Par J. Sedra.
Suite de la première partie.
À partir du moment où on reçoit ses résultats de séquençage, s’ouvrent de très nombreuses possibilités d’analyse et d’interprétation. La limite à ce que l’on peut faire tient surtout à quel niveau de vie privée on souhaite maintenir (ou pas). Le site 23andyou donne un bon aperçu des options disponibles pour les clients de 23andme, et la plupart de ces options marchent aussi pour les clients des autres séquenceurs grand public.
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Comme mentionné dans la partie 1, 23andme ne fournit plus d’informations générales de santé mais seulement des détails d’origine ancestrale (proportion d’ADN issu de néanderthal, haplotypes mitochondrial et Y, composition ethnique à la grosse louche) et généalogique (pays d’origine, cousins génétiques plus ou moins distants connus dans leur base). Avec des outils de tierce partie il est possible de compléter et améliorer ces résultats d’origine, ainsi qu’obtenir des informations de santé. On peut ainsi faire appel à GeneKnot (gratuit et potentiellement anonyme) ou à Promethease (l’analyse coûte 5 dollars US, payables par carte bleue ou Paypal, ce qui rend l’anonymat à peu près impossible – notez qu’ils acceptaient les Bitcoins, et prévoient de réinstaurer cette capacité).

Les deux outils donnent une liste de vos gènes qui modifient potentiellement vos risques pour tout un tas de conditions médicales (DMLA, Alzheimer, diabète, asthme, certains cancers, ou encore.. les taches de rousseur) mais ils sont assez « arides ». GeneKnot donne un rapport condensé, tandis que Promethéase sort tout ce qu’il est possible de produire sur toutes les mutations que vous avez (même celles en un seul exemplaire) et pour lesquelles il existe une publication répertoriée dans sa base de données (SNPedia). Il vaut mieux avoir de bonnes connaissances en recherche pour interpréter les résultats car, généralement, qu’on ait constaté une augmentation de 20 ou 30% de risque d’avoir une maladie statistiquement associée à un gène particulier est très insuffisant pour croire à un lien de cause à effet possible entre le gène et la maladie. Et savoir que l’on a 10% de risque en moins que la moyenne de développer un diabète de type 2 n’est en rien une façon de s’excuser de reprendre une part de gâteau au dessert… Pour le dire simplement, la plus grande part des rapports médicaux que sortent ce genre d’outil est inutile voire trompeur, à moins d’avoir confirmation d’être porteur ou malade de quelque chose de sérieux comme une hémochromatose ou une dystrophie. C’est d’ailleurs ce type de constat qui avait à l’origine motivé la FDA pour prohiber ce service chez 23andme.

Bref, les informations dévoilées apportent un éclairage intéressant sur son propre caractère et performances sportives, ou éventuellement peuvent donner des mises en garde sur sa santé à venir, mais il ne vaut mieux pas les considérer comme un prérequis pour prendre soin de soi, ni s’imaginer qu’obtenir ces informations sera un déclencheur suffisant pour vous motiver à changer d’hygiène de vie. Pour illustrer, j’ai déjà été obèse et je savais déjà d’expérience que l’alcool me rend très vite malade, donc faute de me découvrir malade de quelque chose d’inattendu et bien connu médicalement, ces résultats n’ont rien changé pour moi.
Ethnicité et approximations
Vient ensuite la partie la plus amusante car tellement entachée de drama : l’analyse des origines ancestrales et ethniques. Comme mentionné dans la partie 1, les analyses proposées par 23andme ont des biais qui rendent les résultats approximatifs voire faux. Dans mon cas, à quel point ? C’est ce que j’ai voulu savoir…
Parmi les outils respectant le secret des données, il y a par exemple Interpretome, qui s’exécute dans votre navigateur et donc ne requiert pas de transmettre votre génome entier à un tiers. Sinon il y a GEDmatch qui rend aisée l’analyse ethnique et ancestrale en plus de proposer une recherche de parenté avec les autres profils, utilisable de manière suffisamment anonyme (il attribue un identifiant numérique au génome). On peut tester le fonctionnement de ces outils gratuits sur des génomes publics pour mieux comprendre leur utilité : passer son génome à la moulinette informatique de tests conçus pour l’anthropologie génétique, a priori plus précis et tenus mieux à jour que ceux des entreprises commerciales.

Parmi les analyses les plus intéressantes que l’on peut faire avec son génome, il y a les analyses en composantes principales : celles-ci consistent à pondérer de manière très compliquée plusieurs (dizaines voire centaines de) milliers de SNPs afin de positionner les individus sur des axes, en choisissant soigneusement les pondérations appliquées pour maximiser les distinctions qu’il est possible de faire. Plus simplement, cela permet de mesurer votre distance à certaines populations de référence, en se basant sur la génétique et les mathématiques (plutôt que, comme peuvent le faire les plus bornés des racistes, sur des critères grossiers et trompeurs comme la couleur de la peau, la taille du nez ou l’accent). Avec 2 pondérations (= composantes principales), on obtient 2 axes permettant de tracer une carte en 2 dimensions des populations étudiées. Une CP en plus, et cela devient une carte en 3D. Ordinairement on génère une dizaine de ces axes pour bien mettre en évidence les différences et similarités entre les populations, ainsi que distinguer de possibles sous-populations internes.

