Par Éric Verhaeghe.

Le 9 août, la Cour d’Appel de Toulouse a rendu un arrêt, dans la désormais célèbre affaire Molex, qui donne une nouvelle illustration des absurdes dérives où le droit du travail conduit l’économie française. Sous couvert de “protéger” les salariés, le droit français organise en réalité un véritable marché du licenciement collectif, qui ressemble à de nombreux égards aux indulgences de l’Église au Moyen-Âge.
Molex, une procédure interminable
Pour mémoire, la fermeture de l’usine Molex avait été annoncée en octobre 2008, et devait prendre effet en juin 2009. La décision rendue par la Cour d’Appel de Toulouse accordant au total 7 millions d’euros d’indemnités intervient donc sept ans après les faits. Entre-temps, les décisions se sont succédé en première instance, en appel, en cassation. Au demeurant, l’affaire est loin d’être close, puisque la direction de Molex peut encore se pourvoir en cassation contre la décision qui vient d’être rendue.
Il est donc ici difficile d’évoquer une victoire des salariés.
Les Molex victimes de décisions toujours plus chiches
À chaque décision judiciaire, les Molex voient leurs indemnités se réduire comme peau de chagrin. En mars 2014, les prud’hommes de Toulouse avaient accordé une somme globale de 10 millions d’euros à 190 des 283 salariés, à la charge de l’entreprise mère, considérée comme co-employeur. La Cour de Cassation a annulé cette décision reconnaissant Molex comme co-employeur après sa mise en liquidation judiciaire et a demandé à la Cour d’Appel de Bordeaux de reprendre le dossier. Cette dernière a validé le principe selon lequel le groupe Molex ne pouvait être tenu pour responsable du plan social litigieux.
La décision d’août 2016 rendue à Toulouse ne conteste pas ce point, évidemment, et réduit les indemnités des salariés de 10 à 7 millions d’euros.
Qui paiera les Molex ?
Si Molex ne se pourvoit pas en cassation contre la décision (ce qui bloquerait le paiement des indemnités), les salariés qui ont contesté leur licenciement toucheront entre 7.000 et 70.000 euros selon les cas. Selon l’arrêt de Toulouse, les indemnités peuvent monter jusqu’à 80.000 euros. Mais l’addition ne sera pas réglée par Molex, puisque la Cour d’Appel de Bordeaux a confirmé que celle-ci n’était pas responsable du plan social.
Les sommes attribuées par la Cour d’Appel seront donc versées par le régime très français des AGS (l’Association pour la gestion du régime de Garantie des créances des Salariés), un système totalement privé qui se substitue aux employeurs défaillants pour le paiement des indemnités de licenciement. Autrement dit, c’est la solidarité interprofessionnelle qui va prendre en charge le coût de cette décision.
Motivation et reclassement
Sur le fond, la Cour d’Appel de Toulouse a confirmé que, selon elle, les salariés de Molex avaient été victimes d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les juges ont estimé que, au moment de la fermeture de l’usine, le secteur n’était pas en difficulté. Rien ne justifiait, selon eux, le recours à une procédure collective.
En outre, les juges toulousains ont reproché à Molex de n’avoir pas effectué des « recherches loyales et sérieuses de reclassement pour ses salariés ». L’immixtion des juges dans le plan social s’est donc révélée minutieuse, exposée en 25 pages, après son annulation par la Cour de Cassation pour défaut de motivation.
Le marché du plan social en France
Une fois de plus, la justice rend une décision qui met en cause le respect sincère des procédures collectives en France. Le Code du travail prévoit en effet une infinité de règles typiques du droit français. Officiellement, celles-ci protègent les salariés. Dans la pratique, elles créent un véritable marché de la restructuration d’entreprises dans lequel interviennent plusieurs types d’acteurs.
Au premier chef, les cabinets spécialisés dans la restructuration tirent richement leurs marrons du feu. Leur métier consiste à garantir aux entreprises qui licencient le respect des règles posées par le législateur. Un contrat de restructuration peut être facturé plusieurs millions à l’employeur.
Au second chef, lorsque les salariés contestent le plan de sauvegarde, des avocats interviennent volontiers dans le dossier, souvent en échange d’une commission importante sur les gains obtenus devant la justice. L’un des plus connus n’est autre que Fiodor Rilov, dont les méthodes sont régulièrement contestées.
La protection du salarié, un attrape-gogo
Dans le droit du licenciement collectif ou de reclassement, comme dans beaucoup d’autres pendants du droit, la question posée est donc celle de la signification exacte de la “protection” du salarié par une sur-réglementation. Dans la pratique, les salariés licenciés par Molex n’ont toujours pas touché un centime après plus de sept ans de procédures. En revanche, ils ont grassement enrichi des tas de gens, des cabinets de reclassement, des cabinets d’expertise sur les difficultés économiques, et des avocats.
De son côté, Molex soutient avoir consacré plus de 30 millions d’euros à la fermeture du site.
Démonstration est faite, en tout cas, que l’excès de règles n’est pas perdu pour tout le monde…
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