Festival de Cannes : faut-il préserver notre « exception culturelle » ? [Replay]

L’exception culturelle a-t-elle un sens ?

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Coq (Crédits : Olibac, licence CC-BY 2.0), via Flickr.

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Festival de Cannes : faut-il préserver notre « exception culturelle » ? [Replay]

Publié le 13 mai 2016
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Par Hadrien Gournay.

Coq (Crédits : Olibac, licence CC-BY 2.0)
Coq (Crédits : Olibac, licence CC-BY 2.0), via Flickr.

La médiocrité et la vulgarité d’une certaine forme de culture internationale standardisée, souvent musicale, incite certains de ceux qu’elle dégoûte à leur opposer une culture nationale dont l’inscription dans une longue tradition serait garante de l’élévation. Cet état d’esprit peut simplement conduire ceux qui l’adoptent à préférer les produits de leur culture nationale et à la défendre à l’occasion en invitant leurs compatriotes à les imiter. Sa préservation est alors simplement le fait d’un ensemble de choix individuels. Les choses sont différentes lorsqu’ils réclament sous le nom « d’exception culturelle » des dispositifs contraignants limitant l’importation des biens culturels étrangers. Aux yeux de ses promoteurs, une telle politique a deux objectifs principaux : protéger la culture nationale de la concurrence étrangère d’une part, donner aux consommateurs de produits culturels accès à une offre de meilleure qualité d’autre part. À titre personnel, mon goût pour la chanson française pourrait m’incliner à croire, sinon à la conformité des moyens employés à l’idée que je me fais de la liberté et de la justice, mais au résultat que cette méthode promet. Avant de comparer les résultats d’une telle approche avec un système de liberté tentons de discerner les avantages et les inconvénients généraux de l’ouverture culturelle.

Avantages et inconvénients généraux de l’ouverture culturelle

Une réflexion même embryonnaire montre rapidement qu’une fermeture totale aux cultures étrangères serait désastreuse si elle était praticable. Tentons d’imaginer ses conséquences dans n’importe quel domaine de connaissance, scientifique ou artistique. Que serait devenue la physique française si celle-ci avait été fermée aux découvertes de Newton puis d’Einstein ? Debussy et Ravel auraient-ils pu exprimer leur génie s’ils avaient ignoré un siècle d’évolution musicale souvent venue de l’étranger ? Le rayonnement de la culture nationale est donc tributaire des apports étrangers.

Il reste que l’oubli des cultures locales a aussi ses défauts. Le comprendre implique de distinguer valeur esthétique absolue et relative d’une œuvre. De deux œuvres d’une qualité absolue équivalente, celle qui s’appuiera sur un style différent de ce qui a précédé et développera un point de vue esthétique nouveau aura un apport supérieur. Si, malgré une maîtrise incontestable, la tragédie voltairienne est oubliée aujourd’hui alors que les « œufs de mouche dans des toiles d’araignées » de son contemporain Marivaux sont encore régulièrement représentés, n’est-ce pas pour n’avoir pas su renouveler suffisamment le modèle racinien ? Ceci est simplement une application de la théorie de l’utilité marginale au domaine artistique. Ce qui est vrai dans le temps peut l’être dans l’espace : en s’exprimant dans un style national ou en donnant une touche nationale à un style étranger, un artiste fait un don plus précieux au public international que s’il reproduisait passivement les canons d’un genre parfaitement international. Cependant, la diversité spatiale (entre pays) peut alors être en conflit avec l’innovation, diversité dans le temps. Souvent l’innovation culturelle passe par une jeunesse qui introduit dans son pays un mouvement dont l’avenir confirmera la vocation internationale et auquel les artistes reconnus du pays d’adoption s’opposent généralement. Parfois, cette jeunesse sait adapter le courant international à la culture dont elle a hérité. Toutefois, peut-être parce que frappée par un contraste entre une innovation étrangère et le conservatisme de sa propre culture elle les oppose de façon binaire, elle ne résiste pas toujours à la tentation de reproduire platement un style conçu à l’étranger.

