Par Baudoin Collard.
La théorie du contrat social trouve ses origines au 18ème, en plein siècle des Lumières. Dans un contexte de remise en question des institutions royales, des philosophes comme Rousseau ou Hobbes ont cherché à répondre aux questions suivantes :
Comment les sociétés naissent-elles ?
Pourquoi les humains décident-ils de vivre ensemble ?
D’où le pouvoir tire-t-il sa légitimité ?
Selon Rousseau, il existe un contrat implicite qui lie les hommes ensemble pour former la société. Par ce contrat, les hommes renoncent à une partie de leurs libertés au profit de l’État, qui en échange leur offre justice et sécurité. De cette manière, le bien-être général est protégé des intérêts particuliers par le biais du législateur, élu par le peuple.
La théorie du Contrat Social a eu une influence majeure sur la pensée occidentale et constitue un des mythes fondateurs de nos sociales-démocraties. Toute séduisante qu’elle soit, la théorie du contrat social souffre néanmoins de lacunes fondamentales :
- Tout d’abord, personne n’a jamais signé un tel contrat. On peut argumenter que les élections représentent une reconduction tacite de ce contrat, mais dans ce cas, ne faudrait-il pas tenir compte de l’abstention ? Et qu’en est-il des pays, comme la Belgique, où le vote est obligatoire ?
- Deuxièmement, l’histoire nous apprend que les sociétés humaines sont apparues bien avant les institutions qui les gouvernent : c’est donc la société qui engendre les institutions et non l’inverse. D’ailleurs, le plus souvent, ces institutions ont été mises en place lors de guerres et de révolutions sanglantes.
- Enfin selon Rousseau, le législateur représentant le peuple, la minorité doit accepter toutes les décisions prises par la majorité au nom d’un nébuleux intérêt général. Alexis de Tocqueville au 19ème siècle évoquait déjà les risques de dérives d’un tel système vers une tyrannie de la majorité.
À y regarder de plus près, il existe pourtant une institution, indissociable de la société humaine, et qui pourrait parfaitement remplir ce rôle de contrat social : la monnaie.
La monnaie, un contrat social ?
La monnaie est le propre de l’homme. Historiquement, aucune société n’a pu se développer sans son support. Réciproquement, le concept de monnaie perd tout son sens lorsqu’il est sorti de son cadre social. C’est de son acceptation, librement choisie, que la monnaie tire sa légitimité et sa valeur. Les hommes adoptent volontairement la monnaie car ils en tirent directement de précieux avantages :
- En facilitant les échanges, la monnaie permet la spécialisation, source de nouveaux développements technologiques.
- De par sa réserve de valeur, elle permet l’épargne qui est la source de l’investissement ainsi qu’une protection contre les aléas de l’existence. Â
Investissements et progrès technologiques engendrent la croissance, qui est la raison fondamentale pour laquelle les hommes s’associent : afin de tirer un plus grand bénéfice de leur labeur.
Manipulation monétaire
Si la monnaie est le ciment qui lie la société, qu’arrive-t-il lorsque ce ciment se désagrège ? L’hyperinflation allemande entre 1921 et 1924  est certainement un des exemples les plus tragiques d’effondrement monétaire, mais il est loin d’être un cas isolé.
Étant donné son rôle critique, il peut être tentant pour une minorité de manipuler la monnaie à son avantage. Si le phénomène n’est pas neuf, il s’est lui aussi complexifié au fil du temps :
Un des premiers exemples est apparu avec l’usage des monnaies frappées. À l’origine, il permettait de garantir le poids et la qualité de la monnaie, mais progressivement, le droit de frapper monnaie est devenu un monopole permettant au souverain de la contrôler et d’en tirer profit (rente de seigneuriage et parfois manipulation de la qualité de la monnaie).
L’invention du billet de banque a été une évolution technologique majeure. Introduit pour faciliter des échanges commerciaux de plus en plus complexes, il est peu à peu devenu un monopole du pouvoir en place. Le système de Law en France au 18ème siècel est un exemple éclairant de cette dérive ; de même que la création par Napoléon Bonaparte de la Banque de France… banque dont il était l’actionnaire majoritaire !
La création des Banques Centrales constitue la suite logique de cette emprise croissante de l’État sur la monnaie. Sous prétexte de stabiliser l’émission de monnaie et de protéger les épargnants des crises bancaires, la création des banques centrales a en réalité grandement facilité l’endettement des États, le financement d’une économie de guerre, et en fin de compte l’inflation.
À propos de l’inflation, voici justement ce qu’en disait Keynes :
Lénine aurait déclaré que la meilleure façon de détruire le système capitaliste était de corrompre la monnaie. Par un processus continu d’inflation, les gouvernements peuvent confisquer, secrètement et discrètement, une part importante de la richesse de leurs citoyens. Par cette méthode, non seulement ils confisquent, mais ils confisquent arbitrairement ; et, alors que ce procédé en appauvri beaucoup, il en enrichit aussi quelques uns.
Du contrat social au contrôle social
L’inflation n’est pas le seul coup de couteau porté au contrat social de la monnaie.
À partir du moment où la monnaie est imposée par le pouvoir en place plutôt que choisie librement, elle perd sa légitimité. De contrat social, elle devient progressivement un outil de contrôle social, permettant à une minorité d’exploiter sa position privilégiée pour en tirer profit et pouvoir.
Les États imposent l’utilisation de leur monnaie de façon plus ou moins subtile. Dans les pays les plus autoritaires, elle est soumise à des contrôles stricts : les taux de changes sont fixés par le gouvernement et les mouvements de capitaux sont surveillés. Dans les pays dits démocratiques, la monnaie est imposée aux moyens de lois et d’une multitude de réglementations.
