Par Patrick Aulnas.
La conquête de la liberté, depuis quelques siècles, n’a pas éteint l’aspiration des hommes à la sécurité. Cette préoccupation est une constante, mais elle était hors de portée du plus grand nombre tant que régnait la pénurie. La forte croissance économique du XXe siècle a permis de promettre à chacun la sécurité. Les risques de la vie (maladie, vieillesse, chômage, etc.) ont été pris en charge collectivement. L’emploi lui-même a été réglementé en vue de le rendre plus stable.
La demande de sécurité est tout à fait légitime dans une société riche, mais elle risque d’entraver les évolutions. Est-il possible de concilier la sécurité individuelle et le dynamisme collectif ? C’est une des grandes questions contemporaines.
La précarité, condition historique du travailleur
Pendant des millénaires, la précarité était la règle pour les travailleurs, quel que soit leur statut. L’explication est simple : il faut sortir de la pénurie pour envisager la sécurité. Avant le décollage économique occidental, au XIXe siècle, il s’agissait pour les travailleurs de survivre. La notion de sécurité au sens contemporain ne pouvait exister. L’esclave ou le serf vivait dans la plus totale précarité et ne disposait d’aucune liberté. Les titulaires d’un alleu au Moyen Âge (propriétaire ne dépendant pas d’un seigneur) et les artisans vivaient dans une très relative indépendance mais la fragilité de leur situation face aux guerres, aux maladies, aux accidents les vouait également à la précarité.
La sécurité, privilège des élites
L’aristocratie et la bourgeoisie bénéficiaient, elles, d’une confortable sécurité matérielle. Le titre de noblesse et le fief de l’aristocrate d’ancien régime se transmettaient héréditairement, protégeant ainsi la famille de la précarité. À partir du XIXe siècle, la bourgeoisie accède au pouvoir politique. C’est le droit de propriété qui assure sa sécurité. Les patrimoines des familles bourgeoises de cette époque n’ont rien de commun avec les quelques vêtements et les quelques meubles que pouvaient posséder les travailleurs salariés.
Aujourd’hui encore, les salariés modestes s’étonnent des patrimoines de leurs hommes politiques, pourtant relativement faibles. Les quelques millions d’euros que possèdent les plus fortunés d’entre eux représentent beaucoup pour le smicard mais sont à des années-lumière des fortunes des grands dirigeants du capitalisme international. Par exemple, le patrimoine de Jeff Bezos, le PDG d’Amazon, est d’environ 90 milliards de dollars en 2017.
La demande de sécurité et la réponse politique
Il est tout à fait légitime que les travailleurs réclament davantage de sécurité lorsque la société s’enrichit. La croissance économique bénéfice nécessairement au plus grand nombre car il faut une demande solvable pour maintenir une offre croissante. Mais certains domaines relèvent de choix collectifs plus ou moins contraignants. Ainsi, en matière de santé, maternité, retraite, chômage, accidents du travail, la création de mécanismes institutionnels de solidarité fut une réponse au besoin de sécurité par solvabilisation de la demande.
Mais les salariés n’aspirent pas seulement à améliorer leur niveau de vie. Ils souhaitent aussi maîtriser leur mode de vie. L’une des revendications apparue au XXe siècle fut la sécurité de l’emploi. Les salariés veulent conserver durablement leur emploi pour ne pas être « des pions au service des entreprises », dixit de nombreux syndicalistes.
Les politiciens ont répondu à ce souhait de deux façons : d’une part, en réglementant le droit de licenciement de façon de plus en plus rigoureuse ; d’autre part, en étendant considérablement le secteur public et ses emplois stables. Évidemment, une telle politique, électoralement payante, aboutit après un demi-siècle à une rigidification de la société toute entière et à une perte de compétitivité par rapport aux pays ayant maintenu plus de flexibilité de l’emploi.
L’illusion de la sécurité de l’emploi
Le statut juridique et la situation économique d’une entreprise privée ne permettent pas de garantir la stabilité de l’emploi. Elle est créée à l’initiative d’un individu ou de plusieurs (contrat de société) qui peuvent à tout moment cesser librement leur activité. Elle écoule ses produits sur un marché où la demande peut chuter. Par nature, une entreprise privée comporte un certain degré de précarité.
Une contradiction fondamentale apparaît donc entre le concept même d’entreprise privée et la politique de l’emploi.
Il est tout à fait étonnant de voir à quel point les salariés considèrent aujourd’hui qu’il appartient à l’État de maintenir leurs emplois. Les grands plans de licenciement économique sont contestés par les syndicats, ce qui est leur rôle. Mais les salariés se retournent en général vers les pouvoirs publics. Qu’espèrent-ils ? Tout simplement un soutien financier public pour pérenniser une entreprise privée contre la volonté de ses dirigeants. Un apport en capital d’une collectivité publique transforme une entreprise privée en une entreprise semi-publique. L’aspiration à la sécurité de l’emploi du secteur public est sous-jacente chez les salariés.
