Réforme territoriale : cette révolution manquée

Réforme territoriale : la simplification attendra. La privatisation aussi.

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Réforme territoriale : cette révolution manquée

Publié le 8 mars 2016
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Par Vincent Bénard

Révolution crédits Albert (CC BY-NC-ND 2.0)
Révolution crédits Albert (CC BY-NC-ND 2.0)

Sur le principe, réformer l’organisation territoriale française était absolument indispensable, et l’ambition affichée par le président de la République le 2 juin 2014 était forte : à terme, vers 2020, les conseils généraux (rebaptisés conseils départementaux) devaient disparaître, abandonnant d’ores et déjà un grand nombre de compétences à 13 régions (hors Outre-mer) fortes dotées de ressources fiscales « dynamiques », et éléments moteur du développement économique et de l’aménagement des grandes infrastructures territoriales.

Dans le même temps, les intercommunalités devaient grandir, et la liste de leurs compétences obligatoires devait petit à petit réduire les communes participant au rôle de simples mairies d’arrondissement, ou plutôt de hameau. Toujours pour clarifier l’action publique, la fameuse CCG, « clause de compétence générale », qui permettait à chaque collectivité de s’autosaisir de n’importe quel sujet, devait être intégralement supprimée.

Enfin, les 12 plus grandes agglomérations de France devaient être transformées en métropoles et récupérer toutes les compétences des départements sur leurs territoires, focalisant les conseils départementaux sur l’action rurale, et dans les villes moyennes.

La région devait donc être le fer de lance d’une action publique renouvelée, avec l’appui de métropoles puissantes susceptibles, de par leur rayonnement national voire global, d’engendrer un effet d’entraînement positif pour l’ensemble des territoires.

 

Un résultat très inférieur aux attentes

Las. Alors que les textes de la loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) ont été définitivement adoptés en août 2015, force est de constater que les ambitions du texte initial ont été revues à la baisse.

Les départements, dont de nombreux présidents sont des notables bien implantés, ont engagé un lobbying intensif pour limiter la portée de la réforme. Plus encore, ni les régions ni les intercommunalités, ni l’État, n’étaient prêts à reprendre les compétences du département dans le domaine social (essentiellement, versement du RSA et insertion professionnelle des publics en situation difficile, aides au troisième âge, au handicap, à l’enfance en difficulté). Ces missions représentent la moitié des budgets départementaux, sont en hausse rapide du fait du vieillissement de la population et de la dégradation de l’emploi, n’apportent que peu de bénéfice politique pour beaucoup de coups à prendre, et surtout, ne sont pas correctement financées, plaçant de facto un quart à un tiers des départements en situation de non-respect des règles budgétaires des collectivités publiques, façon élégante de dire qu’elles sont placées sous perfusion de l’État.

Qui plus est, les métropoles ne sont pas toutes intéressées par la récupération de certaines compétences départementales… Et le regroupement de régions et de départements aurait sans doute conduit à aligner les rémunérations de tous les fonctionnaires sur la collectivité d’origine la plus généreuse, ce qui effrayait certains élus régionaux et leurs directeurs financiers.

Un compromis bancal fut donc rapidement trouvé, dont la saveur n’a qu’un très lointain rapport avec l’ambition initialement affichée. Jugez-en :

  • Les départements sont conservés et confirmés dans leur rôle social et routier.
  • Les communautés de communes sont agrandies (15 000 habitants minimum) mais les maires et les conseils municipaux conservent l’ensemble de leurs prérogatives tant qu’ils ne les ont pas déléguées.
  • La clause de compétence générale est supprimée, sauf dans les domaines de la culture, des interventions pour la jeunesse, et du tourisme, où tous les échelons pourront continuer à mener chacun leurs politiques.
  • Dans le domaine de l’éducation, alors que le bon sens aurait voulu que des synergies soient trouvées entre département (qui gèrent la logistique des collèges), la région (qui gère les lycées), et l’État (qui administre les universités et continue de gérer les programmes et les personnels enseignants de façon centralisée), la réforme maintient le statu quo.
  • Les départements négocieront avec les métropoles l’abandon de 4 blocs de compétence à choisir parmi 8 (collèges, logement social, etc.)
  • Le principal transfert de compétence du département à la région concerne… l’organisation des transports publics par car (lignes régulières et scolaires), ainsi que les ports fluviaux.

 

Pire encore, même dans le cas des compétences clarifiées par la fin de la CCG, les doublons restent présents. Ainsi, en matière de formation professionnelle, la région reste chef de file, mais le département reste en charge de l’insertion des publics au RSA, donc de leur volet formation… En matière environnementale, la région est chef de file de l’aménagement du territoire et des politiques environnementales (climat, air, déchets et biodiversité), mais le département reste opérateur en matière de protection des espaces naturels sensibles, et les intercommunalités se voient confier les compétences de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations. Et ce ne sont là que deux exemples parmi d’autres.

