Par Patrick Aulnas.
Les articles de Jacques Garello sont toujours stimulants. Mais sa critique récente du programme d’Alain Juppé dans Contrepoints semble relever d’un libéralisme doctrinaire coupé des réalités politiques françaises. Il est bien entendu nécessaire de se libérer de l’étatisme envahissant qui bride l’initiative, alourdit les charges fiscales et sociales et nous plonge dans un endettement public de moins en moins maîtrisé. Mais comment ?
L’État fort
La réponse française ne peut en aucun cas être la réponse anglo-saxonne (Thatcher et Reagan, cités dans l’article de Jacques Garello) parce que la France s’est construite d’une manière radicalement différente du Royaume-Uni et des États-Unis. La France émerge de la féodalité, à partir du XVe siècle, en construisant un État fort.
Depuis, elle n’a jamais abandonné cette addiction à l’étatisme et la glorification concomitante de la nation. L’éducation publique est nationale, la Sécurité sociale est centralisée, les élites politiques sont formées à l’École nationale d’administration. Quel pays au monde possède un tel culte de l’État, mis à part les États totalitaires ?
Je voudrais citer deux exemples de formation du droit français particulièrement significatifs. Ils montrent toute la distance séparant le libéralisme anglo-saxon de l’étatisme français. L’un, que je connais bien pour l’avoir longtemps enseigné : le droit comptable ou normalisation comptable. L’autre, qui est d’actualité : le droit du travail.
Comptabilité à la française
Il existe aujourd’hui en France un petit Code de la comptabilité d’entreprise appelé Plan comptable général. Ce plan comptable n’est pas seulement une liste standardisée de comptes à utiliser, mais un ensemble rédactionnel de normes obligatoires s’inspirant partiellement de normes internationales IASB (International Accounting Standard Board). Comment la normalisation comptable apparaît-elle en France ? Sous l’impulsion de l’Inspection générale des finances, après la Seconde Guerre mondiale.
L’objectif français est de disposer d’une base comptable cohérente permettant de calculer les impôts dus par les entreprises. Comment la normalisation comptable apparaît-elle dans le monde anglo-saxon ? Par des initiatives du milieu professionnel (associations d’experts-comptables en particulier) cherchant à formaliser les pratiques généralement acceptées et à généraliser leur utilisation. La préoccupation anglo-saxonne consiste à favoriser les comparaisons rationnelles entre entreprises, à évaluer correctement une entreprise, parce que le marché a besoin de ces données. Deux mondes, deux méthodes.
Le droit du travail étatique
Le droit du travail s’est construit en France avec l’État. La place de la négociation collective n’a jamais atteint ce qu’elle est, par exemple, en Allemagne. Les syndicats ne sont pas assez puissants et trop divisés pour parvenir à un consensus national. L’État est donc toujours présent et se substitue aux négociateurs lorsqu’ils ne parviennent pas à un accord. Il en résulte que le Code du travail est devenu pour tous les salariés et pour les partis politiques de gauche un véritable texte sacré.
Il ne faut y toucher que pour accorder des avantages immédiats. Le marché, qui apparaît de façon latente en cas de négociation collective, surtout au niveau des accords d’entreprise, n’est absolument pas pris en considération. Il est même, dans l’esprit de beaucoup, l’ennemi à combattre. Or, évidemment, c’est le bon fonctionnement du marché qui permet la croissance économique.
Il serait possible de multiplier les exemples de ce type. Le droit français est d’inspiration étatique. La common law anglo-saxonne vient de la société civile. Les Français voient l’État comme un être tutélaire et protecteur, les Anglo-Saxons comme un mal nécessaire. Une rupture brutale avec l’étatisme à la française heurterait les fondamentaux de la nation et serait totalement incomprise.
Cette rupture serait perçue, non seulement comme ultra-libérale, mais comme attentatoire au pacte social élaboré depuis des décennies, voire des siècles.
