Par Roseline Letteron
Dans un arrêt du 30 décembre 2014, le Conseil d’État confirme la légalité de la sanction disciplinaire infligée au docteur Bonnemaison. Accusé d’avoir administré à sept patients en fin de vie hospitalisés à l’hôpital de Bayonne des médicaments ayant provoqué leur décès, il a été condamné par la chambre disciplinaire régionale à être radié du tableau de l’Ordre des médecins le 24 juin 2013. Cette condamnation a été confirmée en appel par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre, le 15 avril 2014.
Le fondement juridique de la sanction réside dans l‘article R 4127-38 du Code de la santé publique (csp) qui énonce :
« Le médecin n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort. [Au contraire, il doit] accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moment, assurer par des soins et mesures appropriées la qualité d’une vie qui prend fin ».
Ces dispositions font partie du Code de déontologie médicale qui a valeur réglementaire.
Le contrôle de cassation
La décision du Conseil d’État n’a rien de surprenant. Intervenant dans le cadre de son contrôle de cassation, le juge s’assure que la décision n’est entachée d’aucun vice de forme ni de procédure.
Sur le fond, le Conseil d’État s’assure que les instances ordinales ont convenablement apprécié l’exactitude des faits. Ils ne sont pas vraiment contestés, et le docteur Bonnemaison reconnaît lui-même avoir donné la mort à plusieurs patients par l’injection d’un produit proche du curare. La qualification des faits ne rencontre pas davantage de difficultés. Il apparaît clairement que la décision de mettre fin à la vie de ces personnes a été prise en violation avérée de la procédure mise en place par la loi Léonetti du 22 avril 2005. Le docteur Bonnemaison a délibérément donné la mort, alors que ce texte n’autorise que l’interruption d’un traitement lorsque ce dernier traduit une « obstination déraisonnable », même si cette interruption est de nature à accélérer la fin de vie. Il s’accompagne d’ailleurs d’une procédure destinée à tenir compte de la volonté du patient, si elle peut être exprimée, ou de celle de la famille et à garantir une décision collégiale de l’équipe médicale. Le docteur Bonnemaison n’a respecté aucune de ces prescriptions posées par la loi.
Reste enfin la proportionnalité de la sanction, et le Conseil d’État ne peut qu’observer que les faits étant particulièrement graves, l’Ordre des médecins a pu considérer qu’ils justifiaient une mesure de radiation définitive.
L’arrêt Bonnemaison n’apporte donc rien de nouveau au contrôle du juge de cassation sur les sanctions disciplinaires prononcées par un ordre professionnel. Son intérêt est ailleurs.
Il réside précisément dans le fait que le docteur Bonnemaison a été acquitté en juin 2014 par la Cour d’assises de Pau. Il est vrai que ses avocats ont parfaitement su le présenter comme un militant du droit de mourir dans la dignité, dans un contexte marqué par la remise en question de la loi Léonetti. Aujourd’hui, le parquet général a fait appel, et un second procès devrait bientôt intervenir, cette fois devant la Cour d’assises d’Angers. La procédure pénale est donc loin d’être achevée.
Sanction des instances disciplinaires et acquittement par la Cour d’assises
Il n’en demeure pas moins qu’en l’état actuel du droit, le docteur Bonnemaison a été acquitté par le juge pénal pour les faits qui ont fondé sa condamnation disciplinaire.
Une telle situation est assez rare.
Dans beaucoup de cas, la sanction disciplinaire n’a pas tout à fait le même fondement juridique que la sanction pénale, même si elles ne sont pas sans lien. C’est ainsi qu’un fonctionnaire qui a écrit un article dans un journal peut être condamné pour injure ou diffamation par le juge pénal, et pour manquement à ses obligations de réserve et de discrétion par les instances disciplinaires. Dans le cas du docteur Bonnemaison, il est accusé d’avoir provoqué le décès de sept personnes, comportement pour lequel il a été acquitté par la Cour d’assises et condamné par l’Ordre.
La règle Non bis in idem
L’affaire pose indirectement la question de l’éventuelle mise en Å“uvre de la règle Non bis in idem.
Déjà connue du droit romain, elle énonce que nul ne peut être poursuivi ni condamné deux fois pour les mêmes faits. Cette règle figure dans l’article 368 du Code de procédure pénale, le Protocole n° 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme (art. 4), l’article 15 § 7 du Pacte international sur les droits civils et politiques et enfin l’article 50 de la Charte européenne des droits fondamentaux.
Sa valeur constitutionnelle est moins claire. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 février 2010, se réfère ainsi à la règle Non bis in idem, sans davantage de précision, et notamment sans la dissocier clairement du principe de nécessité de la peine, lui-même rattaché à l’article 8 de la Déclaration de 1789.
Le champ d’application de cette règle est, en revanche, parfaitement clair.
Le droit positif la limite en effet au domaine pénal. Depuis l’arrêt du Tribunal des conflits Thépaz du 14 janvier 1935, il est ainsi acquis que le comportement d’un fonctionnaire, et donc d’un médecin hospitalier, peut constituer à la fois une faute pénale et une faute de service, et susciter des poursuites pénales et disciplinaires.
Dans une décision du 8 juillet 2012, la Cour de cassation refuse de la même manière la transmission au Conseil d’une QPC portant sur les dispositions qui autorisent l’Autorité des marchés financiers (AMF) à engager des poursuites administratives susceptibles de se cumuler avec des poursuites pénales. La Cour considère en effet que le principe Non bis in idem ne s’applique pas, dès lors qu’il s’agit de deux procédures de nature différente.