 

Les vices structurels de l’organisation ancienne n’ont pas été réformés

On le voit, la simplification n’est donc que cosmétique. D’autant plus que dès le départ, le projet gouvernemental ne prévoyait aucun progrès dans d’autres champs de l’organisation territoriale qui, pourtant, auraient eux aussi mérité une mise en examen.

Ainsi, les institutions locales évoluent un peu, mais l’État n’a quant à lui pas prévu de réorganiser sa présence sur le territoire pour tenir compte de la montée en puissance des régions : il conservera ses pôles administratifs inchangés sur le territoire (éducation, culture, protection des personnes, santé, affaires sociales et emploi, défense, etc).

De plus, les agences para-ministérielles (Pôle emploi, ADEME, AFFSAPS, CAF, etc.), au nombre de 1244, qui font souvent double emploi avec des services ministériels entiers, et dont l’interaction avec les administrations locales est considérée comme un facteur d’alourdissement des procédures et projets, ne sont absolument pas restructurées par la réforme, alors que la Cour des comptes déplore leur contribution importante à l’explosion de nos dépenses publiques.

De même, de nombreuses instances locales dont la valeur ajoutée est pour le moins discutable, telles que les SAFER dans le milieu agricole, ou les organismes collecteurs agréés dans celui de la formation professionnelle, ne seront absolument pas réformées.

Autant dire que sur le terrain, le nombre d’intervenants à mobiliser pour faire avancer un projet restera élevé, chacun ayant sa logique propre et son enveloppe financière. En effet, la loi n’a pas prévu de corriger ce qui reste la première faiblesse de l’organisation territoriale française, la faible responsabilisation fiscale des intervenants. Les communes reçoivent aujourd’hui davantage des deux tiers de leurs budgets via des dotations d’État ou des subventions des échelons supérieurs.

Pour une commune, le département, la région ou l’État sont d’abord des tiroirs-caisses qu’il faut savoir actionner pour faire pleuvoir les ressources !

Ainsi, les projets publics les plus contestables se voient financés car chaque échelon n’en apporte qu’une partie et a l’illusion de faire payer le reste du pays… Sauf que comme chaque projet est financé de la même façon, c’est au final toutes les feuilles d’impôts de tous les contribuables qui pâtissent de cette course à la subvention généralisée. On ne voit rien dans la réforme qui puisse faire changer cette donne.

 

Nos régions ne sont toujours pas des Länder…

Pourtant, il ne faut pas aller loin pour trouver un pays qui a su éviter la plupart de ces écueils : notre grand voisin allemand.

L’une des motivations les plus souvent avancées pour justifier la création de 13 régions agrandies (hors DOM) est la nécessité de rapprocher leur capacité financière des Länder. L’argument serait intéressant si l’analogie n’était pas tant viciée : le budget total des 16 Länder était de 285 milliards d’euros en 2014, contre… 29 milliardspour les régions françaises. Certes, la réforme va transférer quelques ressources des départements aux régions. Mais dans leur ensemble, les départements continueront à peser deux fois plus que les régions (environ 70 milliards, contre 35 après la réforme).

Mais la différence entre régions françaises et allemandes ne s’arrête pas au volume de leur portefeuille. Ainsi, la pratique du financement croisé est exceptionnelle outre-Rhin. Chaque strate (commune, land, État) dispose de son enveloppe et fait avec, sans quémander à autrui une rallonge. Un projet sera donc mieux que chez nous susceptible de trouver un financement sur ses qualités propres. Et tant l’État fédéral que les Länder sont soumis depuis la crise européenne à une loi de frein à l’endettement inspirée de celle inventée par les Suisses, loi qui force les collectivités à équilibrer leurs budgets sur plusieurs années consécutives. Résultat, 15 des 16 Länder sont en bonne santé financière.

L’Allemagne est une république fédérale, aussi les Länder disposent d’un gouvernement propre, avec quelques ministres, et une assemblée dotée d’un vrai pouvoir législatif dans tous les domaines où l’État fédéral n’a pas jugé bon d’intervenir ; et la seconde chambre législative allemande (le BundesRat) veille à empêcher toute tentation excessivement intrusive de Berlin dans les affaires locales.

