Des hommes et des machines : 4 modèles relationnels

À l’heure digitale, comment combiner hommes et machines pour optimiser la relation client.

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Des hommes et des machines : 4 modèles relationnels

Publié le 5 avril 2015
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Par Christophe Benavent

Customer service - Credits Matt Watts (CC BY-SA 2.0)
Customer service – Credits : Matt Watts (CC BY-SA 2.0)

 

Si la relation client nourrit depuis des années une abondante littérature à partir de l’idée que la qualité de la relation se caractérise essentiellement par le degré de confiance et d’engagement du client à l’égard de la marque – plus généralement par le sentiment de justice, la qualité de l’expérience, l’attachement et la légitimité – on s’est beaucoup moins intéressé à la manière dont elle est déployée à la fois à travers les machines et les humains. Comment les combine-t-elle ? À quelles fins ?

De ce point de vue, il n’y a pas qu’un modèle de relation mais plutôt plusieurs configurations caractérisées par le but qu’elles servent et les ressources numériques et humaines qu’elles engagent. Elles se caractérisent par différents leviers d’action. Faut-il se concentrer sur la personnalisation des services ? Faut-il favoriser l’interaction entre les différentes audiences ? Faut-il laisser les personnels en contact assumer la responsabilité de l’échange ? Faut-il se centrer sur ce que les clients éprouvent et les conditions matérielles de leurs expériences ?

Lorsque les ressources sont limitées – ressources humaines, infrastructure digitale, capacité de communication – il est nécessaire d’avoir un schéma de priorité clair. C’est d’autant plus important qu’à l’heure digitale la question de la distribution et de la coordination des tâches dans les services passe moins par la gestion de plusieurs canaux que par la répartition des tâches entre l’humain et la machine. L’enjeu est celui de la productivité, d’autant que les gains de productivité ne sont pas aisés dans les services : on n’imagine pas par exemple un coiffeur faire une même coupe en moitié moins de temps, les robots n’étant pas prêts de les assister. Ces gains peuvent cependant être obtenus via trois modalités.

La première est de substituer des algorithmes aux agents humains, autrement dit d’automatiser. On le fait depuis longtemps parfois radicalement (pensons aux pompes à essence !) et la tendance risque de s’accentuer ( y compris dans le secteur de la santé avec les objets connectés). La seconde modalité est celle de la complémentarité soit en redistribuant selon leur degré de routine les activités entre canaux humains et digitaux, soit en complétant les services déjà délivrés par des services digitaux (c’est le destin du m-banking). La troisième revient à concentrer la mise à disposition des services digitaux aux agents humains, et à faire en sorte que les outils accroissent leur productivité : c’est la stratégie de la capacitation (un programme tel que Facteo à la poste en représente l’enjeu).

Modèles-relationnels

Ces options varient selon le modèle relationnel que l’on souhaite déployer. Au moins quatre d’entre eux peuvent être identifiés, ils sont suffisamment stylisés pour rendre compte des différences majeures en matière de choix stratégique de gestion de la relation client. Ils diffèrent dans les ressources et les compétences qu’ils nécessitent, qu’elles soient humaines ou digitales, et dans les manières dont elles se combinent, autrement dit par le mode de coordination.