Globalement, l’échange international a peut-être été meilleur dans l’absolu et sur le plan relatif dans le temps pour la culture élitaire. Il a peut-être conduit à trop d’uniformisation dans les genres populaires.

Il y a donc sans doute un équilibre à trouver entre « ouverture internationale » et « conservation d’une culture nationale »1. Comme le résultat d’un système conçu dans la liberté ne sera jamais parfait, la question d’une intervention publique pour obtenir un meilleur résultat se pose. Les politiques « d’exception culturelle » sont-elles une solution adéquate au problème ?

Exception culturelle contre liberté

Nous avons vu qu’une prohibition totale des cultures étrangères serait aussi extrémiste qu’irréaliste. Aussi, les « défenseurs de la culture nationale » ne la proposent pas sous cette forme. L’idée sous-jacente d’une proposition plus modérée serait de distinguer entre un véritable apport culturel extérieur qu’il conviendrait d’accepter et une « sous-culture » à bannir impérativement. Il reste alors à déterminer selon quels principes une telle distinction pourrait être opérée. Cette tâche ne pouvant être confiée qu’à des experts, elle incombera en pratique à un échantillon représentatif des meilleurs professionnels du domaine considéré, à une sorte d’académie. Or, professionnels installés et reconnus, ces académiciens auront vu leur carrière prospérer en appliquant une certaine conception de leur art. Attachés à celle-ci sur un plan spirituel et matériel, ils risqueraient au mieux de se montrer réticents à l’égard de tout renouvellement des conceptions créatrices, au pire de défendre purement et simplement leurs avantages acquis.

En France, l’émergence difficile du romantisme, qualifié de barbarie étrangère aux traditions de l’esprit national par les académies constituées, illustre bien ce phénomène.  Il est d’ailleurs important de noter que le mouvement a été davantage adapté par les artistes français qu’il n’a été directement introduit par des artistes étrangers. Il en fut de même, dans un tout autre registre, avec les yéyés ou avec le rap lorsqu’il s’est agi d’adapter des styles musicaux nés aux États-Unis. Dès lors, la logique voudrait que, sauf à rendre inutile la première partie de son travail, l’académie chargée de sélectionner l’offre artistique étrangère digne d’être introduite en France ait également pour mission de censurer les artistes nationaux s’inspirant des styles étrangers ne méritant pas de pénétrer les consciences nationales. Bien évidemment, les risques de voir les académiciens défendre avant tout leurs intérêts et leurs conceptions artistiques seraient alors décuplés.

En pratique, l’exception culturelle consiste souvent en une subvention de l’industrie culturelle nationale dont la répartition est arbitrée par les pouvoirs publics. Cela ne change guère les données du problème. Tandis que lorsque l’offre artistique étrangère est prohibée, l’amateur peut se tourner vers une offre nationale ou vers une autre consommation, en revanche, si l’offre est subventionnée par l’impôt, elle peut se substituer à l’offre étrangère ou à une autre consommation que le contribuable aurait préférée si la libre disposition de ses revenus lui avait été laissée. L’intervention du décideur public aura peu d’impact sur le rôle des lobbies pour la raison très simple qu’il devra s’en remettre à eux pour décider s’il ne veut pas manquer de compétences pour l’éclairer.

Aussi, les principes de l’exception culturelle correspondent davantage à des quotas de diffusion d’œuvres françaises ou européennes dont les effets sont très proches de barrières à l’entrée. Cette méthode résout en partie l’inconvénient principal des méthodes précédentes résultant de l’arbitrage par des groupes de pression culturels de ce qui peut être diffusé ou pas. A l’intérieur des quotas, les diffuseurs privés et in fine le consommateur décident de ce qui sera diffusé. En raison de l’absence de cet arbitrage « savant », il n’est pas possible de prétendre non plus que la méthode améliore la qualité de l’offre culturelle par rapport à une offre « commerciale ». Par contre, l’existence même des quotas d’œuvres locales satisfait bien la demande d’un groupe d’intérêt. Permet-elle de préserver le second critère dans le difficile équilibre entre valeur absolue et relative des œuvres ?