Ainsi par exemple, en Allemagne, les politiques foncières sont locales, l’État fédéral fixant simplement de grands objectifs et de grands principes. Plus anecdotiquement, la liberté de maintenir des zones fumeurs ou pas dans les établissements de restauration se vote au niveau des Länder. On est très loin de l’organisation française ou les collectivités s’administrent librement (article 72 de la Constitution) mais ne se gouvernent pas, et sont tenues d’exécuter à la lettre les politiques votées au niveau central, même si elles les jugent contre-productives. Les récentes oukases du gouvernement contre les communes qui jugent inapproprié de produire des quotas ahurissants de logements sociaux définis par les lois SRU (et augmentés par l’actuel gouvernement) sont la manifestation la plus flagrante de la persistance de cette autoritarisme jacobin.

 

Le centralisme normatif, ou comment vider la décentralisation de son sens

Ce centralisme se manifeste au quotidien dans les petites et moyennes collectivités par un étouffement normatif qui rend de facto la notion de libre administration vide de sens.

Le maire nouvellement élu d’une ville importante du sud de la France s’étonnait récemment que 92 % du territoire de sa commune était prézoné par des prescriptions nationales ou européennes, limitant considérablement sa marge de manœuvre pour tenter de rénover son plan local d’urbanisme.

Le maire d’une petite commune du grand ouest, pour pouvoir faire avancer un projet de parc commercial pouvant aboutir à la création de plusieurs centaines d’emplois, a dû batailler plusieurs années avec quelques fonctionnaires du ministère de l’Écologie pour pouvoir tracer un morceau de voie de quelques dizaines de mètres de long nécessaire à la desserte de cet équipement, car elle jouxtait une zone humide d’à peine un demi hectare qu’il fallait absolument préserver au nom des grands équilibres biologiques dont le ministère de l’Écologie se targue d’être l’ultime protecteur. La norme est devenue l’instrument par lequel l’administration d’État, sous l’égide des préfets, tente de récupérer sur les collectivités le pouvoir qu’elle a perdu depuis les lois de décentralisation de 1982.

L’exemple du ministère de l’Équipement, qui a accepté de se laisser absorber par le ministère de l’Environnement à la fin de la dernière décennie, est à cet égard exemplaire. Les corps d’ingénieurs de ce ministère, dessaisis de leurs compétences d’ingénierie pure par Bruxelles qui voyait d’un mauvais œil leur activité concurrencer déloyalement des bureaux d’études privés, étaient menacés de disparition. En se laissant avaler par le pourtant minuscule ministère de l’Environnement, ils ont pu se saisir des très médiatiques missions de protection de l’environnement que les lois européennes et autres Grenelle multiplient, et sont devenus le fer de lance, au sein d’un grand ministère de l’Écologie et du développement durable, d’une nouvelle ingénierie régalienne dont le rôle semble systématiquement être d’empêcher là où auparavant, ces administrations cherchaient à aider à faire.

Sans nier que l’environnement soit une cause majeure, de nombreux acteurs estiment aujourd’hui que la recherche de sa protection va bien trop loin et que son rapport coûts/avantages s’est considérablement dégradé.

 

Conclusion 

La simplification attendra, la privatisation aussi.

Ni les ménages ni les entreprises ne verront d’amélioration sensible de leur relation avec les administrations locales du fait de la loi.

Les points d’entrée seront presque aussi nombreux, les formulaires abondants, et rien ne permet de croire que l’argent public sera mieux dépensé. D’ailleurs, les nouvelles régions, dont l’État n’a pas diminué le nombre d’élus, se sont empressées de rassurer les fonctionnaires des anciennes entités en promettant qu’elles maintiendraient une organisation locale éclatée, façon de dire que les déplacements autoritaires de services administratifs vers la nouvelle capitale régionale seront limités au strict minimum. Comme trop souvent, à partir d’idées dont certaines apparaissaient bonnes, un gouvernement a accouché d’un compromis ultra-conservateur en se couchant devant tous les lobbies qui auraient eu à perdre en cas de transformation plus radicale de notre organisation publique.

Le problème ne sera résolu que lorsque l’État, au lieu de réfléchir en termes de répartition de compétences publiques entre acteurs publics, se posera, comme en Suède, en Allemagne, en Suisse ou en Grande-Bretagne, la question de l’intérêt de maintenir l’intervention du secteur public dans de nombreux domaines.

Depuis sa création, la région est en charge des politiques locales de l’emploi, ou de la formation professionnelle ; qui peut constater la moindre amélioration des résultats de la France dans ces domaines depuis les années 1980 ?

L’État et les collectivités se partagent chacun des morceaux de l’éducation des enfants : en quoi cela a-t-il profité aux performances de nos élèves dans les comparaisons internationales ?

La perfusion de notre agriculture de subventions européennes l’a-t-elle rendue plus solide et résistante aux aléas conjoncturels ?

