Par Patrick Charaudeau1
Nouvelle petite formule dont sont friands les commentateurs relayés par les médias : « la tentation du vote utile ». Formule désespérante et méprisante, s’il en fut, pour un électorat en mal de choix.
Les trois catégories d’électeurs
Mais ce n’est pas ainsi qu’il faut voir les choses. De ces trois catégories psychologiques d’électorat que sont les convaincus, les pas contents et les fluctuants, catégories qui traversent toutes les couches de la société, c’est la première, dans laquelle se trouve une partie de la seconde, qui est concernée.
Les pas contents se trouvent dans tous les camps, ils disent que « rien ne va », sont capables de changer de camp, de s’abstenir ou de s’extrémiser, et constituent la partie la plus imprévisible de l’électorat. Les fluctuants – qu’il ne faut pas confondre avec les indécis des sondages – ne votent pas selon des principes idéologiques : ils réagissent en fonction de leur situation personnelle, et tout en se disant sceptiques ils se montrent particulièrement sensibles aux promesses et charisme des leaders. Les pas contents et les fluctuants font souvent basculer les résultats de gauche à droite, ou inversement.
Les convaincus – et précisons qu’il s’agit d’électeurs et non point de militants – n’ont généralement pas de problème de choix : ils votent les yeux fermés, par tradition, pour le candidat qui représente « leur famille », de droite ou de gauche. Les choses se compliquent lorsque la famille est divisée, et que chaque partie tire dans les pattes de l’autre (ou des autres), et elles se compliquent encore plus lorsque le leader qui représente chacune de ces parties, dans une surenchère de différenciation, adopte une posture qui rend impossible tout espoir d’alliance avec les autres.
C’est le cas à droite, entre le leader promu par la primaire, François Fillon, et l’extrême droite représentée par Marine Le Pen ; c’est le cas à gauche entre le leader élu par la primaire, Benoît Hamon, et l’extrême gauche de Jean‑Luc Mélenchon.
Mais les choses se compliquent encore davantage, lorsque le leader qui semble bien représenter sa famille est atteint par des « affaires », mettant en question sa légitimité (François Fillon), ou lorsqu’il semble jouer un rôle personnel (Jean‑Luc Mélenchon).
Alors, le convaincu, déçu, désemparé, pas content, plonge dans les eaux troubles de l’expectative, quand ce n’est pas dans la déprime, et sa première réaction le porte à voter contre, contre celui qu’il considère comme le premier adversaire, dans un mouvement de « tout mais surtout pas lui ».
Cependant, voilà qu’apparaît, comme dans les comédies vaudevillesques, le troisième homme, l’ami qui cherche à tirer les marrons du feu en faisant les yeux doux au mari et à l’amant, à la droite et à la gauche : Emmanuel Macron. C’est alors que le convaincu pas content commence à réfléchir, cherchant, non point le meilleur candidat, mais celui qui pourrait, provisoirement, mettre un peu de baume sur sa déchirure, au nom d’une raison qui pourrait justifier sa trahison sans qu’il puisse se la représenter, c’est-à -dire en toute dénégation.
Par élimination…
Et cette raison c’est : l’adversaire honni dont il ne veut à aucun prix. C’est ainsi qu’en 2002, une grande partie des convaincus de gauche se précipita dans un plébiscite du candidat de droite au nom de l’élimination du candidat abhorré d’extrême droite, Jean-Marie Le Pen.
Dans cette campagne de 2017, se produit, par anticipation, un scénario similaire. À droite, une bonne partie de l’électorat de droite votera pour François Fillon – et peut-être plus qu’on ne l’imagine car certains déçus, disciplinés, resteront fidèles à leur famille en oubliant les déboires de leur candidat, et des fluctuants les rejoindront.
Mais une autre partie des pas contents, estimant que leur leader a perdu toute légitimité, votera Emmanuel Macron, « par tactique », pour faire pièce à l’extrême droite et à la gauche. À gauche, la division est plus complexe, car elle porte sur les deux grands courants qui ont toujours constitué la gauche depuis la Troisième République : réformiste et radical, jaurésien et guesdiste.