L’affirmer revient à ne pas faire confiance aux capacités de discernement du consommateur. Laissée à elle-même la société serait incapable de préserver une culture qu’elle a pourtant fait naitre et seule la contrainte publique pourrait accomplir ce miracle. La contradiction du raisonnement apparait au grand jour puisque le législateur propose de protéger ce qui selon lui est déjà mort : une culture a-t-elle d’autre existence que dans les cœurs de ceux qui la vivent ? Et supposer qu’ils ne désirent pas la préserver n’est-ce pas admettre qu’elle les a désertés ? Pire, ce système nous dégage de la responsabilité d’un choix qu’un système libre nous laisse entièrement en mettant en pleine lumière le fait que si nous ne défendons les parties de notre culture qui doivent être défendues, personne ne le fera à notre place. C’est ainsi que des minorités qu’aucune loi ne défend ont su préserver leurs singularité sur des siècles tout en participant à la société commune.

L’autre agent de la détermination de l’équilibre entre ouverture et préservation des traditions nationales dans un système libre est l’artiste. Dans cette tâche, son talent et ses goûts de l’artiste sont des critères primordiaux. Cela ne signifie pas qu’ils ne se trompent jamais, mais qu’ils sont certainement les mieux placés pour savoir dans quelle direction ils peuvent mettre à profit leur talent pour le bien de tous.

 

  1. Certes l’innovation peut-être nationale et se proposer comme modèle à l’étranger. Cependant, par la force des choses, les artistes d’un pays lambda ont plus de chances d’être confrontés à un mouvement nés à l’étranger qu’à l’initier. Il y a plus de pays pour recevoir une innovation mûrie à l’extérieur que pour la concevoir.
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  • Que la culture FR soit promue et valorisée ? Oui, aucun mal à cela.
    Que l’on rejette l’enrichissement apporté par les autres cultures, notamment dans les médias et BD alors là non ? Chacun devrait choisir la culture qui correspond le plus à ses goûts et personnalité.

  • Je « plussoie » SweepingWave, surtout depuis que j’ai quitte la France et goute a de nombreuses influences, US, UK, Aus, et NZ ! De veritables « tresors d’Art » sont plus ou moins intentionnellement ignores parce que pas francais … et une telle attitude est ridicule et borderline « criminelle » !

  • La culture française a tendance depuis une trentaine d’années à devenir le folklore français. Nous ne parlons plus qu’à nous même. Nous tournons en rond à la façon d’un disque rayé. Les seuls vrais artistes doivent s’expatrier, ne restent que les artisans de la culture nationale.

  • On pourrait ajouter que les subventions justifiée par cette exception culturelle ont aussi des effets redistributifs assez pervers. Au profit des artistes qui en bénéficient évidemment (et selon des critères parfois assez difficilement compréhensibles), mais aussi au profit des plus aisés, qui consomment bien plus de culture que ceux qui le sont moins (on peut le regretter, mais c’est un fait). Ce qui est d’autant moins justifiable qu’un événement « culturel » est aussi un événement social (il « faut » se montrer à Avignon, à l’opéra, etc.), dont la performance artistique n’est parfois que l’occasion voire le prétexte. La culture est alors un paravent à tout autre chose, de tout à fait légitime sans doute, mais pour lequel il est d’autant plus injuste de faire payer la collectivité.

  • Oublier la France et tournez vous vers l’extérieur.

  • Je cherche en vain ou serait cette culture actuellement ? Il n’y a que de vieux souvenirs, pierres, musiques, arts datant d’époques plus dynamique.

