Libéralisme : ni de droite, ni de gauche, mais d’ailleurs

Le libéralisme est peut-être la seule idée politique originale depuis les Grecs anciens. Alors que toutes les philosophies politiques, de gauche comme de droite, visent à organiser le pouvoir en vue d’un objectif, le libéralisme a pour objectif la limitation du pouvoir lui-même.

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Libéralisme : ni de droite, ni de gauche, mais d’ailleurs

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 21 août 2017
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Par José Lopez-Martinez.

Xavier Driancourt publiait dans Contrepoints un article qui ne laisse pas de surprendre. De fait, se voir tout d’abord annoncer une définition « invaincue » de ce que sont la gauche et la droite permettant de relire l’histoire moderne et d’ouvrir des « perspectives vertigineuses » et apprendre ensuite que la droite serait le « champ naturel du libéralisme » a dû en laisser perplexe plus d’un.

Droite et gauche idéologiques

Driancourt commençait son propos en rappelant que l’on éprouve toujours les plus grandes difficultés à définir clairement l’axe gauche/droite autour duquel s’articulerait la vie politique contemporaine. Ni le principe d’égalité versus celui de liberté, ni la défense d’un ordre nouveau contre un ancien, ni la production d’idées neuves face aux anciennes, ni le progressisme opposé au conservatisme ne seraient des modèles explicatifs suffisamment convaincants pour décrire ce phénomène qui imprègne toute la vie politique contemporaine.

Sur ce point, on ne peut qu’être d’accord avec cette constatation. Même si l’axe gauche/droite n’a pas toujours été aussi présent et structurant. Que l’on pense à la vie parlementaire des IIIe et IVe Républiques qui voyait régulièrement des majorités se former faisant fi de ce clivage.

Que l’on pense également à ces partis, à ces hommes politiques, à ces électeurs qui depuis la fin de la Première Guerre mondiale refusaient et refusent encore aujourd’hui, très explicitement, d’entrer dans ce format binaire, depuis les mouvements fascistes jusqu’à Bayrou ou le FN, en passant par De Gaulle et bien d’autres encore.

Que l’on pense également à tous ces pays où l’opposition entre gauche et droite se voit compliquée par l’existence de partis nationalistes, catégoriels ou confessionnels qui perturbent singulièrement le bel ordonnancement.

Droite et gauche : une division sociologique ?

Face à ces tentatives infructueuses visant à définir la gauche et la droite à partir de prémisses idéologiques, Driancourt propose d’aborder la question du point de vue sociologique, en analysant la qualité et la nature des électeurs de chaque camp. Et découvrir, en remontant depuis les gens qui choisissent un camp ou l’autre en fonction de leurs intérêts, de leurs craintes, de leurs souhaits, etc., ce qui les réunit et tracer ainsi la frontière qui sépare les deux camps politiques. Cette démarche est des plus classiques en sociologie politique. Il n’y a rien à redire sur ce point.

C’est ainsi qu’au terme d’une très (trop ?) rapide description du panorama historique, social, religieux et politique français depuis un siècle, Driancourt nous fait part du résultat de ses recherches : la gauche serait le lieu de coalition de « minorités inquiètes » face à une droite qui réunirait une majorité traditionnelle et tranquille.

Au-delà de l’aspect caricatural qui pollue tant de tentatives de définition de l’axe gauche/droite, à savoir l’opposition entre les bons et les méchants, et même si l’auteur semble très content de la « puissance explicative et prospective » de son modèle, on ne peut manquer d’y trouver des failles béantes qui minent de manière rédhibitoire tout le raisonnement.

Une définition de l’axe gauche-droite trop simpliste ?

Tout d’abord, Driancourt oublie que la droite est tout aussi bien la coalition de minorités que la gauche, depuis les catholiques intégristes de Saint-Pie-X aux défenseurs des traditions de la chasse et de la pêche, en passant par d’autres amoureux de la gâchette en tous genres, les monarchistes anachroniques, les suprématistes racialistes disjonctés et tant d’autres groupuscules folkloriques ou sinistres.