Et à cette division s’ajoute l’opposition entre un candidat élu du parti et un candidat autoproclamé hors parti, sans compter la différence de personnalité qui caractérise les deux leaders : un tribun au verbe haut, d’un côté, un modeste au verbe raisonnable, de l’autre. Il y a donc les pas contents de la gauche qui, ne pardonnant pas à Benoît Hamon de s’être opposé à la gauche de François Hollande, et ne supportant pas Jean‑Luc Mélenchon pour diverses raisons, voteront Emmanuel Macron, « par tactique ». Quant à l’électorat, autrefois de gauche, qui votera Front national, ce sera au nom du sempiternel : « ras-le-bol ».
Voilà pourquoi les sondages signalent qu’une grande partie des électeurs sondés, hors Marine Le Pen (18 %) et François Fillon (25 %), se dit encore indéterminée (40 % en moyenne).
On n’ira pas jusqu’à dire, comme certains analystes, que ce genre de vote « mine l’utilité même du vote », ni que « la démocratie de délégation s’est alors dévoyée en démocratie négative » (Le Monde, 4 avril) du fait qu’on ne vote plus pour, mais contre.
Ce serait croire que tous les électeurs font partie de la seule catégorie des convaincus, et qu’ils votent tous selon une préférence marquée par l’adhésion totale et absolue envers le candidat qui représente leurs idées. Ce serait confondre électorat et militants. Ce serait confondre le groupe des partisans avec la société citoyenne qui cherche à voter en conscience, et la société civile dont les raisons de voter sont instables.
On ne peut donc parler de « vote utile ». D’ailleurs utile pour qui ? Pour l’électeur ? Pour le candidat ? Pour la démocratie ? Et puis, que veut dire utile ? L’utilité se juge au résultat que l’on ne connaît pas, alors que la tactique témoigne du calcul de celui qui agit en connaissance de cause. En quoi la tactique serait-elle condamnable ? C’est le conflit bien connu entre éthique de conviction et éthique de responsabilité, conflit dont la démocratie a tout à gagner. La démocratie est plurielle et son fondement un jeu d’alliances.
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- Patrick Charaudeau est professeur Émérite en « Sciences du langage » Paris 13, chercheur au Laboratoire de Communication Politique, Centre national de la recherche scientifique (CNRS). ↩
Je partage complètement cette analyse et depuis qu’on sait que les affaires de Fillon sont assez graves pour lui faire perdre probablement l’élection, j’envisage de faire, à contre coeur, un vote tactique pour éviter une finale entre deux candidats catastrophiques.
@ Lomo
Vous avez bien sûr tout à fait le droit d’approuver cette analyse!
Mais comme toute analyse qui « organise » une population en (3) catégories, c’est forcément réducteur. Pour une fois, on a quitté le système binaire, tant mieux! Mais la 3ième catégorie « fluctuante », est logiquement indéterminée quoique ici, définie!
C’est un aveu, honorable, du mystère opaque du résultat, d’une part, mystère qui ne sera pas mieux résolu, une fois le résultat connu, puisque la vérification est impossible, d’autre part.
Parler en « expert de la « science » du langage » me confirme, en tout cas, la définition de « l’oxymore », très à la mode.
je ne sais pas encore pour qui voter , ni même si j’irai d’ailleurs ; ce que je sais c’est que j’en ai plein le dos de la droite et de la gauche ;
La question est difficile, mais peut être pouvez-vous vous rassurer en vous disant que pour une fois nous avons un choix inédit et riche, avec beaucoup de nouvelles têtes !
Le plus triste serait de ne pas aller voter et être victime de ce qui se passera ensuite.
Ca vaut ce que ça vaut, mais votons !
C’est un de ces rares moments où nous sommes maitres de notre avenir !
Non, nous ne sommes pas maîtres de notre avenir quand aucun avenir qui nous est proposé ne répond à nos aspirations.
Choisir le moins pire des candidats n’est pas un choix.
Voter est un acte qui peut avoir du sens s’il est reconnu comme tel. Par conséquent le vote blanc devrait être compté comme suffrage exprimé (permettant ainsi ne ne pas choisir un candidat « par défaut »). Quitte à ne pas pouvoir élire de président, et imposer par conséquent une réforme constitutionnelle salutaire…
Voter pour cette élection est insensé !
Vous auriez du vous présenter à cette élection, vous portez une voix qui aurait gagné à etre entendue…
Il est même temps de montrer à quel point ce type de votation n’est qu’une manipulation de notre droit (devoir) de vote.
Remarquez, le taux de 45% d’abstentions aux législatives de juin 2012 n’a pas eu de conséquences. Il est à espérer que pour les présidentielles, qu’il n’en sera pas de même.
Utile? on a déjà donné, jusqu’à présent ça n’a jamais servi!
