Par Philippe Vilmain.
Au milieu de cette campagne présidentielle pleine de rebondissements, Jean-Luc Mélenchon se taille la part du lion et voit sa popularité exploser jour après jour. Tentons de comprendre comment il s’y prend.
Les sondages, s’ils sont à étudier avec précaution, mettent en avant une explosion ; que dis-je, un raz-de-marée insoumis, voyant Jean-Luc Mélenchon dépasser tour à tour Benoît Hamon et François Fillon dans les intentions de vote. L’affluence à ses spectacles meetings tend à démontrer que c’est effectivement le cas. Ces colonnes ont déjà maintes fois mis en avant les dangers qu’il représente pour la France, je m’intéresserai donc plutôt aux méthodes de campagne utilisées, qui sont autant de raisons d’ouvrir les yeux que le contenu du programme en lui-même.
Le stand-up humaniste
Tout le monde s’accordera sur ce point, Jean-Luc Mélenchon est un tribun de grand talent : littéraire, cultivé, charismatique, grand parolier depuis le début d’une longue carrière qui n’a jamais été autre que politique, voilà des décennies qu’il peaufine sa pratique du stand-up avec toujours autant de jubilation et toujours plus de précision. Je dois l’avouer, l’homme est captivant lorsqu’il est sur une scène, révoltant certes mais pas moins distrayant, c’est certainement une des raisons qui m’ont poussé à m’y intéresser à ce point.
Il prouve avec brio que la rhétorique humaniste est une technique imparable. Face à un public toujours plus pessimiste du fait de la situation actuelle du pays et animé par un sentiment de révolte, il se fait le chantre du camp du Bien et nous offre l’espoir avec force bisous. Il encense la paix, la solidarité, les jours heureux, les animaux et les fleurs, les arcs-en-ciel et les poneys. Il condamne l’injustice, la misère, les inégalités, les dictatures. Mélenchon fait rire et pleurer, il révolte et exalte, il représente des valeurs que nous ne pouvons que partager, bref il nous ressemble.
Enfin, notre sauveur n’oublie pas de dénoncer les persécuteurs qui font de nous, petit peuple, leurs victimes. Il nous ouvre les yeux pour que nous réalisions notre condition d’esclaves de l’ultra-turbo-libéralisme, du Grand Kapital, de l’Allemagne, des États-Unis, et suscite la méfiance envers leurs vils émissaires : Voldemort et Sauron, Macron et Fillon (Le Pen étant étrangement épargnée). Pour ceux qui ont des bases en matière d’analyse transactionnelle, on ne pourra s’empêcher d’y voir une application du Triangle de Karpman, mais comment croire que notre héros s’abaisse à de viles techniques de manipulation ?
La bombe dans la pièce montée
Voilà le buffet que nous propose Jean-Luc Mélenchon : une magnifique pièce montée qui ne peut que faire saliver, et à côté d’insipides gâteaux amateurs bourrés d’OGM et de pesticides. Mais il connaît ses rudiments de pâtisserie Jean-Luc, il sait bien que pour qu’on ne devine pas ce qui s’y cache, la pièce montée doit être grande et très bien décorée. Justement, il y a une surprise à l’intérieur, et elle ressemble plus à Fidel Castro qu’à Marylin Monroe.
Nous avons déjà vu que l’apparence est soignée, il distille donc ça-et-là une mesure de son programme, tout en rappelant qu’il a publié ce dernier depuis plus d’un an, LUI, et chiffré en détails s’ils vous plaît. Et si nous sommes présents à son meeting, c’est forcément qu’on le connaît déjà. Bercé par les doux mots de notre Héros, chacun doit donc faire ses devoirs, et il y a du boulot : 3 livres, 40 livrets à thème d’environ 20 pages chacun (d’autres sont prévus si ça ne vous suffit pas), un chiffrage en vidéo de 5 h 26, de nombreuses vidéos sur Youtube et même une BD et un jeu vidéo !
Avec une telle mine d’informations, Jean-Luc Mélenchon a de fait une légitimité pour accuser ses adversaires d’avoir des programmes lisibles inexistants. Et si c’était voulu ? Et si l’idée n’était pas justement de rendre la lecture entre les lignes quasi impossible à qui n’a pas de bonnes notions d’économie ou n’y accorde pas une part (très) importante de son temps libre ? Pour les moins impliqués, il reste les meetings pour détailler le programme… Oh wait !
Le militantisme clés en main sur internet
Fort heureusement, les militants sont très bien accompagnés pour répandre la bonne parole, autant sur les réseaux sociaux que dans leur entourage ou sur les marchés. C’est là que la France Insoumise a su tirer parti du XXIe siècle et de l’omniprésence d’internet dans nos vies. Le discord des insoumis est un véritable QG virtuel de campagne. On y est accueillant, poli, on y accompagne les militants débutants. On peut y débattre, sauf si on est contre Mélenchon évidemment. Mais surtout, on y trouve quantité de ressources qui font de cette plateforme une boîte à outils du petit démagogue.
