La preuve de la discrimination est dans la discrimination

Comment prouver la discrimination en général, et la discrimination syndicale en particulier ?

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La preuve de la discrimination est dans la discrimination

Publié le 3 mai 2015
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Par Roseline Letteron

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Comment prouver la discrimination en général, et la discrimination syndicale en particulier ? L’arrêt rendu par le Conseil d’État Mme B.A. le 15 avril 2015 rappelle les règles d’administration de la preuve en ce domaine.

Les faits à l’origine de la décision sont d’une grande banalité. La requérante, agent contractuel de droit public à Pôle emploi en Guadeloupe, se porte candidate aux fonctions de « correspondant régional justice » de cet établissement. Cet agent a pour fonction d’assister dans leur recherche d’emploi les personnes détenues qui sont en fin de peine. Le directeur général de Pôle emploi rejette sa candidature en février 2012. Aux yeux de Mme B.A., ce rejet trouve son origine dans ses responsabilités syndicales et elle estime être victime d’une discrimination. Le tribunal administratif de Basse Terre lui a donné raison dans un jugement du 10 octobre 2013 et Pôle emploi a donc saisi le Conseil d’État en cassation. Celui-ci annule la décision du tribunal administratif et rejette le recours de Mme B.A. au motif que la discrimination n’est pas démontrée.

Une présomption

L’auteur d’une discrimination, en particulier dans le domaine syndical, a généralement tendance à cacher le fondement réel de sa décision en la masquant derrière l’intérêt général. Il va ainsi invoquer l’intérêt du service pour refuser une promotion ou décider une mutation, alors qu’il veut écarter un militant syndical.

Dans son arrêt Perreux du 30 octobre 2009, le Conseil d’État a été saisi d’un recours dirigé contre un refus de nomination à un emploi de chargé de formation à l’École nationale de la magistrature (ENM). Pour la requérante, ce refus reposait sur son appartenance au syndicat de la magistrature. En l’espèce, le Conseil d’État estime que la preuve de la discrimination n’est pas apportée, précisant que celle-ci s’articule en deux temps.

Il appartient d’abord à la personne qui s’estime discriminée d’apporter tous les éléments de fait de nature à permettre au juge de former sa conviction. Ces éléments permettent d’établir une présomption de discrimination. Dans l’affaire Perreux de 2009, le Conseil d’État estime que cette présomption existe, d’autant que la requérante avait obtenu une délibération en ce sens de la Halde. Plus tard, dans son arrêt du 10 janvier 2011, Levêque, rendu à propos de faits identiques à ceux de l’affaire Perreux, la Haute Juridiction admet également la présomption de discrimination, s’appuyant cette fois sur le fait que l’autorité compétente avait d’abord accepté le détachement de la requérante à l’ENM avant de changer d’avis sans explication. Le poste avait d’ailleurs été laissé vacant pendant plusieurs mois ce qui montrait que le refus opposé au requérant ne reposait pas sur l’existence d’un meilleur candidat à l’emploi vacant.

Une fois cette présomption acquise, la charge de la preuve est inversée. Il appartient désormais à l’administration de montrer que le refus opposé à l’intéressé ne reposait pas sur des motifs discriminatoires mais sur des motifs d’intérêt général. Dans l’arrêt Perreux, le ministre parvient ainsi à démontrer que la préférence accordée à une autre candidate était conforme aux critères définis dans la description du poste et que son profil était plus satisfaisant que celui de la requérante, notamment au regard de ses connaissances linguistiques. Dans la décision Levêque en revanche, le ministre s’est borné à affirmer qu’il était indispensable de maintenir la requérante dans son poste, sans expliquer pour quelles raisons, malgré une demande précise en ce sens formulée par le Conseil d’État. L’administration n’est donc pas en mesure de renverser la présomption, et le juge annule la décision.

Dans le cas de l’arrêt du 15 avril 2015, la requérante échoue dès la première étape. Elle ne parvient pas, en effet, à donner des éléments de fait de nature à faire présumer une présomption. Elle se borne à affirmer « que sa candidature était meilleure que celle de la personne retenue » et qu’elle n’avait pas bénéficié de certaines formations. Cette dernière précision est évidemment d’une grande maladresse puisqu’elle reconnaissait ainsi devant le juge ne pas détenir des compétences comparables à celle du candidat retenu.

Ce raisonnement en deux temps permet ainsi au juge de disposer d’une sorte de grille d’analyse qui lui permet d’écarter rapidement les recours fantaisistes, c’est-à-dire ceux qui, comme en l’espèce, ne reposent sur aucun élément de fait.

Discrimination et mesure d’ordre intérieur

En revanche, les recours les plus sérieux peuvent conduire à écarter purement et simplement une mesure pourtant habituellement qualifiée de mesure d’ordre intérieur. Dans une décision du 7 juillet 2010, Mme Claude A., le Conseil d’État a ainsi été saisi d’un recours dirigé contre une décision du jury d’admission au concours d’accès au grade de directeur de recherche au CNRS en « Sociologie et sciences du droit« . Le jury a d’abord classé la requérante, âgée de soixante-deux ans, au 2ème rang sur la liste des candidats admissibles avant qu’une « décision » de la Direction générale du CNRS décide de ne pas promouvoir les personnes de plus de cinquante-huit ans. Sur la base de cette nouvelle décision, qui modifiait allègrement les règles du concours pendant son déroulement, la requérante n’a donc pas été déclarée admise. Dans ce cas précis, le Conseil d’État écarte la mesure d’ordre intérieur au motif qu’elle n’est pas conforme aux principes généraux du concours, l’appréciation du jury devant reposer non pas sur l’âge des candidats, mais sur leurs « capacités, aptitudes et mérites respectifs ». La décision qui ajourne la requérante est donc annulée pour discrimination à raison de l’âge. Observons au passage que le Conseil d’État a eu l’élégance de ne pas rechercher si cette règle nouvelle introduite pendant le concours visait à favoriser un autre candidat… La décision aurait alors été annulée pour détournement de pouvoir.

La preuve de la discrimination est donc… dans la discrimination. Sur ce point, la jurisprudence française se situe dans la ligne de la directive du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Elle impose en effet aux États-membres ce double degré d’appréciation, à partir d’une présomption qui peut être renversée. Une petite pierre dans la construction d’un droit européen de la discrimination.


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  • Et la discrimination positive en faveur du syndiqué au détriment de ceux qui ne le sont pas ?

  • Les syndicalistes se cooptent entre eux et en famille, un test ADN général, nous montrerait l’horrible vérité.
    Mais bon, si les merdias nous disent le contraire, c’est que c’est vrai.

  • Les commentaires sont fermés.

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