  • Un modèle individualisé de relation – One 2 One :
    Ce modèle se fonde sur la capacité à personnaliser les messages, les prix et éventuellement les services. Sa force est d’ajuster l’offre générique à chaque client et ainsi de maintenir une satisfaction élevée. Son enjeu est celui de la fidélité des meilleurs clients, sa perspective est d’exploiter au mieux la longue traîne. Son instrument est une utilisation systématique des données qui passe par un CRM sophistiqué et des méthodes de Data Mining maîtrisées. Son avenir est celui sans doute du big data et de l’automatisation de la décision. Son avantage est un contrôle fin de la clientèle (des prospects aux fidèles) sans recourir à des ressources humaines importantes. Il suppose un degré élevé de confiance dans la marque de la part de ses clients, et une grande efficacité opérationnelle. La gestion des processus y est capitale. Le rôle des technologies est ici essentiel, il est un substitut presque total. Son enjeu est d’accroître sa capacité de prescription, de fluidifier la navigation, de maîtriser l’art de la notification, et de donner au consommateur des possibilités de contrôle suffisantes par le biais des tableaux de bords, comptes et autres mécanismes de configuration. Amazon ou Netflix en sont de beaux exemples.
  • Un modèle relationnel local (ou de proximité) :
    Le modèle local de relation peut être considéré comme le modèle premier, au sens historique : il se fonde sur les réductions d’incertitude qu’une gestion de proximité de la relation permet. C’est la force des petits commerces qui ajustent au plus près des besoins par une connaissance intime et personnelle des clients. Elle est limitée par les capacités cognitives et sociales des êtres humains. Ce modèle exigeant en présence humaine n’est envisageable que si les clients représentent une forte valeur. Le luxe s’en accommode, la banque peut le faire avec le soutien des automates. Son avantage est qu’il demande peu de ressources centrales et permet un ajustement fin aux besoins locaux. Il requiert cependant une forte autonomie, une grande qualité commerciale des personnels, la capacité des responsables d’unité à nourrir des liens étroits avec l’environnement proche. Le digital peut y jouer un rôle de soutien : celui d’augmenter les capacités des agents mais aussi des clients. Son caractère informatif, utilitaire et pédagogique est fondamental. Un exemple caractéristique est celui de Burberry’s.
  • Un modèle relationnel expérientiel :
    Dans ce modèle, l’objectif est d’optimiser la qualité de l’expérience clients à travers les canaux et les produits. Sa force réside dans le contrôle de l’usage de ces derniers qui permet de procurer une satisfaction qui va au-delà de la fonction des canaux et des produits. Son instrument est une connaissance en profondeur de la signification des produits et de l’anthropologie particulière de la consommation. La surprise, l’émotion, le confort, une certaine qualité d’être y sont centraux. Ceci impose des personnels de vente et de service après-vente bien compétents et empathiques, mais surtout une approche en termes de conception des services. Son avantage est de créer une forte différenciation mais qui exige un haut degré d’intégration culturelle de l’organisation, et une créativité certaine. Il s’articule par la mise en scène, des rituels, la dramatisation, la stimulation. Le digital peut y jouer un rôle avec des dispositifs spectaculaires et performatifs (interface sensorielle, vidéos,  mécaniques de jeux), pensés moins pour servir un besoin particulier que pour amplifier ce qui est éprouvé au moment de l’achat et de la consommation. What else ?
  • Un modèle collaboratif de relation  :
    Ce type de relation réclame un degré élevé au moins d’une partie de la clientèle et des collaborateurs : il crée de la satisfaction en procurant des avantages dont la source est en dehors du modèle de production (ex : conseil venant d’autre clients). Le crowd-sourcing est son mécanisme central. Son avantage évident est de minimiser les ressources internes nécessaires (techniques et humaines) en mobilisant des ressources externes. Il nécessite cependant un engagement élevé d’une fraction des clients et des partenaires. Il passe par des plate-formes dédiées dont l’économie est à plusieurs versants.  La dimension sociale du digital et le partage généralisé des données en font un modèle en plein développement. La gestion de l’interaction entre les différents versants, les différentes populations font des règlements intérieurs et de leur application (Policies) une compétence spécifique et discriminante. Les AirBnb, Blablacar et autres Ubers en sont les terrains d’expérimentation.

Il va de soi que ces modèles sont des idéaux-types, les contingences en retiennent des combinaisons. Toute la question réside dans ce qui est nécessaire pour passer de l’un à l’autre. Quelles ressources sont nécessaires pour passer d’un modèle à l’autre ? Quelles ressources sont nécessaires pour rester excellent dans sa configuration ?


Christophe Benavent free (Benavent C) / CC BY-NC-ND 3.0

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  • Le photo : une plaisante illustration de l’intelligence (pas si) artificielle (que ça) ?

    Sinon, article très intéressant en ce sens qu’il permet de contredire en toute simplicité les prophètes malthusiens de malheur qui prédisent la disparition des emplois à cause de la robotisation de l’économie. Les plus criminels d’entre eux, chantres de la fainéantise et du parasitisme, vont jusqu’à préconiser l’extension du régime des intermittents à l’ensemble de la société. Comme si la généralisation du vol en bande organisée pouvait générer la moindre richesse…

    Si les emplois tels que nous les concevons aujourd’hui doivent, non pas disparaître, mais évoluer, cela n’a rien à voir avec l’intelligence artificielle mais tout avec l’évolution normale de la proportion capital / travail tels qu’opposés classiquement. Mais la théorie classique qui conduit à faire croire que le travail, donc les emplois, vont disparaître, est une erreur magistrale puisqu’elle ignore que le capital est en dernière analyse du travail. Un travail certes différent, en constante évolution pour le bonheur de l’humanité, mais du travail quand même. La seule constante économique, c’est que la valeur de ce travail, autrement dit la création de richesse, n’apparaît que dans le cadre de l’échange volontaire, du marché libre et de la concurrence. Sans liberté, et la liberté est d’abord économique, il n’est pas de richesse possible. Partant, rien d’autre n’est possible, sauf la pauvreté absolue, car il est beaucoup plus ardu de philosopher le ventre vide que le ventre plein.

    Si aujourd’hui les emplois disparaissent en masse, si le travail reste en friche, c’est uniquement à cause de la collectivisation étatique et des manipulations budgétaires et monétaires insensées qui l’accompagnent. En la matière, il n’existe aucune fatalité tendancielle ou cyclique, encore moins de stagnation séculaire. Il y a juste des Etats de plus en plus obèses, terroristes avides de détruire le présent comme l’avenir pour survivre à tout prix, au prix du sacrifice des populations.

    Pour sauvegarder vos emplois, ne craignez pas la technologie et le progrès. Craignez plutôt l’Obèse.

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