Elle constituerait pour beaucoup une véritable déclaration de guerre, aux conséquences imprévisibles, dont les manifestations d’aujourd’hui contre la loi Travail ne donnent qu’un avant-goût. Marine Le Pen se ferait une joie d’appuyer, par populisme pur, la contestation de la rupture libérale. Nous lui offririons alors un siège de présidente de la République.
L’acclimatation au libéralisme de la France ne peut se réaliser que dans la modération, sur le long terme. Il y va du maintien de la cohésion nationale. C’est la raison pour laquelle, Alain Juppé refuse les solutions brutales. Son discours responsable est un discours de sagesse : proposer ce qui peut être mis en œuvre. Tout le contraire de Hollande.
Lire en contrepoint l’article de Jacques Garello : Que cache le « discours responsable » d’Alain Juppé ?
Le constat d’une culture étatique de la France est exact mais sa conclusion « votez Juppé » n’a rien d’automatique, surtout en la présentant comme contrepoint de l’article de J Garello qui lui, ne s’intéresse pas tant aux candidats qu’à leur programme vs le libéralisme. On aurait préféré un débat sur le rythme et les conditions de mise en œuvre de réformes libérales en France, ce qui est le fond de la question au lieu de cet engagement juppéiste. Ceci dit, le rejet libéral français qui résulte de notre histoire, de notre inculture économique et de la stigmatisation de l’ensemble des partis est exact et il conviendra au candidat libéral d’en tenir compte s’il veut convaincre nos concitoyens. Il pourra par exemple commencer par la mère des réformes libérales, celle de l’Etat, dont chacun à droite comme à gauche est capable de constater et comprendre à quel point il a dérivé vers l’opacité, la complexité, la bureaucratie, la perte des libertés, l’inefficience et le coût préjudiciables à l’ensemble des français (en relation avec les hausses fiscales subies). La pédagogie est facile à faire sur le sujet et nul n’est besoin de qualifier « libérales » les réformes à entreprendre pour les faire dans un large consensus à la condition d’être clair et précis sur la cible et sur l’ « atterrissage » des fonctionnaires touchés par ces réformes(cf la big society de Cameron). Commençons par ça..
Baisser les dépenses publiques de 2 ou 3% n’a rien d’un choc inacceptable. Ce sont les journalistes qui s’emballent sur le mot « libéral ». Les programmes qualifiés de libéraux sont en fait très raisonnables. Juppé veut surtout préserver l’oligarchie qui gouverne le pays et utilise pour séduire l’électeur, la peur du changement et la préservation d’un modèle social intenable.
Nombreux sont les Français qui trouvent l’État trop étouffant, et très nombreux ceux qui ne supportent plus les privilèges et statuts. Les élections présidentielle et législatives sont le seul moment où ces Français peuvent s’exprimer, car ils n’ont pas de relais. On verra…
Maintenant, voila ce qui va se passer :
– Alain Juppé va se faire élire en 2017,
– il va mettre en œuvre rapidement une série de mesurettes qui iront dans le bon sens,
– toute la gente collectiviste sera dans la rue,
– les média les soutiendront à grand renfort de sondages contre les mesures ultra libérales qui augmentent les inégalités,
– même si ces mesures passent, les résultat économiques se feront attendre (en Allemagne ça a pris 10 ans),
– la conjoncture internationale sera moins bonne (croissance, pétrole, change, chomage),
– le nouveau gouvernement va tenter de battre le record d’impopularité du gouvernement actuel (si si !!!),
– les socialistes de tous poils reviendront au pouvoir en 2022, retour à la case départ.
Je ne comprend même pas pourquoi les candidats LR se disputent pour le poste.
Conclusion : la France ne sera réformable que si le libéralisme progresse massivement dans l’opinion public.
+1
exergue du site de l’Auteur…
» Tout homme peut dire véritablement ; mais dire ordonnément, prudemment et suffisamment, peu d’hommes le peuvent. » Michel de Montaigne
Serait-ce un adepte de la slow economy au Pays de l’escargot lancé au galop contre le mur économique… qui lui est lancé à pleine vitesse vers l’escargot?