    La France d’en haut est totalement figée dans le formol d’une grandeur passée et celle d’en bas étouffe.

  • « protéger la culture nationale de la concurrence étrangère » encore faut il s’entendre sur ce qu’est la culture nationale. A regarder ce qui est concerné par l’exception culturelle française on voit bien qu’il s’agit d’une culture très particulière: la chanson, le film et la télévision dont la particularité est 1) d’être subventionnée 2) de générer un gros chiffre d’affaire. Les arts graphiques, la littérature, la sculpture, la philosophie…etc,etc ne sont nullement concernés. En fin de compte il s’agit bien plus de protéger des agents économiques de la concurrence internationale, tout comme il convient de protéger les taxis de la concurrence d’Uber.

    • protéger les taxis de la concurrence d’Uber? il fallait l’oser celle là…. en supposant que ce soit du premier degré : les taxis sont une corporation qui gueule et casse tout et fournissant un service (son métier hein, pas de faire de la culture) des plus déplorable, surtout lorsque ces derniers ont tout causé des dommages grave et agresser des gens comme les sauvages mal éduqué qu’ils sont. les colonnes de contrepoint sont remplies de textes à ce sujet ^^

  • Peut être une utilisation inappropriée ou restrictive du mot culture qui ne recouvre ici que certains arts….
    la culture c’est aussi et surtout les mœurs, la technologie, la façon de vivre ce qu’on mange etc…
    il suffit de regarder l’art pariétal pour se rendre compte que l’art est ce qui vient naturellement à l’homme.

  • L’exception culturelle francaise est un terme arrogant et denote une ligne Maginot intellectuelle. Si la France avait toujours ferme ses frontieres nous n’aurions pas eu Benvenutto Cellini a la cour de Francois 1 er qui fut helas congedie par une des courtisanes de ce roi la duchesse d’estampes La nef de la basilique d Albi serait restee nue puisque que ce sont les Italiens qui la peignirent selon une technique eprouvee de la fresque. J’ai fait un voyage en Italie quelle maitrise des peintres Italiens ! L auteur mentionne Ravel Ce compositeur s’inspira de la musique espagnol en vogue a cette epoque Albeniz entre autre, le jazz lui fut aussi une source d’inspiration. Au XVIII siecle la France voua une passion pour l’orientalisme et les francais Martin creerent un vernis qui suppléa les fameuses laques chinoises . L’art s’est toujours impregne d’autres inspirations Picasso ne cacha pas son admiration pour les arts premiers. Cette exception culturelle est un repli une protection puisque nous sommes devenus une economique moyenne et que notre elite le fait, magnifie notre passe puisque l’avenir semble nous échapper .A contrario l’auteur mentionne Einstein, nous avons eu une tres grand physicien francais Poincare qui fut un ami du physicien allemand et dont l’image s’effaca devant celle d Enstein tres mediatique Quoi qu il en soit il suffit de voyager d’etre curieux et d’aimer l’art. Je viens de passer des vacances a Chamonix Une exposition des sculpteur animalier Colcombet francais et Yarsen Suisse magnifique. Je laisse de cote la grande culture a notre elite et ce concept de d’exeption culturelle qui est l’arrogance de notre exception culturelle .L’art est universel Cet article me rappelle les discours de mes professeurs qui me constipèrent les boyaux de la tete .

  • « En pratique, l’exception culturelle consiste souvent en une subvention de l’industrie culturelle nationale dont la répartition est arbitrée par les pouvoirs publics. »

    On pourrait même dire que l’exception culturelle est l’excuse n°1 des attributions de l’argent du contribuable aux copains et aux professionnels du dossier de subvention : si la qualité de l’exception culturelle Française était avérée, il n’y aurait pas besoin de la défendre et si l’exception culturelle Française n’était pas subventionnée, elle arrêterait peu être d’être une exception.

  • Que ceux qui la veulent la paie.

    C’est tout ce qu’il y a à dire sur la question.

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