Quand Piketty soulève la question de la carte scolaire

Faut-il, comme le pense Thomas Piketty, contraindre les établissements privés à la mixité sociale en les soumettant au même titre que le public à la carte scolaire ?

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Thomas Piketty by Socialdemokraterna(CC BY-NC-ND 2.0)

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Quand Piketty soulève la question de la carte scolaire

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 30 septembre 2016
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Par Philippe Gorre.

Dans une tribune publiée dans Le Monde du 6 septembre, Thomas Piketty a reproché au gouvernement de ne pas tenir ses promesses de promotion de la mixité sociale dans les collèges, en se bornant à des effets d’annonce.

Le 9 novembre 2015, le ministère avait en effet présenté un plan pour renforcer la mixité sociale par la création de secteurs multi collèges, sur la base d’un volontariat, avec la participation annoncée de 14 académies et de 17 départements, dont Paris.

Le calendrier associé à ce plan prévoyait que « les solutions décidées sur ces territoires pilotes seraient opérationnelles à la rentrée 2016 ».

Thomas Piketty écrit que « le niveau de ségrégation sociale observée dans les collèges atteint des sommets inacceptables » et que « Le privé pratique une exclusion quasi complète des classes sociales défavorisées, et contribue ainsi fortement à la ségrégation scolaire d’ensemble. »

 

Soumettre le privé à la carte scolaire

Il en déduit que si l’on souhaite véritablement faire progresser la mixité sociale, il faut soumettre les collèges privés à la carte scolaire.

Il justifie cette proposition en disant qu’à partir du moment où ils bénéficient d’un financement public massif, il est normal que ces établissements soient soumis à des règles communes d’affectation des élèves, en oubliant que ce financement provient des impôts payés par les parents et que l’enseignement privé coûte moins cher à la collectivité que l’enseignement public.

Il appuie sa proposition sur les chiffres de Paris, zone où la ségrégation sociale est la plus forte, dans le public et dans le privé, en raison du coût du logement et d’une présence massive d’une population immigrée.

D’ailleurs une étude réalisée par Pierre Courtioux, chercheur à l’Edhec, sur l’ensemble de la France, montre au contraire que la mixité sociale est plus grande dans le privé que dans le public.

 

La réponse de Najat Vallaud-Belkacem

Dans un entretien avec Mattea Battaglia, publié dans Le Monde du 7 septembre, Najat Vallaud-Belkacem a répondu :

« Penser que l’on pourrait imposer autoritairement la mixité sociale, en supprimant au passage une partie de la liberté de choix des parents, c’est entretenir une forme d’illusion qui aboutit à l’immobilisme. »

Elle ajoutait qu’il fallait « rompre avec le mythe français de la mesure globale uniforme du grand soir politico-technocratique » et qu’elle ne pensait pas « qu’un algorithme puisse constituer une baguette magique ».

Prétendre s’opposer à la suppression d’une partie de la liberté de choix des parents, alors qu’avec la réforme du collège, on vient de mettre à mal les options et les classes européennes ou bilangues qui permettent d’échapper à l’affectation au collège le plus proche du domicile des parents demande de l’aplomb et même du culot. Mme Vallaud-Belkacem a maintes fois prouvé qu’il ne lui manquait ni l’un ni l’autre.

 

Une mauvaise controverse au moment des élections

Il fallait pourtant mettre fin à une controverse qui n’est pas de nature à servir les intentions électorales du  président de la République.

C’est ce que le rectorat de l’académie de Paris a fait dans Le Monde du 12 septembre, en annonçant la mise en place pour la rentrée 2017 d’un système d’admission dans les collèges différents du système actuel qui affecte les élèves dans le collège le plus proche de leur domicile.

Ce système concernera huit arrondissements, du Xe au XIVe et du XVIII au XXe sur le modèle du logiciel Affelnet déjà utilisé pour l’admission dans les lycées. Ces arrondissements seront redécoupés en une douzaine de secteurs dont le contour n’est pas encore déterminé, comptant chacun trois ou quatre collèges.

 

L’expérience parisienne

Les familles exprimeraient leurs préférences entre les collèges de leur secteur.

Après les cas prioritaires, enfants handicapés, regroupements de fratries, les autres seraient affectés en fonction de critères sociaux, de façon que chaque collège reflète la physionomie du secteur auquel il appartient. En cas de déséquilibre entre l’offre et la demande, la répartition des places pourrait être effectuée par tirage au sort, ou en fonction de la distance du collège à l’établissement.

Les incertitudes qui demeurent rendent sceptiques sur l’affirmation par le rectorat que le dispositif aurait même pu être mis en place dès septembre 2016, « s’il n’y avait eu quelques difficultés techniques entre les systèmes informatisés de la mairie et du rectorat. »

Ce système tendant à uniformiser la répartition des catégories sociales entre les collèges d’un même secteur s’efforce de corriger les défauts du logiciel Affelnet qui, en retenant comme critère prépondérant le bénéfice d’une bourse sur critères sociaux, peut aboutir à une réduction de la mixité sociale, comme c’est le cas au lycée Turgot où ont été affectés 83 % de boursiers. Son efficacité est cependant limitée aux endroits où voisinent collèges cotés et collège défavorisés.

