De l’État actionnaire à l’État entrepreneur

Les débats de 2017 n’ont, jusqu’à présent, que très peu évoqué l’enjeu de l’actionnariat public et la nécessité d’ériger durablement une nouvelle forme d’action publique : plus responsable, plus innovante, plus libre et entreprenante. Il reste trois mois.

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De l’État actionnaire à l’État entrepreneur

Publié le 11 février 2017
- A +

Par Benjamin Boscher.
Un article de Trop Libre

De l’État actionnaire à l’État entrepreneurDans toute société, l’État a la possibilité d’investir les pans de son économie de différentes manières. Dans une incarnation pernicieuse de cette capacité, il est arrivé qu’il réglemente des secteurs entiers quitte à les contingenter et à les paralyser durablement ; qu’il ait promu des intérêts particuliers quitte à ne pas prêter garde à la soutenabilité économique du soutien qu’il apporte ; qu’il ait assuré la maintenance de créneaux industriels en rémission quitte à ne pas se montrer stratégique quant à la pérennité des projets qu’il assiste.

Dans une incarnation plus positive de cette capacité, l’État soutient quotidiennement, par sa politique fiscale et ses investissements, l’économie de proximité et des services d’utilité sociale. De même, les interventions publiques ont pu régénérer et soutenir utilement des versants économiques avec succès, participer même à l’émergence de véritables innovations dites de rupture.

Mais un État ubiquiste pose problème. Pour lui-même avant tout. L’actualité le démontre encore avec la publication d’une série de rapports au sujet de l’État actionnaire1.

L’État actionnaire : mayday mayday mayday ! De la contreperformance à la réforme

L’État actionnaire est, par définition, la puissance publique qui investit le capital social et la structure d’établissements publics ou d’entreprises privées afin, en théorie, de défendre et soutenir des intérêts stratégiques pour le pays.

Il est cette manne aujourd’hui gérée par trois séries d’institutions – l’APE, la BPI et la CDC2, qui constitue l’un des leviers phare de l’action publique. L’actionnariat public représente 1800 entreprises et une valeur globale de 100 milliards d’euros. La France est l’un des pays de l’OCDE où la part des entreprises à participation publique est la plus importante.

L’État actionnaire est finalement cette incarnation de nos paradoxes, symbole de cette économie de marché mêlée d’intervention étatique.

Il serait également cette saga, cette fable pas vraiment réussie et assez incroyable. Car si il a su anticiper certaines transformations – à la Poste par exemple -, il brille aujourd’hui par de multiples contreperformances. Ainsi la Cour des comptes note la dévaluation constante du portefeuille coté des entreprises relevant de l’APE. Fin 2016, le portefeuille d’actions de l’État était valorisé un peu moins de 60 milliards d’euros, et avait perdu près de 8 milliards d’euros sur un an. De même, les situations financières d’entreprises publiques comme Areva et la SNCF sont, à moindre mot, très préoccupantes. Leurs dettes sont abyssales, elles ont aussi connu de lourdes pertes en 2015 – près de 10 milliards d’euros. Détonnant de performance…

L’utilité d’un État actionnaire est, cependant, parfois indispensable pour maintenir l’essence même de certaines de ses missions, s’agissant de sa souveraineté énergétique par exemple, ou de son audiovisuel public (son champ d’action divise cependant). Mais, dans sa globalité, l’État actionnaire connaîtrait donc des carences indéniables, des contradictions multiples, des faiblesses chroniques (cadre budgétaire inadapté, conflits d’objectifs et d’intérêts, rôles multiples et contradictoires).

L’État confond donc trop souvent tutelle et actionnariat, veille et action, épargne et profit.

La solution ? Elle peut être double.

L’État actionnaire doit se réformer

– Les recommandations ne manquent pas : il doit restreindre son champ d’intervention au strict nécessaire, procéder à de nombreuses cessions et privatisations – qui renfloueraient utilement un budget public en quête de ressources3– ; considérer finalement que l’intervention publique doit être une exception4. Le maintien de l’approche traditionnelle de l’État ne peut constituer un garde-fou contre les dérives de gestion, dixit la rue Cambon.

– Cela reviendrait ainsi à tendre davantage vers une société de confiance. Confiance envers les entités locales, confiance envers les entrepreneurs, confiance envers l’autonomie. Il s’agirait finalement de diminuer la complexification des décisions en diminuant la multiplicité des intérêts au sein des entreprises. De faire plus simple, moins dogmatique, moins autocrate. Cette société de la confiance est dessinée par les recherches de Yann Algan et de Thomas Cazenave, qui imaginent ce que doit être l’âge de la confiance, l’action publique de demain, synonyme d’un service public plus décentralisé, moins normatif et uniformisant : la confiance favorise aussi l’efficacité des entreprises, rappellent-ils5. Kenneth Arrow, prix Nobel d’économie, décrit lui-même le besoin d’une confiance multiscalaire : une grande part du retard de développement économique d’une société est due à l’absence de confiance réciproque entre ses citoyens6.

