La démocratie, c’était mieux avant ?

« Malaise dans la démocratie » de Jean-Pierre Le Goff offre une critique pertinente mais peu de solutions pour aujourd’hui.

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La démocratie, c’était mieux avant ?

Publié le 1 avril 2016
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Par Jean Sénié.

Un article de Trop Libre

Si Baudelaire a pu évoquer l’ « héroïsme de la modernité », il n’avait certainement pas anticipé les excès de la modernité et encore moins de la post-modernité. À cet égard, le dernier livre de Jean-Pierre Le Goff, Malaise dans la démocratie, vient rappeler quelques vérités bien senties. Pour les subsumer sous une seule thématique, il faudrait dire que tout n’est pas mieux qu’avant, et réciproquement, qu’il ne faut pas tout jeter dans les anciennes formes de vies. S’il y a du bon dans la démocratie actuelle, il y a aussi de nombreux défauts. C’est à cette pesée des maux que se livre Jean-Pierre Le Goff.

Le nouveau monde

malaise dans la démocratie Le GoffReprenant une idée déjà présente dans ses travaux plus anciens, le sociologue revient sur le fossé entre les générations qu’ont engendré les dynamiques de contestations des années 1960-1970. Cette période de remise en cause généralisée a entraîné une rupture dont les conséquences se font sentir aujourd’hui. Le premier trait caractéristique de ce phénomène est l’émergence d’un individualisme à tout crin, qui fait de l’individu l’alpha et l’oméga de la pensée sociale. Analysant les ressorts d’une société consumériste fondée sur la satisfaction personnelle, l’auteur met en évidence deux dynamiques sociales concomitantes. D’une part, le sentiment de désaffiliation que connaît l’individu dans nos démocraties contemporaines est renforcé par les nouvelles technologies. D’autre part, il va de pair avec une déshérence pour la participation à la « chose publique », un mépris pour toute forme d’engagement durable ; qu’on pense seulement au désamour des Français pour l’engagement militant.

Cet individualisme a des conséquences multiples dans les domaines d’activité de l’individu. Jean-Pierre Le Goff revient ainsi sur les mutations qu’a connues l’enseignement en France, avec le passage d’une école valorisant la socialisation et le « dressage » à une école de jeunes adultes à la « parole miraculeuse ». Ces bouleversements ont eu des résultats radicaux sur les formes de solidarités apprises dès le plus jeune âge en les distendant. Ils ont aussi pu avoir pour effets pervers de donner l’illusion que chaque individu serait un génie, un artiste dont l’opinion compterait en tout temps, en tout lieu, en toute occasion et selon n’importe quelle modalité. Nous serions tous poètes, comme le message que fait passer, à son corps défendant, le film israélien L’Institutrice.

Jean-Pierre Le Goff écrit, à cet égard, des pages d’une grande drôlerie sur les « arts vivants », les arts de rue, forcément subversifs, et la revendication effrénée d’une idéologie festive. La fête « est le miroir du nouveau monde, qui lui renvoie une image de lui-même des plus angéliques, et comme telle discutable ». Le spectateur se voit inviter à des entreprises perpétuelles de déconstruction et de déconstruction dans la déconstruction, selon une logique de mise en abîme qui laisse les hommes politiques courir derrière l’étiquette valorisante de « contestataire ». La fête généralisée est le corollaire d’une solidarité sans cœur et sans forme, à consommer sur place, qui caractériserait l’individu dans nos démocraties modernes.

Malaise dans le malaise

On l’aura compris, Jean-Pierre Le Goff propose une critique des « bricolages » contemporains opérés par l’individu. Il dénonce la dépolitisation à l’œuvre dans nos démocraties, d’autant plus grave à l’heure des attentats de janvier et de novembre 2015. Face à l’apathie démocratique, et à une forme de complaisance ou, tout du moins, d’indifférence par rapport à celle-ci, le sociologue s’insurge en dénonçant des risques de balkanisation de la société française. Il craint, en effet, le retour d’identités imposées, qu’elles soient ethniques ou religieuses, qui ne s’articuleraient plus autour d’un idéal commun, autour de la chose publique. En ce sens, et comme il le revendique dès l’introduction, il entend proposer une critique de gauche de l’individualisme contemporain.

Si on ne peut que sourire jaune, devant les exemples réunis par Jean-Pierre Le Goff, et souscrire à sa critique d’une exaltation, béate et sans retenue, de la modernité, la lecture de l’ouvrage ne peut manquer de susciter des interrogations. Même s’il s’en défend, on a néanmoins l’impression d’un long lamento autour des formes de sociabilités anciennes, pour ainsi dire villageoises, dont il avait bien rendu compte dans son dernier livre, La Fin du village. Une histoire française. Or, à l’heure de la mondialisation, ces remarques, si elles ne sont pas dénuées d’une agréable nostalgie, apparaissent justement comme empreintes d’une forme de malaise face à la nouvelle configuration du monde. Si la mondialisation n’a rien d’un long fleuve tranquille, il n’est pas sûr qu’une utopie villageoise à la Restif de la Bretonne soit la solution politique la plus optimale.

Plus sérieusement, l’auteur dénonce « un optimisme libéral datant d’un autre siècle s’[étant] heurté à la réalité d’une mondialisation économique marquée par la spéculation et une logique de court terme, qui étend considérablement le champ de la concurrence avec des pays hétérogènes, passant outre aux différences du coût du travail, à l’histoire économique et sociale propre à chaque pays ». On ne peut que lui donner raison sur la nécessité de prendre au sérieux la mondialisation. Pour autant, il semble un peu facile, pour ne pas dire plus, d’accuser le libéralisme et la mondialisation, cibles toujours faciles, surtout quand on en feint de rabattre le libéralisme sur l’économisme. Il est à cet égard bon de rappeler que le libéralisme traite justement de la vie en société. Conclure sur un appel au retour de l’esprit des nations paraît tout aussi discutable.

Ainsi, si l’analyse de Jean-Pierre Le Goff a le mérite de remettre en cause les déraisons de la post-modernité dans ce qu’elle a de plus excessif, son identification de facteurs comme le libéralisme et son corrélat, la mondialisation, appelle à ouvrir la discussion. En cela, on peut dire que le livre remplit son objectif de rendre à la discussion toute sa place, loin de la « langue caoutchouc ».

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  • J’ai comme dans l’idée que les sociologues sont entravés par de grosses œillères. Leur « sens aigu de l’observation » qui leur permet de traduire le présent en verbiage et l’avenir en conjectures est ainsi un peu perturbé par leur champ de vision extrêmement limité. Ils nous imaginent donc dans une ère « postmoderne » comme si le monde se limitait au pays qui les nourrit pour ne pas dire à leur misérable microcosme.

    En réfléchissant deux secondes, ils comprendraient que l’ère « postmoderne » devra attendre l’achèvement de la mondialisation, qui est une transition bien plus fondamentale pour l’humanité et la société que celle qu’ils peuvent déceler dans l’évolution de nos mentalités egocentrées.

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