Ainsi, la monnaie officielle est seule autorisée pour le paiement des amendes, taxes et impôts. Des réglementations bancaires et assurantielles imposent d’investir une certaine proportion d’actifs en dettes d’État, d’informer le gouvernement de toute transaction dépassant un certain montant, etc…
À ce titre, l’Euro n’est d’ailleurs pas exempt de critiques. Du traité de Maastricht en passant par la genèse de la BCE, l’introduction de l’Euro s’est largement réalisé sans consultation populaire. Un péché originel que les Grecs n’ont pas fini de payer…
En matière de contrôle social par la monnaie, les gouvernements peuvent se montrer très créatifs. Citons par exemple la mise en place de contrôle des prix et des salaires. Citons encore (dans le cas de la Belgique) l’introduction de chèques-repas, chèques-livre, chèques-éco, titres-services, etc, qui ont pour but de régir la manière dont le citoyen dépense une part croissante de son salaire.
Une menace plus pernicieuse plane désormais sur la monnaie avec la disparition de l’argent liquide souhaitée par nos dirigeants partout en Europe. La fin du cash risque d’une part d’accroître la dépendance des citoyens envers le système bancaire et d’autre part d’accroître l’emprise des États sur leurs citoyens en facilitant la mise en place d’une taxe sur l’épargne, voire une confiscation pure et simple des avoirs bancaires comme ce fut le cas à Chypre.
Libérer la monnaie
Toutes les monnaies n’assurent pas leur contrat social de façon égale. Parmi les monnaies fiduciaires, de grandes différences existent, en fonction des objectifs des banques centrales et des politiques économiques.
Ainsi, si on compare les index des prix à la consommation (un proxy pour l’inflation), on observe par exemple qu’en Belgique la monnaie a perdu environ 45% de son pouvoir d’achat sur les 30 dernières années, tandis qu’en Suisse, la baisse de pouvoir d’achat a été limitée à 31%, voire même 14% pour le Japon (41% pour la France).
Dans le même temps, le pouvoir d’achat de la monnaie baissait de plus de 99% au Mexique, en Turquie, et dans de nombreux pays de l’ex-Union Soviétique.
Si l’or et les métaux précieux jouissent d’une certaine crédibilité, c’est parce que ces monnaies sont difficilement manipulables et qu’elles ont constitué tout au long de leur histoire un rempart efficace contre l’inflation et autres turpitudes monétaires. L’or constitue d’ailleurs toujours une monnaie de réserve de choix pour les banques centrales les plus respectables.
Enfin, une nouvelle forme de monnaie a récemment fait son apparition : les crypto-monnaies dont la plus célèbre est sans conteste le Bitcoin. Le Bitcoin est apparu en 2009, au plus fort de la crise des subprimes et du renflouement des banques par les contribuables.
Si elles ont souvent suscité l’incrédulité à leur début, ces crypto-monnaies ne semblent pas prêtes de disparaître et leur capitalisation combinée dépasse désormais allègrement les 100 milliard de $!
Plus fondamentalement, les crypto-monnaies sont une parfaite illustration de la mise en concurrence de monnaies privées telle que proposée par Friedrich Hayek dans son livre La Dénationalisation de la Monnaie. L’utilisation de ces monnaies étant libre, leur valeur fluctue en fonction de l’intérêt qu’elles suscitent et de la demande qui en résulte.
Leur cours est donc intimement lié aux services qu’elles peuvent rendre (en tant que moyen de paiement), et à leur crédibilité (en tant que réserve de valeur). La multiplication de ces monnaies cryptographiques constitue ainsi un formidable laboratoire grandeur nature pour l’avenir de la monnaie !
Conclusion
La monnaie, bien plus que la démocratie, incarne l’essence du contrat social. Sa légitimité provient de son acceptation, librement choisie, par tous ses utilisateurs et à tout moment, là où la démocratie n’exige que l’adhésion ponctuelle d’une majorité tout en ignorant les abstentions et les votes blancs.
Le rôle fondamental de la monnaie dans les échanges explique son action de catalyseur dans la formation et le développement des sociétés humaines, bien avant l’apparition des institutions démocratiques. Enfin, la manipulation de la monnaie, ou sa suppression, entraîne inévitablement le déclin d’une société, aussi démocratique soit-elle.
Rien ne résume mieux la monnaie que cette citation d’Ayn Rand :
La monnaie est le baromètre de la vertu d’une société
La monnaie est une formidable source d’émancipation pour la société. Elle favorise la coopération et les échanges pacifiques entre humains que parfois tout oppose. Elle ne discrimine pas et ne connaît pas de frontière. Elle est le chef d’orchestre qui régule imperceptiblement l’activité humaine.
A contrario, celui qui ambitionne de la supprimer doit se préparer à lui substituer une économie planifiée par une cohorte de bureaucrates et à l’imposer par la force. Celui qui dénonce la dictature de l’argent ne doit pas oublier que les pires tyrannies sont celles où les citoyens ont été dépossédés de leur monnaie.
Et si la monnaie est régulièrement accusée d’être la racine de tous les maux, c’est qu’elle est bien trop souvent la victime des intérêts de ceux qui la contrôlent. Au lieu de blâmer la monnaie, blâmons plutôt ceux qui la corrompent.
La monnaie parfaite n’existe pas : création humaine, elle reste tributaire de ses passions. À défaut de trouver un idéal illusoire, la liberté de choisir sa monnaie est la meilleure garantie d’une monnaie juste et d’une société libre !
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