Ensuite, la droite est loin, mais vraiment très loin d’être épargnée par ce sentiment aussi équitablement partagé entre tous les êtres humains qu’est la peur : peur de l’étranger, peur de l’autre race, peur de l’autre religion, peur des autres coutumes, peur des autres modes de vie, peur du changement, peur du futur, etc. Et les politiciens de droite ne sont pas non plus les derniers à jouer de cette peur pour faire passer leur programme politique.

Mais surtout, Driancourt semble inverser la causalité politique : selon lui, les projets politiques naîtraient plus de la réunion de personnes que des personnes se réuniraient pour faire avancer un projet parce que partageant les mêmes idées politiques. Le moins que l’on puisse dire est que cette vision est plutôt contre-intuitive et reflète bien mal la réalité des choses.

En rejetant par principe l’analyse du discours idéologique pour ne retenir que la qualité sociologique des personnes se rattachant à un camp politique, l’auteur passe à côté des faits. Par exemple, si les Juifs ont voté et/ou votent encore à gauche (si c’est vraiment le cas – une véritable étude ne serait pas superflue) alors que sociologiquement et économiquement on s’attendrait à les voir voter à droite, ce n’est pas tant parce qu’ils sont une minorité que parce que la droite française s’est très longtemps structurée autour de l’antisémitisme.

De même manière, si les homosexuels – que l’on suppose répartis de manière plus ou moins égale à travers les quintiles de revenus et de patrimoine – votent plutôt à gauche, ce n’est pas parce que minoritaires, mais bien parce que la droite traditionnelle ne leur a souvent offert qu’un avenir désolant. La démarche purement anthropologique montre bien là toutes ses limites.

Enfin, le modèle de Driancourt est incapable d’expliquer une quantité de phénomènes politiques observés sur des décennies, depuis le fait que l’écologie est née à droite pour devenir un hochet de la gauche, que les femmes votaient plus à droite avant qu’aujourd’hui (c’est ainsi que les partis de gauche ont longtemps résisté au vote des femmes), que le Front National devient chaque fois plus un parti ouvrier, etc.

De même, ce modèle ignore la réalité politique qui structure la France, mais aussi les autres pays occidentaux, à savoir que l’on gouverne au centre. Et fait l’impasse sur les analyses qui décrivent les enjeux politiques en termes d’insiders et d’outsiders – modèle qui explique autrement mieux qu’une supposée appartenance à une « minorité inquiète » pourquoi, par exemple, les fonctionnaires, les enseignants ou les journalistes votent majoritairement à gauche. Au final, incapable d’expliquer tant de points du passé et du présent, on voit mal quelle pourrait être la capacité prospective du modèle de l’auteur.

Où se situe le libéralisme ?

C’est pourquoi on ne comprend pas selon quelle logique (si l’on écarte le non sequitur) Driancourt arrive à décrire la droite – très grossièrement définie comme la majorité tranquille de la douce France face aux excités hystériques et rabiques de la gauche – comme le « champ naturel du libéralisme ».

D’abord, même si l’on accordait crédit à ce modèle, il se trouve que le libéralisme a toujours eu à cœur la défense des minorités et de leurs droits. Partant, le libéralisme serait plutôt de gauche. Ensuite, il se trouve que, dès son apparition comme camp politique, la droite s’est le plus souvent positionnée contre le libéralisme. La droite traditionnelle, catholique a eu comme premier adversaire le libéralisme. Si l’on reprend la nomenclature des droites faite par René Rémond (légitimiste, orléaniste et bonapartiste) et si l’on rajoute cette nouvelle droite nationaliste, antisémite et xénophobe représentée par le Front National, on observe que la droite française est très majoritairement antilibérale.