Enfin, les collèges sous contrat n’étant pas soumis à la carte scolaire, le rectorat avance :

« Le privé sera inclus de différentes façons. On peut convenir avec lui d’objectifs de composition sociale des collèges, de stratégies de recrutement… »

Sans se prononcer sur les raisons ayant poussé Thomas Piketty à soulever la question sensible de la carte scolaire en période préélectorale, Mme Vallaud-Belkacem est sans doute parvenue à calmer le jeu, en confirmant son appel de 2015 à l’enseignement catholique pour qu’il s’associe à la recherche de la mixité scolaire, et en reportant les conséquences à la prochaine rentrée scolaire.

Elle n’a pas résolu pour autant la question de fond qui est celle de la compatibilité de la mixité scolaire avec un multiculturalisme qu’elle est la première à encourager, en développant l’apprentissage des langues d’origine au primaire, et en ne luttant qu’en paroles contre les « incivilités » à l’école.

Cette situation explique qu’un syndicat d’enseignants ne se réclamant pas de la gauche, comme le SNALC, demande l’application de la carte scolaire à l’enseignement sous contrat, en espérant alléger la charge qui pèse sur le public. On comprend aussi pourquoi, selon un sondage, 45 % des Français préfèrent l’enseignement privé, alors qu’il ne peut accueillir que 20 % des élèves.

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  • Question gênante : où Piketty a t il mis ses enfants à l’école ? Dans un lycée mixte socialement où comme tous les bons gauchos bien pensants a henry Iv Louis Legrand ou l’alsacienne ? A moins qu’il n’en ait pas et auquel cas il peut être libre penseur sur le sujet

  • Une bonne partie des parents sont loin d’être opposés à la mixité sociale et culturelle.

    Par contre, tous refusent la mixité avec des eleves qui refusent l’école, qui rejettent tout projet pédagogique et refusent délibérément d’obéir aux regles de vie commune.

    3 Mesures simples:

    – la possibilité pour un collège de refuser un élève violent avec les enseignants et les autres élèves, continuellement perturbateur des cours,
    – la mise en place de classes par niveau pour les matières principales ( math et Francais, anglais ? ) avec 30-35 bons élèves, 24 eleves moyens et 12 eleves à la traîne dans le niveau ayant le plus besoin d’accompagnement. Le reste des cours se déroulant dans des classes indifférenciées ( je l’ai vecu dans mes années collège)
    – les eleves exclus du systeme ( moins de 5%) seraient rendus à la responsabillité des parents (des 2) et ils pourraient déléguer leurs autorités parentales à une structure adaptée relevant autant du médical que du judiciaire.

    Rien que cela changerait l’ambiance des collèges.

    • bravo ! excellente idee mais qui ne sera jamais appliquee helas

    • Un système totalitaire comme l’EdNat ne peut pas mettre dehors, puisque du fait de sa nature, il n’y a pas de dehors. Un système totalitaire ne peut que mettre dedans. L’EdNat est comme la prison : on ne va pas mettre dehors un prisonnier parce qu’il se comporte mal. On va le mettre dedans, sous-entendu au mitard ou à fond de cale, les fers au pieds. Eh bien, c’est la même situation pour les élèves perturbateurs.

      Si certains parents abandonnent leur autorité parentale à l’Etat comme vous l’envisagez, il convient qu’ils payent pour cela des taxes spécifiques complémentaires aux impôts que tout un chacun paye déjà pour l’EdNat avec le fantastique rapport qualité/prix qu’on sait. On peut parier que, dans ce cas, ces parents retrouveront soudainement leur autorité, comme par enchantement.

      • Dejà, aujourdhui l’école n’est pas obligatoire… seule l’instruction l’est… et cela ne releve pas de la societe mais de la responsabillité des parents.

        Je partage votre avis sur la prétention universelle de l éducation nationale, son approche dogmatique et coercitive , son manque d’efficience …

        Reste que sans attendre un grand soir ( ni le souhaiter), ce que je propose reste simple et pragmatique, pour rendre moins pire la situation.
        Modeste ambition me direz vous? ;-))

        Concernant le traitement des enfants perdus de la republique, les reponses sont multiples et pour la plupart à créer. Il va de soit qu’une délégation va de pair avec à minima l’attribution des allocs au délégataire…
        je suis certain que le secteur privé ou associatif pourrait être interessé par le défi de donner un avenir à ces enfants, encore récupérables à ce stade.
        ( avec le montant du chéque education)
        Et ce serait plus rentable pour la societe que de les jeter inéluctablement vers la prison (via victimes + police + justice) et/ou l’assistanat

        Que proposez vous ?

  • stratégie de diversion essentiellement, visant à comparaison, et donc l’evaluation des politiques mises en place auparavant. Non?
    EN tous les cas ça prouve que la mixité sociale est un boulet si elle est imposée.