Un document Excel en particulier permet au premier quidam lambda de devenir évangéliste chevronné en un temps record. Tout y est ! Demain, la nouvelle recrue, incapable de débattre par elle-même et confrontée à un opposant, n’aura qu’à se référer à sa banque de données pour copier/coller l’argument type prémâché correspondant parmi plusieurs dizaines, savamment écrits pour leur pouvoir de culpabilisation de l’opposant et agrémentés des meilleures techniques de manipulation de l’opinion existantes. « Mais si vous pensez que XXX, alors vous êtes contre la paix / pour la pauvreté ? »
Si le militant a du temps libre après avoir débattu à coups d’arguments qu’il ne comprend probablement pas lui-même, le tableau contient une mine de contenus pour aider, je cite, au « discrédit des candidats adverses » car « la plupart des gens vont voter pour quelqu’un sans réellement savoir pourquoi ». Les insoumis nous expliquent donc de manière très explicite que l’électeur français est stupide. Comme plaisantaient les Inconnus, « il ne faut jamais prendre les gens pour des cons, mais il ne faut pas oublier qu’ils le sont ». C’est grave : on retrouve ici les bonnes vieilles méthodes de propagande de l’ex-URSS, adaptées à l’ère du numérique. Les tweets remplacent les affiches, la diffamation remplace l’exécution des opposants. C’est mieux pour l’opinion.
Une stratégie d’horloger suisse
Pour résumer, on voit que la stratégie globale de Jean-Luc Mélenchon en 2017 est réglée comme du papier à musique, et ce en trois étapes.
D’abord, il peut se vanter d’avoir un programme très complet, et c’est vrai. Celui-ci est extrêmement détaillé et disséminé sur des supports multiples, au point d’en être très dissuasif et tant mieux : il développe un totalitarisme qui ne dit pas son nom.
Ensuite, le curieux découragé trouvera la simplicité en se tournant vers un meeting, format plus confortable et qui nécessite moins d’investissement personnel, mais forgé avec soin à grands coups de rhétorique humaniste. Il ne pourra qu’y adhérer s’il n’a pas creusé lors de la première étape, et deviendra un fidèle défenseur de la paix, de la solidarité et des bisous, et un fervent combattant de l’injustice et de la pauvreté, en bref : un Gentil.
Enfin, le convaincu toujours ignorant se verra mettre à disposition tous les outils nécessaires pour militer sans trop penser, et surtout sans être motivé à retourner à l’étape 1 pour creuser. Après tout, ce contenu existe, ce qu’il en a entendu est forcément voué au bonheur, et ce héros charismatique n’aurait clairement pas osé lui mentir.
Melenchon, une machine de propagande bien huilé ?
Et si l’adage « la plupart des gens vont voter pour quelqu’un sans réellement savoir pourquoi » était finalement le reflet de la triste réalité ? Au grand risque de vous décevoir, car vous ne vous trouvez pas dans cette catégorie, mais personnelement j’en côtoie tous les jours, et les gens n’hésitent pas à vous dire qu’il ne vote, que pour la beauté ou la prestance d’un candidat, ou bien encore par affront puisque rien ne change. Vous n’aurez qu’à écouter les chroniques de Guillaume Meurice sur France Inter pour terminer de vous convaincre. Donc quelqu’un qui a une feuille de route et un programme complet, forcément ça laisse rêveur, et effectivement tout le monde n’à pas les capacités d’un tribun ou n’est pas capable de parler avec brio sur un programme aussi complet … Et s’il s’agissait seulement d’avoir un bagage solide pour convaincre en s’appuyant sur un programme ?
Je le pense, et à vrai dire ça me fait toujours halluciné que des gens ose dire que « le convaincu (est forcément) … ignorant ». Vous l’aurez compris, je voterais Mélenchon, et effectivement pour son programme.
Je vous remercie d’avoir pris le temps de réagir à cet excellent article. Ici au moins vous ne faites que perdre du temps, que vous auriez pu employer à diffuser vos idées ignobles auprès de lecteurs plus crédules. Mélenchon, c’est la misère et la mort. Il a besoin d’anges sacrificiels comme vous. Il s’en nourrit. Bravo !
« J’ai vécu votre futur et ça n’a pas marché » disait Vladimir Boukovski, ancien dissident soviétique, en 2006. J’aimerais savoir quel pays avec un régime communiste peut se targuer d’être prospère?
Même si je combattrai sans relâche les idées de Mélanchon, force est de constater qu’il n’est pas le seul à déployer sa propagande. C’est le propre même des partis. Même des démocrates s’adonnent aux mêmes méthodes. Fillon et Macron bombardent quotidiennement leurs adhérents avec des mails qui sont dans la même veine : discrédit des concurrents et trucs et astuces pour défendre le programme.
Certes, la définition même d’une campagne présidentielle qui vise la victoire incite à une certaine forme de « propagande ». Étant inscrit aux newsletters des cinq candidats principaux, on constate tout de même une différence de niveau dans l’application de ces méthodes.
Mon ressenti est que Mélenchon et Le Pen se distinguent clairement des autres dans l’intensité de la démagogie, le premier comme décrit dans l’article de façon insidieuse, la seconde d’une manière beaucoup plus « in your face » à grands coups de désinformation complètement assumée.
C’est là toute l’idée de mon choix de sujet, ne serait-ce que pour la facette du programme tellement détaillé qu’il en devient dissuasif et les méthodes pour obtenir l’adhésion des foules sans le connaître en profondeur, et ça c’est unique à Mélenchon : ses adversaires ont tous des programmes lisibles. Moins détaillés, diraient les insoumis, mais néanmoins compréhensibles pour se faire une opinion sans y consacrer 5h par jour.
Le populisme est un terme qui a toujours été utilisé pour désigner la droite et jamais la gauche. Maintenant je sais pourquoi : ce serait un pléonasme.
Mélenchon, le petit Père Ubu des peuples… ?