Par Charles Bwele

Du MP3 à iTunes/Amazon en passant par le peer-to-peer et les logiciels de MAO (musique assistée par ordinateur), la disruption technologique transforme chaque jour l’industrie musicale et atteint désormais la production et la post-production qui basculent dans le cloud. Explications.
La première étape de production d’un album musical est la prise de son. Elle se déroule dans un studio professionnel et consiste à enregistrer séparément les sessions audio des différents musiciens (chanteur, chœurs, guitaristes, batteur, DJ, etc.) dans un disque dur de plusieurs centaines de gigaoctets. Autrefois et jusque dans les années 1980, ces enregistrements s’effectuaient sur des bandes magnétiques jalousement bichonnées, qui furent ensuite remplacées par des enregistrements direct-to-disk, lourdauds ancêtres de nos actuels disques durs USB dont l’industrie musicale fut parmi les premières bénéficiaires. Le direct-to-disc fut mis au point par la société New Digital England Corporation (NEDco) et intégré à ses synthétiseurs Synclavier qui pouvaient enregistrer des pistes mono en 16 bits.
La seconde étape est celle du mixage : les différentes sessions audio enregistrées dans la première étape sont configurées et harmonisées – conformément aux compositions originales – dans un enregistrement multi-piste par des ingénieurs du son.
La troisième étape est celle de la masterisation (ou mastering) : chaque titre est « traité et raffiné » afin de produire un rendu sonore optimal et d’obtenir une qualité d’écoute homogène sur tout l’album grâce à la normalisation, la compression, l’égalisation, la spatialisation, la limitation et le boosting, notions parfaitement connues des passionnés et des professionnels de la MAO.
De temps à autre, vous apercevez la mention « digitalement remasterisée » sur des couvertures CD d’albums enregistrés en analogique (avant les années 1980) et diffusés sur cassette audio ou sur disque vinyle. Depuis les années 1990, les classiques du jazz, du blues, de la soul, du rock et de la musique classique sont soumis à une remasterisation consistant à supprimer le bruit de fond inhérent aux supports analogiques – notamment la bande magnétique – et à offrir un rendu final plus compatible avec les standards numériques.
Dans l’industrie musicale, la prise de son, le mixage et la (re)masterisation sont de véritables opérations chirurgicales et cosmétiques qui font très souvent appel à des studios spécialisés dans chaque activité, et à leurs « ingés son » accumulant plusieurs décennies d’expérience et versés dans certains styles musicaux plutôt que dans d’autres.
Afin de prodiguer un « effet techno » aux percussions de ses albums Trailer Park, Central Reservation et Daybreaker, la chanteuse folk Beth Orton s’est adressée aux ingénieurs du son de Chemical Brothers (électronique) et est devenue une figure marquante du folktronic. Ses percussions denses, chaudes, quasi explosives, nappées d’instrumentations pop-folk à la fois aériennes et intimes, sont immédiatement perceptibles lors d’une écoute avec un autoradio, une chaîne hi-fi ou un baladeur, et de surcroît très appréciées par les stations FM avides de « gros sons ».
La production et la post-production (prise de son, mixage, masterisation) d’un album sont une saignée financière pour le jeune talent qui, à défaut d’être repéré, appuyé et financé par un label (big ou indie), doit payer de sa poche des studios facturant une journée à plusieurs milliers d’euros/de dollars.
Ce ne sera plus le cas avec LANDR. Ce service en ligne de masterisation repose sur un algorithme sophistiqué d’apprentissage automatique (learning algorithm) développé à partir d’une analyse instrumentale de plusieurs milliers de titres (aux styles musicaux très diversifiés) et d’une étude approfondie menée auprès d’une centaine d’ingénieurs du son. Loin d’un procédé générique peu ou prou primaire, LANDR implémente une masterisation personnalisée à chaque titre, en fonction de plusieurs paramètres souhaités par l’artiste. Tarifs : de 9 à 19 dollars par mois. Formats : WAV, MP3.
Les ingénieurs du son hurleront certainement à l’hérésie et dénonceront cette masterisation dans le cloud qui, à ce jour, ne vaut guère une masterisation en studio. Toutefois, LANDR est le pionnier d’une production musicale adaptée à des Millenials (ces « nâtifs du numérique » nés dans les années 1980 et entrant massivement dans leur trentaine) qui ont délaissé le CD et les amplis Technics/Yamaha/Pioneer au profit du MP3, des smartphones Android/iPhone et des docks iPod. Un malheur ou un bonheur ne venant jamais seul, des services collaboratifs d’enregistrement et de mixage tels que Gobbler, Splice et Wavestack feront sûrement des émules et seront très prisés les « studionautes ».
Outre ces applications disruptives, le processus intellectuel de création musicale sera également bouleversé par des wearable tech comme Google Glass. Ainsi, Young Guru identifie ou enregistre les titres et sons perçus dans son environnement immédiat grâce aux lunettes Google et les mixe ensuite dans ses créations musicales.
Cette ère montante du studionaute me renvoie à cette brève de science-fiction co-écrite quelques mois plus tôt avec Anna Markonova : L’Orchestre Philharmoligne – L’autre route de la soie.
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Sur le web.
Mais c’est génial !
En revanche, dire que les “wearable tech” vont révolutionner la musique, bof bof. Ce seront des instruments supplémentaires, ça ne fait aucun doute, mais ça fait longtemps que les musiciens bidouillent un peu tout et n’importe quoi pour en faire des instruments. En soi, ça n’apportera rien de nouveau au processus de création.
Le genre de service comme Landr qui commence à intégrer un genre d’intelligence artificielle (peut-on réellement parler d’IA avec un algorithme adaptatif qui fonctionne grâce à des gigaoctets de données ?) peut potentiellement bouleverser les habitudes des jeunes producteurs (et même peut-être les plus expérimentés), c’est certain.
Toue cette chaine, de la production à l’écoute a une vertu importante. On entend qui chante faux.
Dans les années 50-60 il suffisait d’être dans les courants artistiques à la mode pour vendre, être écouté.
La piètre qualité des moyens techniques masquaient les défauts.
Bye bye Sylvie.
Il me semble que ce qui masquait les défauts était surtout le talent des interprètes, ou celui des producteurs et imprésarios pour faire avaler n’importe quoi aux foules. Aujourd’hui, tout le monde peut à peu de frais obtenir une qualité professionnelle d’enregistrement, bien supérieure effectivement à celle d’autrefois, tout ça pour passer dans des systèmes de restitution finale des plus médiocres, heureusement compensés par la surdité précoce des jeunes qui écoutent la musique.
Moi je disrupte pas, je disjoncte…:) Ca doit être In d’être disruptif… Interessant tout de même!
Les jeunes n’ont plus la galanterie de vous faire disjoncter, alors ?
Bah non, ca y est j’suis une vieille, hors du coup…! Mince ;(
Mouais, la compression de dynamique est orientée pour obtenir le meilleur rendu possible sur des systèmes de diffusion médiocres.
“offrir un rendu final plus compatible avec les standards numériques”
là j’avoue que j’ai rien compris…