  • Thomas Piketty commet une erreur grossière de jugement à propos de l’école.
    Déjà, son best-seller était inspiré par des idées marxistes recyclées, basées sur une analyse macro économique délayant des préjugés.
    Pour l’école, son spectre d’analyse est parisien. Il est évident que l’enseignement privé à Paris, ville chère, draine une population favorisée.
    Mais en France, l’enseignement privé reste pour de nombreuses familles modestes la meilleure solution pour s’assurer que les enfants recevront un bon enseignement.

    • tout à fait, dans ma petite ville de province, j’ai mis mes 5 enfants, 2 au collège, 3 en primaire dans le privé.
      coût total : 120 euros par mois. c’est à la portée de tout le monde.

      • « tout à fait, dans ma petite ville de province » loin d’être représentatif et le faible coût tient plus de l’obligation d’attractivité de ces petites villes.

  • Piketty est au mieux un âne marxiste qui se contente de reprendre des vieilles thèses sans vérifier que la réalité est parfois méchante avec les rêveurs.
    à chaque fois que son nom apparaît dans un article, on sait d’office que le type est un prof complètement hors sol, aussi éloigné des réalités que n’importe quel politicard et aussi bouffi de dogmatisme que faire se peut.

    et le pire, c’est que des gens se servent de ses pseudos arguments en débat et qu’ils ne supportent pas qu’on leur démontent preuve mathématique à l’appuie :/

  • 1. Obliger le secteur privé à entrer dans un système de nationalisation déguisée est un projet d’origine marxiste ou ,dans certains pays,religieux.
    2. des études d’origine gauchiste montrent que des élèves « faibles » améliorent leur rendement s’ils sont en classe avec des élèves « performants » – cette conclusion soutient une demande de parents qui souhaitent que leur rejeton performe au-dessus de ses moyens. Elle est fausse du fait que les meilleurs élèves y perdent leur temps et leur énergie et que les autres y cultivent l’envie et l’agressivité envers les meilleurs. Ce qu’il y a lieu de faire c’est regrouper les élèves à haute performance, les dyslexiques, dysgraphiques, mal voyants et entendants, handicapés légers, et enfants issus de communautés minoritaires (bouddhistes, témoins de Jéhovah) et de les confier à un enseignant capable de gérer cet ensemble.

  • La gauche française fait toujours la même erreur d’analyse : les inégalités territoriales sur les colleges et lycées sont une conséquence et non une cause de la fracture sociale.
    De plus cette fracture sociale ressemble de plus en plus à une fracture ethnique, ce qui n’arrange rien.
    Il faudra m’expliquer ensuite comment le déplacement d’un élève en échec scolaire à Louis-le-grand va tout à coup le rendre brillant.
    Quant au blabla contre l’école privé, c’est un passage obligé en période éléctorale pour resserer les rangs d’une gauche clairsemé.

  • Le pauvre cheri !
    Je ne suis pas sur que ses parents lui ont fait faire ses études secondaires dans une zep, ni qu’il le fasse pour les siens.

    • Erratum
      Lui aient fait faire…

      • WIKIPEDIA

        Thomas Piketty naît à Clichy, dans la banlieue parisienne, d’une famille aisée1. Ses parents militent à Lutte ouvrière avant d’aller élever des chèvres dans l’Aude2. Après un baccalauréat C obtenu au lycée Descartes de Tours et des classes préparatoires maths sup et spé au lycée Louis-le-Grand, il intègre à dix-huit ans l’École normale supérieure3.

        Il soutient à vingt-deux ans sa thèse de doctorat en sciences économiques, préparée à l’EHESS et à la London School of Economics,

        • Descartes, le bon lycée public du centre ville de Tours. Pas vraiment la zep, non.

          • peu pertinent de comparer l’époque où il était dans le primaire et le secondaire alors qu’il n ‘y avait pas de zep ni les problèmes que connaissent actuellement les banlieue française, critiquer ses travaux volontiers , son parcours scolaire aucun intérêt, un peu comme se qui ressassent le parcours de banquier de Macron.

            • Piketty est né en 1971 et a donc 45 ans. Les problèmes des banlieues existaient déjà en 1971 (Vaux-en-Velin), Villeurbanne (1976), les Minguettes (1981)…. le Ministère de la ville n’a pourtant été créé qu’en 1990.

            • Les ZEP ont été crée en 1981. Piketty est ne en 1971.

              je n ai rien contre Piketty. Au contraire je le trouve d une intelligence rare, sympa et ses opinions concernant l égalité des chances m intéressent.

  • Le sociologue directeur de recherche au CNRS Olivier Galland a aussi donné son avis : http://www.telos-eu.com/fr/societe/la-pensee-magique-de-la-mixite-sociale-2.html

  • il n’y aura jamais de vraie réforme de l’école qui consisterait principalement à un retour aux enseignements fondamentaux, à L’abandon Des chimeres pedagogistes (abandon de la réforme de l’orthographe, apprentissage du calcul, retour à la méthode syllabique, apprentissage chronolique de l’histoire, c’est à dire retour aux fondamentaux sans tablette et avec un stylo). Le système en place à pour but de fabriquer des incultes et des cretins qui une fois dépendants des aides sociales sont bien plus faciles à manipuler que des citoyens éduqués.
    La gauche est coupable la droite est complice !

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