Les cartes ne servent pas uniquement à faire la guerre

Elles servent aussi visiblement à écrire des bêtises.

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Les cartes ne servent pas uniquement à faire la guerre

Publié le 10 février 2015
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En contrepoint de l’article d’Adel Taamalli, notre collaborateur Gérard-Michel Thermeau a choisi d’exprimer son désaccord parfait.

Par Gérard-Michel Thermeau.

Mapa Mundi-Atlas sive Cosmographicae meditationes de fabrica mvndi et fabricati figvra 1595- Mercator- library of Congress (CC BY-NC-ND 2.0
Mapa Mundi credits Cesar Ojeda (CC BY-NC-ND 2.0)

 

Les philosophes s’expriment en général sur des domaines dans lesquels ils n’ont aucune compétence particulière, fidèles au vieux rêve grec du Philosophe-Roi et de la Philosophie couronnant glorieusement le Bac dans l’ancienne tradition française. Les historiens se gardent bien de parler de philosophie mais il leur arrive assez souvent de parler de géographie. Et pour cause, selon la définition célèbre et paradoxale d’un dictionnaire, la géographie est une « discipline enseignée par des historiens ». En effet l’écrasante majorité des professeurs d’Histoire-Géographie sont historiens de formation, comme moi-même.

Adel Taamalli dans un récent article de Contrepoints s’indigne de la représentation mercatorienne du monde et suggère fortement de lui substituer une représentation petersienne.

Loin d’être inconnu des établissements scolaires, les projections de Peters ont suscité l’engouement d’un certain nombre de mes collègues, gauchistes de cœur et accros de Jean-Christophe Victor et de son ineffable émission, Le dessous des Cartes sur Arte, qui avait beaucoup contribué à les populariser à une certaine époque. Mais on le verra Peters est aujourd’hui déjà démodé.

Si notre philosophe était descendu de ses nuées pour ouvrir un manuel de géographie en usage dans les établissements scolaires, il aurait peut-être découvert des choses surprenantes.

Commençons par regarder un peu quelles sont les zones dont la superficie est outrageusement agrandie par Mercator leur donnant ainsi une redoutable impression de puissance : le Canada, le Groenland, l’Islande, la Norvège, la Suède, la Finlande et l’Antarctique. Mazette, que des puissances de premier plan. Bon d’accord il y a aussi la Russie. Il faut bien une exception. Mais c’est la Russie froide et vide.

Bref, on ne peut pas dire que ce soit des pays ou des régions, hors Russie, qui incarnent de façon très crédible l’impérialisme occidental, ni qui tiennent une grande place dans les préoccupations des élèves exposés continuellement à l’influence pernicieuse du planisphère accroché au mur latéral de la salle de classe.

Pour ceux qui ne seraient pas familiers des projections cartographiques, précisons ce qu’est une projection de Peters. Vous prenez une projection Mercator, vous la mettez dans le lave-linge, vous essorez, vous ne repassez pas et laissez sécher sur la corde à linge. Voilà, vous avez une projection de Peters. Les continents pendouillent, les surfaces sont beaucoup plus déformées qu’avec Mercator, distances et directions sont écrasées.

Quel est alors l’avantage de Peters ? Eh bien, les superficies sont respectées. Et donc, l’Afrique trône en majesté. Loin d’être plus objective, plus « équilibrée » et autres niaiseries répétées à satiété, il s’agit simplement d’une carte afro-centrée qui prend la place d’une carte euro-centrée. Bref, c’est une manifestation rigolote du « sanglot de l’homme blanc ». C’est la carte des nostalgiques du tiers-mondisme et des gauchistes pleurnichards. Peters ne se contentait pas d’être européen, il était aussi Allemand : on imagine le poids kolossal de sa mauvaise conscience d’occidental torturé.

C’est politiquement très correct et géographiquement désastreux.

En fait une carte équilibrée, objective, cela n’existe tout simplement pas. La Terre est une sphère et pour l’observer sur une surface plane, il faut la déformer ! Toute carte exprime un point de vue. C’est comme ça, on n’y échappe pas. Et c’est pour cela que les manuels de géographie proposent des projections diverses mais aussi des échelles extrêmement variées : en fait l’emboîtement des échelles est au cœur de l’enseignement de la géographie dans le secondaire.

De surcroît, considérer que c’est la superficie qui établit l’importance des pays ou des régions du monde est d’une naïveté consternante. Pour ne vexer personne, prenons des exemples occidentaux. L’Antarctique représente 14 millions de km2. Le Groenland plus de 2 millions de Km2. La Belgique 30 500 Km2. Laquelle de ses trois zones ayant joué le rôle historique le plus important, est la plus peuplée, la plus riche économiquement ? Pour prendre un autre exemple pour nous tourner du côté du nouveau centre du monde : croit-on que la Corée du Nord est un État plus important que la Corée du Sud sous prétexte que la première a une superficie de 120 000 Km2 alors que la seconde compte « seulement » 99 000 Km2 ?

Si l’Afrique est plus vaste que la Chine, l’Inde et l’Union européenne combinées, malheureusement, il n’en va pas de même au niveau de la création des richesses.