Tactique? Celle du lapin devant le renard? Merci bien!
Un inscrit convaincu, pas content mais plus fluctuant du tout.
Mais de quelle tactiques parlez vous?
Si j’en crois les sondages , les jeux sont fait , Macron ne peut pas perdre comme marine ne peut en aucun cas être élue.
Mais les sondages sont très particuliers , la gauche fait plus de 60% malgré un pouvoir socialiste en place catastrophique pour tout le monde ….L’extrême gauche/droite fait à elle seule plus de 50 %.
Cette situation n’a aucun sens,le français n’est pas un révolutionnaire , le monde ouvrier à disparu ,les syndicats en perdition….Tant d’invraisemblances ne peut aboutir qu’à une grosse surprise , l’élection du loser officiel , Fillon ..Macron , regardez le dans le yeux , on ne peut pas reellement voter pour lui, il fait peur avec son regard de prédateur !
Honnetement moi ce n’est pas son regard qui me marque, mais ses dents.
Vous avez vu ses dents ? Blanches, impeccables, aiguisées !
… est-ce qu’on peut vraiment élire un président sur la seule considération physique ?
Le language du corps est bien plus puissant que la parole pour transmettre un message !
fillon président….je serai curieuse de connaitre l’avis des autres dirigeants européen au sujet de celui qui a mis les deux mains dans le pot de confiture depuis X années , qui se permet de mentir en criant au complot contre lui durant des semaines pour ensuite reconnaitre du bout des lèvres  » que oui , il a fait des érreurs  » ; ça va être difficile pour les autres de faire confiance à quelqu’un qui vous ment en vous regardant dans les yeux ;
Ou alors – et ça n’est pas à mettre au crédit de Fillon, hélas – ils le verront comme celui qui s’est fait prendre, et qui n’est pas capable de magouiller efficacement.
Et donc facilement manipulable ! Et oui : « s’il ne va pas dans notre sens, sortons lui une affaire, et une fois qu’il sera en PLS, on en fera ce qu’on voudra du petit président français ! »
George Washington disait : « Il ne saurait être plus grande erreur que d’escompter de réelle faveur de nation à nation ».
Traduction : la politique internationale c’est la jungle, les différents pays ne suivront jamais les mêmes règles. Il ne faut pas hésiter à utiliser tous les atouts en possession pour avancer, car en face ils n’ont aucune raison de nous faire de cadeaux.
Et alors!
Nos voisins attendent une France forte coopérante et prévisible.
Je suis un centriste convaincu, est-ce que ça fait de moi un fluctuant pas content ?
— Vous avez 4 heures.
Plus sérieusement, excellent article qui apporte un éclairage inédit sur cette élection.
Une fois encore nous sommes loin des motivations qui devraient nous guider dans nos choix. Nous devons nous focaliser sur les programmes et propositions réalisables pour sortir ce pays des multiples crises (économiques, financières, sociales, identitaires, politiques, etc…) et marasmes dans lequel nous sommes plongés depuis 4 décennies, et au lieu d’une campagne présidentielle on nous assomme avec des attaques personnelles de tels ou tels qui nous détourne radicalement de notre principal soucis, la dette publique, et la situation générale de la France qui reste réellement dramatique.
A croire que les Français ( sans vouloir porter atteinte à qui que se soit) sont véritablement devenus des assistés télévisuels et médiatique, incapables de prendre du recul et d’imposer LEUR vision, indépendamment de ce qui nous est infligé. Faut il un effondrement de ce pays ou de ce système pour espérer rebâtir un pays avec un peuple redevenu responsable mais surtout acteur de sa vie et non plus le mouton que l’on manipule à volonté, que l’on individualise pour mieux l’isoler et le plumer comme jamais?
Les prévisions qui nous sont données tendent à montrer que peut être cet effondrement n’est pas si loin.
Le seul problème est qu’encore une fois c’est le peuple Français qui va payer pour nos élites. A quand des hommes politiques et publics redevables de leur actions et bilans et ce, à titre personnel. Peut être aurions nous moins de candidats et de plus grande valeur
Excellente synthèse !
Mais que devient le vote intelligent ?
Je veux dire celui du meilleur Programme aux yeux du votant !
Malgré les choix qui nous sont proposés il y aura un vote contre un candidat ou un parti …. c’est plus de la démocratie !
Mais Monsieur Laurent les propositions des candidats ne font pas appel à la réflexion, mais à l’émotion.