Cette interprétation a été confirmée par le Conseil constitutionnel, dans sa décision rendue sur QPC du 17 janvier 2013. Il estime qu’un médecin peut être sanctionné à la fois par l’Ordre et par les instances disciplinaires de sécurité sociale. Ce cumul de procédures disciplinaires n’emporte aucune violation du principe Non bis in idem, à la condition toutefois que seule la sanction la plus forte soit mise à exécution. Cette réserve est dictée par le bon sens, car on imagine mal un médecin condamné pour les mêmes faits à une interdiction temporaire et à une interdiction permanente d’exercer sa profession.
Dans l’arrêt Bonnemaison, le Conseil d’État applique ainsi une jurisprudence aussi ancienne que constante. Dans une rédaction très didactique, il explique que « cette décision sur le volet disciplinaire des poursuites est distincte de l’instance pénale, toujours en cours ».
Il en résulte que le fait qu’aucune infraction pénale n’ait été commise, selon la décision de la Cour d’assises de Bayonne, n’implique pas nécessairement l’absence de faute déontologique. Dès lors que les procédures sont clairement dissociées, rien n’oblige le juge disciplinaire à surseoir à statuer jusqu’à l’issue de l’instance pénale.
Vers une évolution ?
Cette position des juges français fait pourtant l’objet de contestations récentes, que les avocats du docteur Bonnemaison pourraient peut-être exploiter.
La Cour européenne des droits de l’Homme tout d’abord, dans un arrêt Grande Stevens c. Italie du 4 mars 2014, a considéré que le droit italien viole l’article 4 du Protocole n°7 de la Convention européenne en prévoyant qu’un délit d’initié peut être poursuivi à la fois par l’autorité indépendante chargée du contrôle des marchés boursiers et par le juge pénal. La société requérante ayant déjà été condamnée par l’autorité indépendante, la Cour demande que les poursuites pénale engagées à son encontre « soient clôturées dans les plus brefs délais ». La décision laisse évidemment prévoir une prochaine condamnation de la France, dont le système juridique prévoit de nombreux cas où une autorité indépendante peut prononcer une sanction pour des faits poursuivis également devant le juge pénal.
Dans une situation comparable à celle sanctionnée par la Cour européenne, les personnes condamnées pour les délits d’initiés intervenus au sein de l’entreprise EADS viennent d’obtenir, le 17 décembre 2014, le renvoi au Conseil constitutionnel d’une QPC portant sur le non respect de la règle Non bis in idem. En l’espèce, les intéressés ont été mis hors de cause par l’Autorité des marchés financiers et contestent les poursuites dont ils font l’objet devant le tribunal correctionnel.
Certes, la contestation de la règle Non bis in idem concerne essentiellement, du moins pour le moment, les procédures diligentées par les organes disciplinaires de certaines autorités indépendantes. Le problème est cependant de même nature dans le cas des poursuites disciplinaires visant les fonctionnaires. S’il semble difficilement contestable qu’un même comportement puisse entraîner à la fois des poursuites pénales et des poursuites disciplinaires, leur articulation se heurte à des difficultés.
L’indépendance peut-elle réellement être totale entre les deux procédures ? Une instance pénale en cours ne risque-t-elle pas d’être influencée par une sanction disciplinaire déjà prononcée ? Conviendrait-il d’établir un sursis à statuer obligatoire en matière disciplinaire, jusqu’à l’issue de la procédure pénale ?
Il ne fait guère de doute que le cas du docteur Bonnemaison pourrait permettre à la Cour européenne des droits de l’Homme de se saisir de cette question et de définir le socle d’une procédure respectueuse du droit au procès équitable.
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Sur le web.
Avec une analyse si dense et si complexe, le citoyen lambda demeure stupéfait !
Décidément le droit est tordu ….et la justice, déjà bien discréditée dans notre pays, ne va pas retrouver la confiance populaire !
Et pourtant , ne serait- ce pas la priorité absolue et urgente ?
Il n’est pas habilité à donner la mort … dont acte MAIS il pouvait appliquer un traitement sédatif à doses croissantes jusqu’à provoquer le décès du patient ….
Position hypocrite de jésuites de la part du gouvernement … vous pouvez provoquer le décès mais il ne faut surtout pas utiliser le mot interdit d’euthanasie
Demain n’est pas la veille d’une législation qui tienne la route sur le sujet …. différence entre l’Europe du nord protestante et pragmatique par rapport à celle du sud « catholique » où un chat n’est jamais appelé un chat.
Personnellement j’ai tout prévu n’ayant aucune confiance dans les prises de position de ceux qui sont censés nous gouverner … de « droite » comme de « gauche »
De deux choses l’une ou bien le confrère Bonnemaison est coupable et doit être condamné ou bien il est acquitté , ce qui est le cas, et il n’y a aucune raison de lui appliquer une double peine …..
Dans notre pays il n’y a jamais eu d’avortements clandestins … pas plus que d’euthanasies … puisque … la loi l’interdit …. La morale est sauve …. NON ???
« ON » continue à se cacher derrière son petit doigt ???
En France de la naissance à la mort couche culottes à couche culottes le conseil d’ état quelqu dizaines de personnes au plus ( les Sages avec un S évidemment pour l’ AFP ) décide
je veux bien abréger de quelques semaines ma mort plutot que de souffrir comme ma mère mais si nos sacrés Sages en ont décider autrement ? sacré Sages va !
Un débat public s’ il le fallait de plusieurs années sur ce sujet puis une ou plusieurs votations des intéressés mais non impossible dans ce fichu pays infantilisé