Le seul remède aux excès de la liberté, c’est toujours plus de liberté

Il est grand temps de se libérer du carcan culturel et législatif qui restreint notre liberté d’expression.

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Liberté d'expression (Crédits :Demeure du chaos matttdotorg, licence Creative Commons)

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Le seul remède aux excès de la liberté, c’est toujours plus de liberté

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 12 janvier 2015
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Par Gaspard Koenig

Liberté d'expression (Crédits :Demeure du chaos matttdotorg, licence Creative Commons)

Quand Charlie Hebdo s’appelait encore Hara-Kiri, dans les années 1960, il s’était fait interdire trois fois de publication par le gouvernement. Voilà qui serait inimaginable aujourd’hui. Mais l’atroce attentat de mercredi nous rappelle tragiquement que la liberté d’expression est toujours risquée. Les formes de la censure et de la répression évoluent, migrent, s’adaptent, mais ne disparaissent pas. Hommage à nos héros de la plume et du crayon, en lutte contre tous les pouvoirs. Hommage aux anticléricaux, aux irrévérencieux, aux trublions, aux contrepéteurs et aux péteurs. Pour ceux qui cherchent la vraie France, elle est là : dans les mots d’esprit, les satires et les « romans qu’on ne lit que d’une main » (l’expression est de Rousseau) ; dans la mélancolie anti-bourgeoise de Flaubert ridiculisant les idées reçues ; dans les invectives de NTM…

Il faut répondre nettement à la question que nous adressent les terroristes et les extrémistes. Peut-on rire de tout ? Oui. Peut-on tout dire ? Oui. Car le danger qui nous guette, c’est de nous installer dans une forme molle et diffuse d’autocensure perpétuelle. Au nom du respect de l’autre, au nom de la tolérance, au nom des meilleures intentions, on s’interdit et on interdit.

Danièle Thompson me confiait qu’on ne pourrait sans doute plus tourner Rabbi Jacob aujourd’hui. Christian Clavier pense qu’il serait impossible d’écrire La Cage aux Folles. En rentrant en France après dix années passées à l’étranger, Michel Houellebecq déclarait : « Je rentre dans un pays beaucoup moins libre que celui que j’ai connu il y a dix ans. J’ai gagné en 2002 un procès que je perdrais probablement aujourd’hui [pour avoir, déjà, critiqué l’islam]. On ne peut pas nier un affaissement global de la liberté dans ce pays. »

Cet affaissement n’est pas seulement culturel : il s’est peu à peu, insidieusement, inscrit dans le droit. La loi Pleven a ouvert le bal en 1972 en condamnant l’incitation à la discrimination, aujourd’hui utilisée à tort et à travers par toute communauté se sentant menacée – ainsi l’association « Belle, ronde, et je m’assume » a-t-elle lancé des poursuites contre Karl Lagerfeld pour « propos diffamatoires et discriminants envers la communauté des femmes rondes »… Puis les lois Evin, Gayssot et bien d’autres ont achevé de quadriller le champ du dicible et de judiciariser le débat public. Il se murmure que le gouvernement pourrait modifier la loi de 1881 sur la liberté de la presse pour mieux « réguler » Twitter. Les procès en diffamation, où la présomption d’innocence est scandaleusement bafouée, se multiplient. Nulle surprise que la France soit le quatrième pays le plus souvent condamné par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour violation de l’article 10 protégeant la liberté d’expression – derrière la Turquie, l’Autriche et la Russie…

Libérons-nous de ce carcan pour assumer pleinement nos valeurs. Martelons, dans la lignée du plus grand philosophe de la liberté d’expression, John Stuart Mill, que la raison ne doit pas avoir peur de son contraire. Face à l’erreur, argumentons. Devant l’imbécillité, tournons en dérision. Au venin et aux insultes, opposons une dignité tranquille.

Le seul remède aux excès de la liberté, c’est toujours plus de liberté.


Sur le web. Article initialement publié dans l’Opinion, le mercredi 07 janvier.

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  • La haine (ou même l’incitation à la haine) devient un délit, tandis que l’on hésite à punir le crime. Le mot « haine » est d’ailleurs utilisé à tort et à travers, en général pour disqualifier des adversaires
    Signe d’une société ou les sentiments et l’émotion priment sur les réalités objectives. Plus grave: cela nous ramène en deça d’Abélard qui avait, il y a bien longtemps, ouvert la route qui mène à la liberté d’expression, en distinguant péché et crime, seul ce dernier devant relever de la loi.

    • Exemple : toute critique d’Israel est un discours de haine antisémite.

      • Si c’était vraiment le cas, de nombreux journalistes auraient été poursuivis, mais effectivement en général les critiques envers Israël sont issues d’un antisémitisme inconscient et latent, on le comprend facilement quand on voit comment est représenté ce pays dans les média et la réalité sur le terrain.

  • « le danger qui nous guette, c’est de nous installer dans une forme molle et diffuse d’autocensure perpétuelle. Au nom du respect de l’autre, au nom de la tolérance, au nom des meilleures intentions, on s’interdit et on interdit. » Ce n’est pas un danger qui nous guette, c’est une réalité depuis de nombreuses années. Jamais entendu parler des bien-pensants qui nous informent et nous dirigent ?

  • Merci pour cet article. Il y a comme un malaise dans cette bienséance de la révolte, que les caricaturistes hélas défunts auraient indubitablement moqué. Ce pays est effectivement moins libre qu’avant par certains aspects (bien que plus libre pour d’autres comme celui des moeurs). Comment retrouver ce surcroit de liberté qui nous fait lourdement défaut?

  • Je trouve le titre étrange en regard au texte qui suit. Par exemple, qu’est ce qu’un « excès » de liberté ?

  • Les commentaires sont fermés.

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