Par Alexis Flot.
Un article de Trop Libre
Sous couvert de vouloir ouvrir la politique à tous, la civic tech est-elle en train d’aggraver la fracture démocratique de la société ?
Les mots viennent de Claude Bartolone, Président de l’Assemblée nationale, lors d’une session de formation numérique aux parlementaires : si ceux qui, demain, participeront à la vie publique sont seulement ceux qui maîtrisent la technologie, alors le risque est de n’avoir « plus simplement une fracture numérique, mais une fracture démocratique. »
Reconnecter citoyens et politique
La civic tech et ses outils suscitent depuis quelques années maintenant un espoir important, celui de reconnecter les citoyens à la politique. La révolution numérique est bel et bien l’opportunité de fluidifier les relations entre les gouvernants et les citoyens et de corriger les travers de la démocratie représentative. En France, de nombreux outils ont ainsi émergé : le budget participatif de la ville de Paris, la consultation citoyenne en ligne pour le projet de loi pour la République numérique, et de nombreuses initiatives associatives ou entrepreneuriales (Parlement&Citoyens, Voxe.org, LaPrimaire.org…).
Il est indéniable que la civic tech améliore l’accès aux institutions et opère ainsi une « démocratisation de la démocratie ». Pourtant, quand on y regarde de plus près, cette numérisation de la vie civique comporte un effet pervers majeur, celui de l’exclusion des personnes non-connectées. Ainsi, en voulant rapprocher les citoyens de la politique, la civic tech en exclurait d’autres…
Cette fracture se ressent aussi au niveau politique. Certains jouent beaucoup sur la participation en ligne et la co-construction, comme Arnaud Montebourg qui vient de mettre en place une plate-forme participative (leprojetfrance.fr). D’autres mettent cet aspect totalement de côté, comme Donald Trump qui a fait une campagne quasiment sans numérique, sans pour autant y perdre… Par ailleurs, le mouvement « En Marche ! » lancé par Emmanuel Macron mise sur le terrain pour se connecter aux gens, en organisant une gigantesque opération de porte-à-porte et non un sondage géant en ligne. Les outils numériques, même s’ils sont extrêmement prometteurs, sont donc encore loin d’être les remèdes magiques pour la vie civique.
Utilisation minime
La civic tech est en effet, pour l’instant, un domaine largement dominé par un même groupe socio-professionnel : une population jeune, connectée, souvent très diplômée et bien informée. Les utilisations sont encore minimes : 70 000 personnes ont voté pour le budget participatif 2015 de la ville de Paris, ce qui constitue une réussite certes, mais qui ne correspond qu’à 3.11% de la population parisienne.
Le problème est celui de l’accessibilité : à l’heure du smartphone et des bornes wifi gratuites, encore un petit pourcentage de la population française n’a pas accès à Internet. Mais quand bien même tout le monde disposerait d’une connexion internet, l’intérêt pour la chose publique est très inégal selon les personnes et la participation encore plus. Facebook révélait ainsi que seulement 3% des commentaires publiés aux États-Unis concernent la politique… De même, l’indice de « Political Efficacy », concept qui mesure la croyance des citoyens qu’ils peuvent comprendre et influencer la politique, n’a cessé de baisser et atteint environ 38% aujourd’hui aux États-Unis. Si on ajoute à cela la défiance actuelle généralisée envers la politique, il faudra bien plus que des applications jolies et pratiques pour « activer » les citoyens.
La civic tech, pour avoir réellement de l’impact, devra donc vite se saisir des enjeux d’accessibilité technique et sociale : comment attirer les citoyens ? Comment produire de l’engagement ? Comment les éduquer à la participation civique ? Comment toucher tous les publics ?
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Sur le web
Je pense que la fracture vient surtout de nos politiciens et les civitech tente de la résorber. En effet les premiers ne prennent plus vraiment en compte les citoyens, les seconds tente de le faire avec liberté et transparence…
Le numérique comme le reste n’est qu’un moyen.
Faute d’autre but que le contrôle social, les gouvernements ne savent que faire des outils disponibles et feront tout pour en contrôler l’usage et limiter les initiatives libertaires.
La fracture numérique aurait été supportable, mais là, qu’elle devienne démocratique, et il faut s’indigner !
J’ai une autre interprétation : tant que le numérique permet de manipuler et de tromper l’électeur au profit du pouvoir, pas de problème pour ce dernier, mais le jour où le pouvoir change de mains, il faut trouver comment le manipuler autrement. La fracture numérique n’inquiète pas le fisc, qui suscite dans ses formulaires pré-remplis les erreurs et oublis en sa faveur : tout ce qui imposable est pré-rempli, tout ce qui est réduction doit être explicitement rentré par le contribuable après de fastidieuses recherches conçues pour le décourager. Sauf bien entendu pour les parlementaires…