En fait la place que « doit » avoir l’Afrique dépend avant tout des Africains eux-mêmes : c’est à eux de faire mentir l’afro-pessimisme par leur esprit d’initiative et leur activité. Une projection cartographique n’y changera rien.

Surtout, quand on regarde un peu les manuels de géographie du lycée, où les programmes sont centrés sur la notion de mondialisation depuis un petit moment, on trouve l’utilisation en fonction des chapitres de diverses projections : ainsi Buckminster-Fuller centrée sur le pôle nord qui permet de mieux représenter les flux du commerce mondial, donnant l’image d’un monde unifié dans un vaste océan.

Surtout les planisphères dans les manuels utilisent principalement la projection de Robinson ou celle d’Eckert qui ont l’avantage de n’avoir ni les inconvénients de Mercator ni ceux de Peters, mais sans être pour autant objectives.

On trouve de surcroit dans les livres manipulés par les élèves des projections centrées sur les États-Unis ou le Brésil ou la Chine ce qui permet de montrer comment chacun de ses pays, par exemple, voit le monde et ses rapports avec les autres parties. C’est d’ailleurs le premier thème obligatoirement étudié en début de terminale S, L et ES : des cartes pour comprendre le monde, « occasion d’une réflexion critique sur les modes de représentations cartographiques » selon les termes du programme officiel.

Donc avant de proposer de réformer les programmes, il serait bon de commencer à les lire et d’ouvrir les manuels.

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  • C’est vrai, je me rappel de mon lycée et de ces cartes.

    Cependant, je n’ai vraiment compris la subtilité des projections qu’en étudiant la géométrie non-euclidienne en dilettante.

    Je pense que certains profs le font, il serait bon de demander aux élèves de tenter « d’aplanir » le globe pour comprendre l’aspect géométrique et mathématique, pour saisir le problème.

    De même, comprendre l’importance des fractales dans le calcul du littoral etc…
    Enfin faire un peu de maths en cours d’histoire/géo 😀

  • Cher Gérard-Michel Thermeau,

    Je vous remercie pour cette réponse que j’ai lue avec intérêt. Mon but ayant été d’ouvrir le débat, je ne peux qu’être satisfait de la publication de votre réponse, quand bien même elle s’avère très critique (même si elle n’aborde qu’un des deux aspects de mon article, à savoir la réforme de la cartographie utilisée dans les programmes scolaires).

    Je souhaite vous répondre et je proposerai donc à Contrepoints, prochainement, un droit de réponse, en essayant de vous répondre point par point.

    Je vous remercie encore pour votre contribution au débat.

    Cordialement
    Adel Taamalli

  • J’aime beaucoup les projections interrompues de Goode ou Boggs si on veut garder les proportions des continents tout en gardant le détail des côtes aussi bien qu’en Mercator.

  • En fait, on s’en moque un peu de savoir si telle ou telle carte favorise tel ou tel pays ou continent en rapport avec la richesse, la situation géopolitique etc…le but d’une carte n’est pas tout simplement de représenter les superficies réelles ?? Dans ce cas là laquelle est la plus correcte ?
    Les gens sont assez grands pour se faire une opinion en terme de puissance, de richesse etc, mais une carte représente une superficie et pas autre chose.

    • Bonjour Lekahn
      Les cartes, cela sert(servait) aussi pour naviguer et calculer un cap et là, la superficie on s’en fout 🙂

      • En effet, la raison de la domination de la représentation Mercator est qu’elle conserve parfaitement les angles, qui sont le principal intérêt d’une carte de navigation (déterminer les caps).

        La superficie est sans intérêt pour les marins, qui ne rentrent pas dans les terres.

    • Lekahn: « le but d’une carte n’est pas tout simplement de représenter les superficies réelles ?? Dans ce cas là laquelle est la plus correcte ? »

      Il n’y en a pas, toutes ont des avantages et des défauts.
      La Peter représente correctement les superficies mais déforme d’une manière ridicule les contours des pays.

  • Pourquoi en France tout le monde doit se mettre d’accord sur tout ?

    • Ce n’est pas qu’en France.
      De la même façon que dans une langue, on doit se mettre d’accord sur une définition partagée des mots pour se comprendre, en géographie, on doit se trouver des points de repères communs.

      • Dans une langue personne ne s’est mis d’accord sur quoi que ce soit, elle s’impose spontanément de façon naturelle. En tout cas, avant l’invention de l’école publique et de la télévision. Allez demander à vos grands parents comment parler leur grands parents

  • Randall Munroe est entièrement d’accord avec vous: https://xkcd.com/977/ (et moi aussi !)

  • Les enfants ne sont ils pas tous sur Google Earth?

  • « La politique d’un Etat est dans sa géographie », a dit Napoléon. Toute représentation géographique est aussi et sans doute d’abord politique. Le problème de base est le manque grandissant de culture générale qui permet les discussions et remarques oiseuses dans les commentaires (pas seulement sur Ctps) et qui fait perdre beaucoup de temps.

  • Les commentaires sont fermés.

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Les auteurs : Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen Normandie. Eric Mounier est Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

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