L’État actionnaire doit changer de nature. Il faut passer d’une figure tutélaire, et verticale, trop présente dans l’économie, vers un État entrepreneur

L’État entrepreneur ne s’oppose pas, en substance, à l’État actionnaire. Il englobe sa version réformée et constitue une version évoluée de l’action publique.

L’État entrepreneur, c’est celui qui n’est pas attentiste face au déferlement de mouvements disrupteurs et qui prend conscience des données de la révolution digitale, de ce souffle transversal qu’on ne peut contenir et qui, bien sûr, remet en cause certains piliers de notre économie (salariat, fiscalité, sécurité etc.).

Il ne doit pas concurrencer le règne du raccourci, l’ère de la vitesse, les lois de la rapidité et du courtermisme, mais se veut comme une action publique qui s’attaque à la défiance publique en recréant cette proximité indispensable et complémentaire à la virtualité des échanges et des profits.

Il est celui qui finalement dessine une nouvelle forme de croissance dans un contexte de concurrence qui favorise le renforcement de notre capacité à innover. Jean Tirole rappelle que cette concurrence promeut la diversité des approches et des expériences, faisant émerger des choix technologiques et des modèles économiques plus performants7. Une politique publique d’innovation performante est donc un moyen essentiel pour assurer la compétitivité de nos entreprises. L’innovation doit être au cœur d’un État entrepreneur qui fonctionne, performe, dépasse ses objectifs et ce, même lorsqu’il s’agit de son actionnariat public.

Quelles incarnations concrètes ?

L’État entrepreneur n’opposera pas alors État et marché. L’économie a besoin du marché, et le marché de l’État, pour rectifier ses faiblesses et garantir la possibilité d’investir, la liberté d’entreprendre et d’innover. De fait, l’État joue déjà aujourd’hui un rôle majeur dans l’innovation. Le montant de l’ensemble des aides à l’innovation s’élève aujourd’hui à 10 milliards d’euros, soit un demi-point de PIB. Cela représente un montant supérieur de plus de 25 % au budget de la justice par exemple, rappelle France Stratégie8.

Cette politique porte ses fruits à différents égards. Des indicateurs classent régulièrement la France parmi les nations les plus innovantes9, pour ce qui concerne ses plus grandes entreprises du moins. D’autres viennent nuancer cet élan10, à l’image du Word Economic Forum.

Dès lors, l’État entrepreneur doit parachever la transformation de notre économie d’imitation en une économie d’innovation11, et mieux gérer ses politiques publiques en la matière. Aujourd’hui, celles-ci connaissent une multiplicité d’objectifs, une profusion d’instruments et une instabilité des dispositifs12.

Les recommandations pour mieux faire, ici aussi, ne manquent pas : nouvelle coordination avec les régions, meilleures évaluations des dispositifs engagés, augmentation des capacités privées de R & D13, simplification et clarification d’un certain nombre d’aides, soutien accru aux entreprises innovantes.

Une transition à l’oeuvre

Cet élargissement de l’État actionnaire, ce passage vers un État entrepreneur a, par certains aspects, déjà commencé. Une culture de l’entrepreneuriat et de l’innovation se développe peu à peu, et ce, même au sein des structures publiques. L’État en mode start-up, de Yann Algan et Thomas Cazenave, décrit ce phénomène. Le nouvel âge de l’action publique que ces chercheurs décrivent, arrive peu à peu. Il est celui des startups d’État, des labels incitatifs – French Tech – du recours aux investissements à impact social réel, d’une collaboration plus horizontale et inclusive afin de faire autrement en s’appuyant sur l’innovation technologique et managériale14.

Il optimise l’utilisation des données numériques – création d’Etalab – et promeut les savoir-faire d’ingénierie au sein des instances publiques. Il est celui des clusters– initiatives décentralisées dédiées à l’innovation et à même de créer un effet de masse et d’entrainement à l’échelle locale et de promouvoir une croissance partagée15.

Les débats de 2017 n’ont, jusqu’à présent, que très peu évoqué l’enjeu de l’actionnariat public et la nécessité d’ériger durablement une nouvelle forme d’action publique : plus responsable, plus innovante, plus libre et entreprenante. Il reste trois mois.