Les faits historiques sont là pour le démontrer : si le libéralisme a presque totalement disparu du champ politique en France, et ailleurs, c’est bien plus sous les coups de la droite que de la gauche. Et si Hayek adressait, il y a plus de deux générations maintenant, sa Route de la servitude aux socialistes de tous les partis, c’est bien parce qu’à l’époque la droite était aussi peu libérale que la gauche, même au niveau économique.

Depuis Hayek, les gouvernements de gauche et de droite se sont succédés au pouvoir et aussi bien la taille de l’État que le nombre de lois liberticides ou le poids des réglementations n’ont cessé d’augmenter. Le « champ naturel du libéralisme » semble décidément bien infertile pour les idéaux de liberté et le projet d’État minimal.

Le libéralisme n’est ni de droite, ni de gauche

Non, la droite n’est pas libérale. Et le libéralisme n’est pas de droite. Ni de gauche. Certes, cela pourrait paraître relever de la simple pose un peu vaine que de renvoyer dos-à-dos droite et gauche afin de marquer sa différence ou son originalité sur le plan politique. Ou du simple centrisme mou, vaguement écouillé. Cela peut être même assez sulfureux quand on sait que c’est la rhétorique qu’employaient les fascistes ou la technique qu’utilise aujourd’hui le Front National qui feint d’être en marge du système politique. Et pourtant.

Et pourtant, il faut bien se rendre compte d’une chose : le libéralisme est peut-être la seule idée politique originale depuis que les Grecs anciens ont commencé à réfléchir sur la meilleure manière d’organiser la Cité. Depuis la Grèce antique jusqu’à nos jours, toutes les théories politiques tournent peu ou prou autour de cette même problématique : quel est le meilleur modèle de gouvernement pour une société donnée et comment le mettre en pratique ? Et tous les modèles furent pensés dès les premiers philosophes grecs (monarchie, tyrannie, aristocratie, ploutocratie, démocratie, communisme, anarchie, stochocratie, etc.). On n’a rien inventé depuis, seulement varié, brodé, fignolé sur ces systèmes.

Sauf l’idée libérale qui, avec le souci de la défense des droits inaliénables des individus, ne cherche pas à organiser le meilleur gouvernement possible, mais bien à trouver le meilleur moyen de limiter au maximum son pouvoir (ainsi, le libéralisme se satisfait aussi bien d’une monarchie que d’une république tant qu’elles sont strictement limitées). C’est là un renversement complet du paradigme : toutes les philosophies politiques visent à organiser le pouvoir en vue d’un objectif ; alors que le libéralisme a pour objectif la limitation du pouvoir lui-même.

Voilà pourquoi le libéralisme n’est ni de droite, ni de gauche. Car ces deux camps politiques ont le même objectif : la conquête du pouvoir afin de pouvoir organiser la société selon leurs lubies. Gauche et droite (si l’on valide cette catégorisation de la vie politique), au-delà de leur opposition, proposent seulement deux versions d’un même projet, en miroir ou en négatif. Le libéralisme, lui, propose un projet de société véritablement neuf car fondé sur une vision complètement différente du pouvoir.

Et c’est pourquoi, de manière générale, les libéraux, parce qu’ils réfléchissent sur un autre plan, ne se sentent d’affinités particulières ni avec la gauche ni avec la droite contemporaines. Ni de droite, ni de gauche, mais d’ailleurs. L’air y est plus sain : on n’est pas trop nombreux.

Article initialement publié en août 2013.

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  • Philippe Némo explique tout cela fort clairement dans son magistral livre « Histoire de la pensée politique » en situant le libéralisme hors du plan « droite-gauche ». Cette image est à mon sens plus claire que toute autre: le libéralisme n’est ni de droite ni de gauche, il est « au dessus »

  • ce qui revient à dire que ce n’est pas demain la veille que nous auront un dirigeant libéral à la tête de ce qui fut la douce France ….

  • Les commentaires sont fermés.

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