On peut se gargariser d’élucubration linguistiques et de la beauté de la formulation française, la réalité est que nous avons le choix entre divers guignols, des nostalgiques rétrogrades, un truculent berger, une palette de menteurs profiteurs impénitents, et un résultat médiatique de la parasitocratie la plus noble, en excluant une illuminée à qui je ne confierais pas un pétard du 14 Juillet!
Choisir parmi les programmes à demi chiffrés et incohérents n’est pas raisonnable!
Choisir selon des clivages politiciens ou des inclinations à des personnalités n’est plus possible (faute de personnalités respectables).
Choisir selon ses propres convictions? Certains ectoplasmes mous et transparents y arrivent encore, mais ce n’est pas une armée.
Cette votation prend les Français pour des sots!
Elle demande de cautionner le grand n’importe quoi des médiocres qui postulent.
Montrons qu’il reste une majorité de Français qui utilisent leur neurones pour leur pays et on le courage de dire NON, pas ça pour l’avenir.
Le vote tactique, puisque les français se cognent de la dette, c’est de voter pour que le mur soit atteint plus vite. C’est donc Mélenchon qu’il faut voter et non Macron 🙂
On laissera aux juges le jugement sur la légalité des pratiques de Fillon. Sur le plan moral, elles sont discutables et révèlent un attachement certain aux biens de ce monde. La réaction initiale de Fillon montre à quel point il était aveugle, se satisfaisant de l’excuse commode qu’il faisait comme tout le monde et que bien d’autres, dans le milieu politique où il baignait, faisaient pire.
Les autres en font autant n’est pas une excuse valable sur le plan de la morale. Mais ma responsabilité n’est pas de sonder les reins et le cœur de François Fillon pour porter un jugement sur l’homme. Mon problème est de choisir pour qui voter et là , le comparatif reprend ses droits.
On oublie souvent que les sommes mises en avant dans le Penelopegate traduisent aussi le fait que Fillon n’a eu qu’une seule épouse et cinq enfants. Si, comme beaucoup de politiques, il avait eu trois ou quatre compagnes ou s’il avait employé maîtresses ou petites mains politiques, les pratiques de Fillon seraient toujours restées en-dessous des écrans radar. Faut-il que Fillon paie pour les autres parce que sa vie familiale est d’un classicisme démodé ?
Voter pour l’équipe Macron ne garantit en rien la mise en place d’un personnel politique plus vertueux que l’équipe Fillon. Macron a de façon évidente dépensé l’argent public mis à sa disposition en tant que ministre pour préparer son aventure électorale. Tous les autres le font. Certes, mais si l’excuse ne vaut pas pour Fillon, elle ne vaut pas non plus pour Macron. Quant à ses relations avec Patrick Drahi, propriétaire de BFMTV et de l’Express qui font ouvertement campagne pour Macron, elles me semblent poser autant sinon plus de questions que celles qu’entretient Fillon avec Marc Ladreit de la Charrière.
Macron n’est certainement pas pire que bien d’autres politiques. De là à voter pour lui au prétexte qu’il serait plus moral que Fillon, non !
Et puis il faut être lucide. Les faits reprochés à Fillon sont anciens et n’ont pas été dissimulés. Fillon n’est pas un illustre inconnu subitement arrivé sur la scène politique. La révélation de ses pratiques n’avait aucune raison d’attendre février 2017. Elle est une manœuvre politique, même si l’identité des auteurs et le circuit de l’information ne sont pas clairs. Faut-il donner une prime à la politique du caniveau ?
Reste la légitimité politique. Les affaires empêcheraient Fillon, même élu, de mettre en œuvre son programme. Je n’y crois pas. S’il est élu, ce qui n’a rien d’évident, la violence de l’épreuve traversée et la mise sur la table de tout ce qu’il y a à savoir sur Fillon restaureront sa légitimité. Et dans son camp, la fuite éperdue des girouettes privera de légitimité tous les partisans de l’immobilisme chiraquien
La seule chose qui soit certaine, c’est que le Président(e) élu(e) n’aura guère réuni qu’un petit quart de voix dans le tour du choix. Le second ne servant qu’à éliminer le pire (dans l’esprit de l’électeur).
Les haineux ,les impulsifs, les ras le bolistes, les moutons ( très nombreux ) les bipolaires,les schizophrènes, les obsédés, les séniles ,les distraits etc ….Il y en a des sous-catégories !