Par Simone Wapler.
Altice, Tesla croissent ou survivent grâce à la bulle mondiale de crédit et aux illusions de leurs actionnaires et prêteurs.
L’affaire Altice vire au comique. Des actionnaires accusent le groupe d’avoir masqué l’ampleur de sa dette (50 milliards d’euros) et annoncent vouloir déposer plainte pour « diffusion d’informations fausses ou trompeuses […] sur la période 2015 à 2017 », selon l’AFP.
Altice est une entreprise cotée qui publie des comptes certifiés : on voit mal comment elle aurait pu masquer quelques milliards d’emprunt. Quant aux commentaires des dirigeants sur leur stratégie, cela fait partie de la due diligence des investisseurs de les soupeser.
Plusieurs fonds spéculatifs avaient clôturé leurs positions dès juin, notamment le Soros Fund Management. Le fonds Carmignac Patrimoine, cependant, affichait une « conviction forte » et était encore lourdement exposé en octobre.
50 milliards d’euros : 10 kerviels, Jean-Marie Messier avec Vivendi, battus (seulement 35 milliards d’euros)…
Altice est-elle « trop grosse pour faire faillite » et Draghi va-t-il entrer en scène ? Nous verrons bien. Altice est un pur produit du créditisme et Draghi a pour mission de sauver le créditisme.
Vous vous en souvenez peut-être, cher lecteur, le créditisme est ce système qui consiste pour les banques à prêter de l’argent surgi du néant, intérêt et principal étant remboursés avec de l’argent gagné dans le futur. Si tout va bien…
Comment le créditisme nourrit les zombies
Dans un système capitaliste honnête, on prête de l’argent déjà existant qui correspond à une somme d’épargne déjà constituée.
La différence entre le créditisme et un capitalisme honnête réside dans le futur. Si l’investissement ne se révèle pas rentable, le créditisme détruit le futur, puisque le principal reste à reconstituer. Dans un système capitaliste honnête, un mauvais investissement ne détruit que le passé puisque l’épargne disparaît.
Depuis que le créditisme est le système en vigueur, les taux de croissance s’étiolent et les zombies prolifèrent. Ils ne gagneront jamais assez d’argent pour rembourser le principal mais la baisse des taux d’intérêt crée l’illusion qu’ils sont viables.
Tout le monde reconnaît aujourd’hui qu’il y a un problème de surendettement. L’idée est devenue banale et s’étale dans tous les medias grand public. Mais personne ne veut en tirer les conclusions qui s’imposent : prendre ses pertes, laisser mourir les zombies et repartir sur des bases saines.
Comment le créditisme étouffe toute croissance
Concernant le surendettement public, les contribuables et les épargnants paieront la note d’une façon ou d’une autre. Ils la payent déjà avec les taux bas qui les privent de rendement sur leur capital et la pression fiscale qui augmente. C’est autant d’argent de moins qui entre dans le secteur privé productif.
Il y a ensuite le surendettement privé, celui des ménages et des entreprises. Le paiement des intérêts et le remboursement du principal représentent de l’argent qui ne sera pas payé en salaire et qui ne sera pas dépensé en consommation.
Le blog financier Wolf Street publie aujourd’hui des graphiques édifiants sur le niveau de dette privée rapporté au PIB.
Considérez le PIB comme le chiffre d’affaires potentiel sur lequel la dette contractée peut se rembourser. Mais gardez présent à l’esprit qu’un chiffre d’affaires n’implique pas nécessairement des bénéfices.
Par exemple, les activités contrôlées par l’État ne sont pas lucratives et certaines entreprises ne sont pas profitables. Dans un système capitaliste sain, ces entreprises disparaîtraient rapidement mais avec le créditisme, les zombies survivent.
Voici maintenant les graphiques publiés par Wolf Street :
Les ménages et les entreprises américaines sont moins endettés qu’en 2008, mais la tendance se renverse depuis 2015 ; la dette augmente à nouveau plus vite que le PIB depuis deux ans.