Arrêtons là la litanie des échecs de l’intervention publique nationale ou locale en France. Comme nos grands et moins grands voisins l’ont compris, il faut se poser la question d’un retour à la société civile, privée ou caritative, de pans entiers de l’action publique, l’État se contentant d’arbitrer des litiges et de juger les conséquences d’erreurs ou de fraudes. Les économies et les simplifications viendront alors toutes seules.

Sur le web

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  • Excellent article en conclusion de quoi il serait utile d’insister sur le fait que ce gouvernement actuel n’est pas libéral. Pour mettre fin au centralisme jacobin de l’Etat dans le secteur de l’enseignement : enseignement de base, géré par les Communes (fusionnées), enseignement supérieur non universitaire par les Régions et enseignement universitaire, rendu autonome, subventionné par le secteur privé et l’Etat. Cette structuration par niveaux, met fin à celle, artificielle, actuelle. ( supprimer le BAC) et permet de déceler les responsabilités.

    • trop compliqué et tout aussi artificiel que l’organisation actuel.
      L’enseignement devrait être juste géré par … les établissements d’enseignement ! Une dotation normalisée par élève aura quasiment le même effet qu’un chèque éducation, sans soulever autant de hurlements.

      Et supprimer le bac est juste impossible, donc il faut aussi le décentraliser, aux université et aux établissements doté de classes post-bac (BTS, prépa) . Ce qui revient pour eux à instaurer un examen d’entrée spécifique (éventuellement à partir d’une banque d’épreuves ou de notes de contrôle continu) et résout ipso facto la question du niveau des étudiants, et de leur admission post-bac

      • La structure de fonctionnement de l’enseignement que je propose est à peu près celui en vigueur dans les pays scandinaves. Le BAC est le couronnement d’un enseignement général étatisé. Sa suppression impliquerait enfin le droit pour les établissements d’enseignement supérieur de sélectionner ceux d’entre les étudiants qui leur apparaissent les plus performants ce qui devrait atténuer le pourcentage catastrophique d’échecs en 1e année du supérieur.

  • Serait-il possible de retrouver les nombres d’élus dans les nouvelles régions pour les comparer aux nombres d’élus dans les anciennes régions. Ceci pour bien analyser les bilans financiers des indemnités? Les dépenses augmentent-elles? Fait-on des économies même en augmentant les indemnités? Il est vrai que des régions plus grandes nécessitent plus de déplacements.

  • Une synthèse lucide sur un sujet assez ardu. Bravo pour cette excellente analyse, une habitude chez Vincent Bénard.
    Pour compléter le tout, sur un terrain plus politique cette fois, est-ce que le redécoupage des régions n’avait pas en fait une visée électorale, à savoir empêcher le FN ou le LR de s’emparer de régions (cfr la région Languedoc Roussillon fusionnée avec Midi Pyrénées) ?

  • Excellent article qui balaye large et fait bien comprendre au profane la nullité crasse de cette ènième réforme pondue par la gouvernance des Nuls.

    Une petite boutade, quand l’auteur écrit : »ces missions représentent la moitié des budgets départementaux…, façon élégante de dire qu’elles sont placées sous perfusion de l’état ». Au sens figuré « sous perfusion » signifie « maintenu en vie grâce à des apports artificiels d’argent extérieur ».

    Là encore on retrouve la présence de l’éternel endettement qui est bien considéré comme de l’argent extérieur à celui que l’état a pu engranger (je ne parlerai pas de thésauriser car aucun de nos gouvernants ne connaît la définition de ce mot et au vu de la façon dont nous sommes dans le rouge, je pense même qu’il en ignore l’existence).

    Les Nuls sont à l’ouvrage…Triste et dramatique.

    • « thésauriser » ils connaissent, mais selon leur catéchisme post-keynésien c’est un gros mot, synonyme de « accaparer » et affamer le « peuple de gauche » (le seul qui compte)

  • Comme d’habitude, un article superbe et très éclairant.
    On ne peut qu’encourager Mr Bénard à intervenir plus régulièrement sur ce site, ses articles étant toujours aussi pédagogiques qu’intéressants.

    • Merci pour ces commentaires encourageants !

      Je voudrais bien écrire plus souvent (comme il y a quelques années), mais chaque article demande pas mal de préparation/recherche/documentation/réflexion, et je ne suis pas en mesure d’augmenter le rythme actuellement.

      • Dommage, car vous faites beaucoup de bien à la cause libérale, et beaucoup de défenseurs du libéralisme gagneraient à prendre exemple sur votre pédagogie afin de toucher plus juste.
        En tout cas, merci pour le temps que vous prenez pour rédiger ces quelques articles.

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