense à notre administration de la SR, je ne peux m’empêcher de songer à cette maxime : « si ces événements nous échappent, feignons d’en être les organisateurs ».

  • Les seuls qui tireront probablement profit de ces nouveaux engins, c’est les GAFA et Cie, la voiture étant encore un domaine relativement vierge au niveau des NTIC. Une bagnole, c’est pour l’instant, de la tôle, de la fonderie, du plastique… Il y a là un gigantesque réservoir de plus-value pour la Silicon Valley si elle arrive à mettre le pied dedans. Avec le VA, la plus-value passera des mains des mécaniciens à celles des électroniciens/informaticiens. Et aussi à tous ceux qui ont quelque chose à vendre à notre temps de cerveau disponible…

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