Dans la zone euro, l’endettement privé reste à peu près constant depuis la crise financière et est légèrement supérieur à celui des Américains. Environ 1000 milliards d’euros de créances douteuses plombent les banques européennes.
Au Japon, la tendance au désendettement s’est interrompue depuis 2016 (la dette privée atteignait 220 % du PIB en 1992).
En Chine, la croissance de l’endettement privé est explosive.
Au Canada, ce sont les ménages confrontés à une gigantesque bulle immobilière qui font exploser le compteur.
Partout dans le monde, les remboursements des prêts déjà contractés prélèvent de plus en plus d’argent sur la production existante.
Ce surendettement empêche toute croissance et étouffe le développement de nouvelles activités économiques profitables.
Titre de L’Usine Nouvelle de ce matin :
8000 dollars par minute, soit 11,5 millions de dollars par jour ! Tesla a émis une obligation de 1,8 milliard de dollars en août. L’argent sera englouti en 156 jours, soit fin janvier 2018.
Qui va acheter ces modèles neufs et coûteux ? Les Américains en proie à une bulle de crédit automobile subprime ? Les Européens et les Japonais vieillissants et soumis à une forte pression fiscale ? Rappelons que la plupart des voitures s’achètent à crédit…
Et si le Model 3 ne se vend pas ? Les porteurs d’obligation porteront-ils plainte ?
Mais comptez sur la diligence de nos banquiers centraux et de nos politiciens pour sauver le créditisme et ses zombies. On ne mord pas la main qui vous nourrit.
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Pour plus d’informations, c’est ici.
Bonjour,
Je crois que mettre Tesla et Numéricable dans le même sac est une erreur.
Dans le cas de Tesla, il s’agit aujourd’hui d’un problème de production : les commandes de modèles 3 sont d’au moins 500 000 exemplaires. Les tests faits par des spécialistes indépendants considèrent ce modèle comme une totale réussite. Tesla, qu’on le veuille ou non, révolutionne l’automobile. Ils peuvent encore échouer, bien sûr, mais pour ma part je reste assez admiratif de cette épopée pour un constructeur automobile aussi récent.
Dans le cas de Numéricable, il ne s’agit pas de production mais plutôt me semble t’il de recherche forcenée de réduction des coûts par croissance exogène avec une trésorerie qui n’est pas en adéquation. C’est plus classique.
N’étant pas spécialiste , je n’irai pas plus loin dans la comparaison.
Tesla et Numéricable sont certes deux sociétés très différentes, sur deux secteurs d’activités très différents, avec des histoires très différentes. Ce qui les réunit dans cet article c’est leur situation financière qui donne le vertige.
De plus, ce sont deux sociétés dont le simple bon sens échoue à comprendre comment les clients pourraient un jour rembourser la dette, soit parce qu’ils n’achètent le produit que grâce à une fausse compétitivité apportée par des subventions (Tesla), soit parce que le service est en dessous de tout (Altice). Ca n’est pas le client lui-même qui donne de la valeur à une société, mais son consentement à puiser dans ses ressources personnelles pour payer le produit (parce qu’il le vaut bien !).
@ fm06
Oui, ça donne le vertige mais Tesla comme Numéricable ne sont que 2 marques, l’une propriété d’Altice, multinationale de P.Drahi, l’autre d’E. Reeve Musk, qui tous les 2 n’ont pas que ces 2 marques à gérer!
Je ne suis pas jeune et je n’ai jamais connu de période plus propice à l’investissement par endettement que maintenant! Pas étonnant, donc, que l’endettement privé augmente!
Et comment situez vous l’état français si on comparait à trois ?
Même si avec la box SFR vous vous retrouvez abonné à des chaînes pour 10 euros supplémentaires par mois sans avoir rien demandé, l’Etat dispose lui de moyens de coercition sans commune mesure avec ceux des sociétés privées, ce qui fausse la comparaison.