Il y a plusieurs projets de référencement des populations, à l’échelle mondiale (Human Genome Diversity Project, HapMap) ou régionale (Harappa pour l’Asie, EthioHelix pour l’Afrique, RefPop pour l’Europe, Magnus Ducatus Lituaniae Project pour l’Eurasie…), permettant de procéder en plusieurs étapes et d’affiner des origines mixtes, et ainsi obtenir des compositions ancestrales beaucoup plus précises.

De même sur la détermination des haplotypes (« cartes d’identité » des ADN mitochondrial – hérité exclusivement de votre mère – et chromosome Y – hérité exclusivement de votre père), il est utile de refaire l’analyse séparément (par exemple à l’aide des outils d’ISOGG ou OpenSNP). Dans mon cas, 23andme donnait un résultat très proche mais pas tout à fait exact. Chaque série de mutations spécifiques présentes dans ces deux sources correspond à une histoire de migration ancestrale particulière, intimement liée à l’évolution de notre espèce. Ces données ont une utilité généalogique comme anthropologique car elles définissent de manière très précise et sur des milliers d’années vos filiations patri et matrilinéaires, et les mouvements de populations du passé lointain.

Attention quand même, si vous multipliez les tests sur vos parents proches : se découvrir d’une origine patrilinéaire différente de son géniteur supposé peut facilement mettre en péril la cohésion d’une famille… En la matière, l’analyse génétique a énormément à offrir, mais avant de commencer à creuser il vaut mieux être sûr de vouloir en savoir autant. Dans la partie finale, je parlerai de généalogie proche, de transmission de l’ADN, et de fragmentation…
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c’est tout à fait passionnant mais attention, un résultat négatif demeure médicalement intéressant et à ce jour personne n’oblige qui que ce soit à explorer les méandres de son génome et c’est malheureusement normal que certaines sociétés profitent de cette vogue naissante. Ça sera bien pire dans dix ans et merci de nous mettre en garde…!
Pour ce qui est des risques d’implosion familiale, point besoin de toute cette démarche pseudo scientifique et de surf informatique. En consultation d’onco-génétique, pour rechercher un risque familial, on se rend compte de plein de choses cachées et on n’a pas le droit de donner l’information !
Dans mon cas ladite démarche compliquée vise entre autres choses à tenter de retracer les origines d’une arrière-grand-mère mystérieuse autant que tester les nombreuses possibilités d’analyse. Les derniers témoins potentiels étant morts depuis le siècle dernier et les archives d’état civil jusqu’ici muettes, ça ne laisse guère que l’ADN… J’espère juste que ces informations pourront un peu aider d’autres gens dans la même situation.
Quant aux histoires d’infidélité, ça arrive même aux familles les plus renommées: http://www.telegraph.co.uk/news/uknews/theroyalfamily/11268218/Richard-III-DNA-shows-British-Royal-family-may-not-have-royal-bloodline.html 😀
Dc si j’ai bien compris, cela permet essentiellement de combler son arbre généalogique, qu lieu d’étudier a la loupe le cadastre, maintenant on séquence notre ADN, pourquoi pas!
Au niveau des maladies cela reste très difficile à lire si on est pas un spécialiste en génétique?
Il vaudra toujours mieux faire appel à un spécialiste du sujet, oui, mais pour les plus braves qui se lancent seuls sur cette voie il vaut mieux avoir un solide bagage scientifique, oui. Par exemple, comprendre le théorême de Bayes pour tenir compte de l’imprécision de lecture introduite par des machines de séquençage imparfaites…
Je ne comprends pas: que veut dire “français” par exemple d’un point de vue génétique? Un Basque, dont le peuple était là avant les Gaulois, avant les Romains, est-il “génétiquement” français? Un Normand, qui a de bonne chance d’avoir du sang viking est-il “génétiquement” français? Un Breton?
Autre exemple, le peuple wisigoth, qui a dominé un gros quart Sud-Ouest de la France (sauf le Pays Basque) + le pourtour méditerranéen français (ainsi qu’une bonne partie de l’Espagne) après la chute de l’Empire Romain d’Occident, a génétiquement marqué tout ce territoire, mais pas celui de la moitié Nord et du centre-est de la France. Comme les généticiens s’en sortent avec ça?
C’est vrai, génétiquement parlant, “français” ça n’existe pas ! La France est au croisement entre peuplades germaniques, celtes, ibériques et méditerranéennes. C’est pour cette raison que la précision de l’analyse ethnique, pour les Français, s’effondre spectaculairement: https://www.23andme.com/ancestry_composition_guide/
Avec 92% d’échec sur les Français, ce sont les plus durs à “classer”, devant les Scandinaves (66%), les Britanniques (61%) et les peuples des Balkans (50%).