Sur le web

  1. Notamment le rapport de la Cour des Comptes L’État actionnaire, du 25 janvier 2017 et la note de L’institut Montaigne, Impossible État actionnaire ? De David Azéma, de janvier 2017.
  2. Trois agences incarnent l’État actionnaire : l’Agence de participations de l’État, la Banque publique d’investissement et la Caisse des Dépôts et de consignations.
  3. 12,4 MdsE de cessions seraient « facilement » réalisables : http://www.boursier.com/actualites/economie/francois-fillon-ne-garderait-que-les-participations-d-etat-jugees-strategiques-34365.html
  4. Note de L’institut Montaigne, Impossible État actionnaire ? De David Azéma, de janvier 2017.
  5. Yann Algan et Thomas Cazenave, L’État en mode start-up, Eyrolles.
  6. Kenneth Arrow, « Gift ans exchanges », philosophy and public affairs, 1972.
  7. Jean Tirole, Economie du bien commun, 2016, Puf.
  8. Quinze ans de politiques d’innovation en France, rapport de la Commission présidée par Jean Pisani-Ferry, rapporteurs : Mohamed Harfi et Rémi Lallement, janvier 2016.
  9. La France sur le podium des nations les plus innovantes, latribune.fr, janvier 2017, http://www.latribune.fr/entreprises-finance/la-france-sur-le-podium-des-nations-les-plus-innovantes-629762.html
  10. The Global Competitiveness Report Du Forum économique de Davos ou encore l’Indice d’Innovation du groupe Bloomberg.
  11. Aghion P., Cette G., Cohen E. et Pisani-Ferry J. (2007), Les leviers de la croissance française, rapport du Conseil d’analyse économique, La Documentation française, Paris.
  12. Quinze ans de politiques d’innovation en France, rapport de la Commission présidée par Jean Pisani-Ferry, rapporteurs : Mohamed Harfi et Rémi Lallement, janvier 2016.
  13. Les entreprises sont parfois frileuses, en raison notamment de l’appropriabilité imparfaite de ses rendements par celui qui engage les dépenses R & D – elles peuvent profiter à tous selon Jean Tirole, dans son Economie du Bien Commun.
  14. Yann Algan et Thomas Cazenave, L’État en mode start-up, Eyrolles.
  15. Yann Algan et Thomas Cazenave, L’État en mode start-up, Eyrolles.
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  • Excellemment présenté et argumenté.
    Question pratique, la haute fonction publique est elle équipée intellectuellement pour fonctionner en mode dynamique, entrepreneurial ?
    Pour la classe politique en général, c’est terra incognita…Et de l’abandon de prérogatives, du libéralisme honni, en quelque sorte.

  • J’ai du m’arrêter au milieu ça m’a saoulé.
    Il n’est d’entrepreneurs que d’hommes, que d’individus.
    Parler d’un état entrepreneur c’est nier qu’il ne s’agit que d’hommes, avec pour seules différences que:
    – Aucun ne prend un quelconque risque dans la démarche
    – Aucun n’a généralement de compétence particulière dans le domaine entrepris, du décideur politique à l’agent catégorie C
    – Le plus souvent la véritable raison de ce qui est entrepris n’est pas cet « intérêt général » si commode à brandir, mais bien l’intérêt particulier du politique visant sa ré-élection.
    Forcément, ça va bien marcher…

  • L’État est fondé à n’agir qu’en tant qu’arbitre et ne jamais se mêler de la partie.
    En tant qu’opérateur économique il représente le summum de l’impéritie
    et cet article est très loin de la philosophie libérale 😀

  • L’Etat actionnaire est une réalité qui ne devrait pas exister, dans aucun domaine. Que ce soit industriel ou culturel, l’Etat n’a pas sa place pour rectifier, réguler, orienter, imposer quoi que ce soit.
    La doctrine politique biaise par essence la capacité entreprenariale de l’Etat, à quelque niveau que ce soit.
    Quand à laisser l’Etat simplement actionnaire comme le serait un investisseur lambda, c’est s’exposer à deux contradictions :
    – soit l’Etat cherche ainsi un profit via les dividendes perçus (ce qu’il fait déjà très largement, étant le moins bon actionnaire qu’il soit dans les grandes entreprises pour lesquelles il exige le versement de ces bénéfices), et cette pratique n’est pas celle d’un État, quel qu’il soit. On ne peut être endetté pour plusieurs décennies, être incapable de gérer un pays correctement, de respecter des budgets convenables et attendre des entreprises déjà imposées qu’elles versent des bénéfices. C’est un comportement schizophrène !
    – soit l’Etat est un actionnaire actif, présent au CA, intervenant dans la stratégie, et il n’est pas légitime pour ces missions qui ne relèvent que de la sphère privée.

    Non, décidément, l’Etat actionnaire est une sorte d’abomination qui n’a pas sa place dans un pays développé. Mais peut-être en a-t-il une dans un pays en voie de sous-développement…

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