Il y a de quoi se poser la question, lorsque l’on regarde la réaction des marchés aux événements du Yémen. Réaction épidermique le 26 mars, de sitôt corrigée le 27 mars. Aujourd’hui seul compte tout ce qui a trait à l’équilibre offre-demande du point de vue purement économique comme si les risques politiques avaient disparu… Le monde pétrolier a-t-il changé à ce point ?
Par Aymeric de Villaret.
La variation de la demande, donnée économique et source des dernières variations du baril
Depuis neuf mois et le début de la chute des prix du baril, on ne regarde plus que la baisse de la demande et, conjuguée à la montée en puissance de l’huile de schiste américaine, le « surplus » de production liée à cette faiblesse de la demande.
Ainsi, les cours du Brent ont suivi les révisions à la baisse de la demande.
Comme le montre le tableau ci-dessus alors que l’AIE escomptait en décembre 2013 une hausse de la demande pour 2014 (vs 2013) de 1,2 Mb/j (cette estimation est même montée à 1,4 Mb/j en mai-juin-juillet), celle-ci s’est effondrée pour n’atteindre plus que 0,6 Mb/j en novembre. Et en février, on a constaté un léger rebond du baril comme celui de la demande.
Oui, les cours du baril sont actuellement « drivés » par l’évolution de la variation de la demande !
Le pétrole est depuis 1973 politique
L’évolution des cours du pétrole depuis 40 ans et la guerre du Kippour est nette. Tous les grands bonds du baril (à l’exception de 2004-2008 liée à la forte demande provoquée par l’essor de la Chine) ont été provoqués par des crises politiques :
Notons particulièrement : 1) la Guerre du Kippour en 1973, 2) la révolution iranienne et la guerre Iran-Irak, 3) l’invasion du Koweït par l’Irak, 4) l’invasion de l’Irak. Il est vrai qu’à chacun de ces événements, la production de pétrole a été interrompue ou très nettement perturbée.
Et aussi lors de crises politiques sans interruption ou interruption limitée
Plus récemment, rappelons-nous l’été 2013 (il y a moins de 2 ans !) avec d’abord le renversement en Égypte de Mohamed Morsi, suivi des tensions en Syrie.
Et alors que le baril était déjà à 100$/b, c’est à plus de 115 qu’il est monté avant la proposition russe de démantèlement des armes chimiques. Et cela alors que l’Égypte et la Syrie ne produisent quasiment pas de pétrole. Il n’en demeurait pas moins vrai que l’Égypte contrôle le Canal de Suez.
Quid du Yémen ?
Même si le pays ne produit quasiment plus rien (à l’exemple de la Syrie, au moment des tensions les plus fortes… voir ci-dessus), le Yémen se trouve au Moyen Orient en plein milieu de tensions entre chiites et sunnites… instrumentalisées (comme dit le journal Le Monde) par deux puissances régionales Arabie Saoudite et Iran, qui possèdent avec l’Irak, les principales ressources mondiales de pétrole conventionnelles :
Ce n’est donc pas tant le Yémen en lui-même qui pourrait inquiéter, puisque ses productions de pétrole et de gaz (surtout exportée pour ce dernier par GNL – Gaz Naturel Liquéfié) sont assez limitées.
Déjà en 2013, le Yémen ne produisait plus que 180 kb/j de pétrole, contre 300 dans les années 2009-2010. En revanche, le détroit de Bab el-Mandeb est important. Selon l’EIA américaine, 3,8 Mb/j de pétrole et de produits raffinés y ont transité dans les deux sens en 2013. À son point le plus étroit, le détroit ne fait que 18 miles de largeur…
Arabie Saoudite – Iran
Sans parler de l’Irak, située géographiquement entre les deux pays, on comprend bien que tout risque de conflit même si seulement aléatoire devrait créer quelques variations sur les prix du pétrole, si l’on se réfère à ce qui arrivait par le passé lors de toute tension politique. Il suffit de regarder au niveau mondial, les réserves de ces deux pays (ainsi que celles de l’Irak) :
Conclusion
Les marchés ne réagissent quasiment plus aux événements politiques majeures.
Les tensions liées au Yémen ont disparu quasiment aussi vite qu’elles étaient apparues alors qu’une étude du passé montre que si cela s’était déroulé il y a juste deux ou trois ans, cela aurait sans doute été différent.
Plusieurs raisons sont possibles :
- Tout conflit potentiel entre l’Arabie Saoudite et l’Iran paraît « inimaginable » ;
- Les risques d’interruption de navigation dans le détroit de Bab el-Mandeb sont considérés comme nuls
« Moins de 6 % de hausse pour le Brent est « rien », quand on voit les enjeux derrière » - Les fondamentaux de court terme prennent le dessus
Il est vrai qu’aujourd’hui, l’offre est supérieure à la demande, que la production américaine n’a pas encore baissé et que les stocks de pétrole sont aux plus hauts. En outre, les négociations sur le nucléaire avec l’Iran (1 Mb/j d’exportation possible d’ici 18 mois) avancent à grands pas. Est-ce que pour autant que le pétrole ne serait plus politique ? Les quasi non réactions aux problèmes libyens (voir notre papier) auraient tendance à aller dans le même sens. Il nous parait difficile de répondre oui à cette question. Attendons un peu que la demande reparte et que la « guerre des prix » actuelle ait impacté l’offre avant de répondre définitivement…
Est-ce que dans un marché tendu, il en sera de même ?
Bon, on éviter de tergiverser pour savoir qui des houtis ou de Hadi a raison. On pourrait justement penser que le pétrole n’a pas réagit car une victoire de la coalition arabe est un non évènement. De part leurs positions l’AS et l’Egypte peuvent arrêter les navires commerciaux en mer rouge comme ils le veulent, l’Iran ne le peut pas, mais avec le contrôle du Yemen il le pourrait quelques temps (jusqu’à ce qu’une coalition vienne arrêter ça, mais ça serait plus compliqué que d’éviter que les rebelles prennent le pouvoir).
Une victoire de l’Iran serait donc un problème majeure pour l’Europe, la Chine, le monde sunnite ainsi qu’Israël la ou une victoire de la coalition ne change justement rien au rapport de force régional.
Les événements au Yémen ont pu être anticipés par les marchés.En tout ce qui est fascinant c’est la rapidité à laquelle un pays se considérant comme leader régional mobilise une coalition hors norme en terme de moyens et humains et matériel.En revanche un échec politique de cette intervention risque d’être sanctionné sur les marchés.
Vous trouverez le lien sur mon papier sur la Libye ci-dessous :
https://aymericdevillaret.wordpress.com/2015/02/17/et-si-on-parlait-de-la-libye-oui-le-petrole-est-aussi-politique/
« …sont actuellement « drivés »… » Je proposerais « déterminés », « conditionnés », voir « mûs par »
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