Sécurité de l’emploi et sécurité des travailleurs
Après plusieurs décennies de politique de sécurisation des emplois, on s’aperçoit aujourd’hui que l’emploi sécurisé devient un emploi rare. La jeunesse est vouée à l’intérim et aux CDD à répétition. La fonction publique embauche de moins en moins puisqu’elle est déjà pléthorique. La sécurisation juridique de l’emploi est une voie sans issue dans une société en évolution rapide. Une entreprise doit embaucher et licencier pour s’adapter. Un secteur public très étendu, avec des personnels sous statut, maintient des emplois inutiles et conserve des salariés peu performants.
Mais la précarisation croissante des salariés ne peut être acceptée dans une société riche. À quoi serviraient nos richesses si certains redevenaient des esclaves du travail ? La sécurité des salariés peut cependant exister sans la pétrification de leurs emplois. De nombreuses initiatives voient le jour dans ce domaine. La « sécurisation des parcours professionnels » permet d’assurer la mobilité des salariés en réduisant la précarité (formation rémunérée, compte universel de droits sociaux, etc.).
La sécurité du travailleur indépendant est également à l’ordre du jour puisqu’il est question en France de le faire bénéficier de l’assurance-chômage. Mais dans ce cas, les cotisations obligatoires feront certainement débat. Le choix entre plus de liberté et plus de sécurité risque d’être clivant dans la population concernée.
Nous avons l’argent pour aller dans le bon sens
L’avenir est-il au salarié très mobile ou à l’indépendant ? Nul ne le sait aujourd’hui, même si le nombre de travailleurs indépendants a recommencé à croître. Une chose est certaine : la sécurisation professionnelle représente dans les deux cas un des grands défis de l’avenir. Si les emplois disparaissent rapidement, il faut pouvoir acquérir une nouvelle compétence tout en étant rémunéré. Cette évolution rapide des compétences suppose un appareil de formation continue performant. Voilà une énorme réforme à réaliser, portant en France sur un masse financière de 32 milliards d’€, très mal utilisée aujourd’hui. Nous avons l’argent. Qu’allons-nous en faire ?
L’oligarchie énarchique qui a réussi son coup d’état en 1974 a soumis la France à la pensée Unique. Le sage Pinay qui lui avait senti le changement de société avait suggéré de remplacer les charges sur salaires par une Taxe sur tout chiffre d’affaires ‘et non une TVA récupérable par certains) et une taxe sur les énergies produites et consommées. Intelligence contre instruction ! La CSG et les grenelles auraient pu être évités ainsi que Pôle emploi et les 1000 offices HLM. La France connaitrait le plein emploi, les bénéfices au lieu des déficits et le respect aurait remplacé la corruption. Mais voila, en France, pourquoi faire simple lorsque l’on peut faire compliqué !
Déjà, sous l’ancien régime, on attendait tout du prince, celui qui distribuait les « charges » qui est fait étaient des rentes, souvent à vie et parfois transmissibles.
Rien n’a changé réellement dans cette France étatiste, jacobine et pétrie de contradictions internes (on veut la liberté mais sans la servitude liée au fait du prince, tout en réclamant sa protection).
Cela a marché tant que la France était aussi peuplée que le reste de l’europe, grâce à sa situation géographique exceptionnelle. Cela a encore marché au XIXème siècle grâce à une inventivité hors du commun.
Cela ne marche plus qu’au prix de 2200 milliards de dettes et de 6 millions de chômeurs.
Jusqu’à quand?
On se trompe de cible. La précarisation de l’activité professionnelle ne serait en rien un problème si elle n’affectait pas la situation personnelle des individus, qui elle resterait stable pour le nécessaire et fluctuante pour le superflu. Les grands dirigeants d’entreprises sont des précaires, les grands footballeurs aussi.
La collectivité doit s’assurer que le cadre où évoluent les individus leur permette de vivre convenablement quand bien même leur emploi serait précaire, par la flexibilité des logements, des emprunts, et la garantie d’un socle de vie (on peut penser pour cela à une fore de revenu universel). L’idée de stabiliser les emplois plutôt que la situation personnelle est un refus de voir que le monde change de toute façon, elle conduirait à faire des fonctionnaires plutôt que des innovateurs et des employés de ces innovateurs.
Bonnes questions, mais réponses difficiles, tellement nous sommes tous conservateurs, dans la situation qui nous est propre. Plutôt tenir, que courir. La proposition élaborée par MichelO est « bien ficelée ».