Ou alors tout simplement de génétique… professionnelle : ancien professeur agrégé d’économie-gestion!
Comme écrivait Winston CHURCHILL…
This is no time for ease and comfort. It is the time to dare and endure.
Ce n’est pas un temps de facilité et de confort. C’est le moment d’oser et d’endurer.
Auront/Auraient-elles repoussées à JUPPÉCESCU depuis 1995… contre toute attente organique?
Ce serait étonnant… non!
… comme disait Monsieur Cyclopède
🙂
Forcément ça va bien se passer…
Dans les milieux bien informés, il se dit qu’en cas d’élection en 2017, Alain Juppé reviendrait sur les changements horaires saisonniers qui avaient alors été imposés par Valérie Giscard d’Estaing.
Pour reprendre l’expression de l’auteur, ce serait déjà un geste pour « l’acclimatation au libéralisme de la France »….
Mauvaise question et donc, mauvaise réponse.
La société française a juste besoin
1) que l’état arrête de l’emmerder comme disait Pompidou à Chirac, et
2) que l’Etat rende des service à la hauteur de ce qu’il consomme comme ressource (alors qu’il consomme 10 point de PIB plus que l’Allemagne pour des services … hum…).
Libéralisme ? pas libéralisme ? État fort ? encore plus fort ? un petit peu moins fort ? le peuple s’en fout, en fait, pour vu que ça marche. Et ça marche pas. Et si ça marche pas, ce n’est pas parce qu’on manquerait de modération ou de purisme, ça n’a rien à voir.
Comme le répète souvent H16 et d’autres, l’État est fort avec les faibles et faibles avec les forts. Fort contre le privé et faible avec les fonctionnaires (et entreprises conniventes, du BTP par exemple). Fort contre l’automobiliste, spécialement le pauvre a vieille guimbarde et contre le « veilleur » inoffensif, et faibles avec les casseurs et les ZADistes.
Mettre du libéralisme là-dedans ne donnera malheureusement que de la corruption et du scandale. Corruption et scandale dont Juppé, un des rares condamné par la justice (bel exploit, dans ce monde au dessus des lois), est l’archétype.
L’acclimatation au libéralisme de la France ne peut se réaliser que dans la modération, sur le long terme.
C’est un point de vue, mais il y a tout de même des blocages qui vont demander une certaine radicalité. Au hasard: la remise en cause du statut des fonctionnaires; le non-cumul des mandats; l’abolition des privilèges des parlementaires…
Faire des « petits pas pour avancer dans la bonne direction » c’est plein de bonnes intentions. Le problème c’est que la société française est tellement crispée que le moindre changement produit des contestations violentes. Je crains fort que cette stratégie soit perdante. Surtout que le monde change autour de nous. Pouvons-nous nous permettre d’y aller lentement et en douceur?
Dans l’état où est ce pays, je serais plutôt partisan d’un remède de cheval. Il faudra une bonne dose de pédagogie et surtout associer la population aux décisions les plus difficiles. Le référendum est une arme redoutable. C’est à mon avis le seul moyen pour passer par dessus les blocages des syndicats, des parlementaires, de la haute fonction publique, des capitalistes de connivence…
Les réformes sont possibles si elles sont soumises à votation préalable, et que toute manifestation soit interdite une fois que les citoyens se sont exprimés.
Il faut en finir avec les minorités agissantes, et donner la parole à la majorité silencieuse!
Bonjour à toutes et à tous,
L’acceptation des « réformes » par les citoyens français ne relève pas d’une quelconque étiquette « libérale », « ultralibérale » ou « modérée » mais d’efforts d’explication et de pédagogie à déployer par les politiques. Ladite pédagogie est aujourd’hui totalement absente tant « à gauche » (on y préfère les impressions et les bons sentiments …) qu' »à droite » où on est tout aussi frileux sur le fond des sujets …
Les notions de base sont pourtant simples à présenter et à expliquer …
http://www.contrepoints.org/2016/05/17/253121-baisse-de-la-depense-publique-illusions-et-realites
Amitiés,
Pierre