L’Inde au bord de la falaise

Dans son dernier ouvrage, Amartya Sen dresse un bilan précis, circonstancié et pour le moins poignant de la situation de l’Inde.

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Inde pélerins Credit etrenard (Creative Commons)

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L’Inde au bord de la falaise

Publié le 24 novembre 2014
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Un article de la Fondapol

Inde pélerins Credit etrenard (Creative Commons)

Le récent drame qui a frappé l’Inde – la mort de dix femmes lors d’une opération de stérilisation1 – met en lumière le drame sanitaire que connaît l’Inde mais aussi les difficultés, pour ne pas dire plus, qui découlent de certaines politiques publiques.

C’est justement contre cette situation que s’insurgent Jean Drèze et le prix Nobel d’économie Amartya Sen dans leur dernier livre intitulé Splendeur de l’Inde ? À travers un livre dressant un bilan de la situation indienne, ils entendent faire œuvre utile en séparant le bon grain de l’ivraie et en proposant des solutions politiques adaptées.

 

Le débat indien

Avant d’entrer précisément dans le propos du livre, il n’est pas inintéressant de s’arrêter sur la situation politique indienne.

L’Inde a connu ces dernières années des conflits politiques entre les différents partis sur fond de ralentissement économique – passage du taux de croissance du PIB indien de 8 % à 5 %2. Lors de la publication de la version originale de l’essai, en 2013, en anglais3, les auteurs avaient très certainement à l’esprit les vifs débats politiques qui animaient alors l’Inde.

L’arrivée au pouvoir du nouveau Premier ministre Narendra Modi poursuit en quelque sorte le dialogue initié par les auteurs qui, s’ils ne pouvaient avoir conscience du résultat futur de l’élection, ont néanmoins rédigé un ouvrage qui alimente la polémique.

Un seul exemple permet d’illustrer ce point.

Le nouveau Premier ministre indien a récemment pris la décision de changer le statut de la Commission de la planification pour la faire passer d’organe décideur à simple comité consultatif4. Un changement de modèle économique est ainsi en gestation en Inde avec l’arrivée du nouveau gouvernement. Or s’ils défendent la nécessité d’une politique alternative, les auteurs ont une vision précise des changements qui seraient indispensables à cet État.

 

Un bilan sévère et catastrophique

Les auteurs dressent un bilan précis, circonstancié et pour le moins poignant de la situation de l’Inde et notamment des classes les plus défavorisées.

Loin de l’image trop lisse que lui a conférée une hypothétique appartenance au groupe des BRICS, l’Inde est actuellement confrontée à de nombreux défis. Les auteurs exposent avec justesse sa situation alarmante sur les questions éducatives et sanitaires ou encore sur celles liées aux inégalités : ce pays ne cesse de décrocher dans les classements internationaux5. L’exemple le plus terrible en est qu’en 2011 50 % des foyers indiens n’avaient pas accès à des toilettes. On conçoit aisément tout ce que cette situation peut avoir de dégradant sur le plan humain et de dangereux sur le plan sanitaire.

Amartya SenL’ouvrage regorge d’exemples de ce type. L’Inde apparaît ainsi au mieux comme une puissance fragile et au pire comme un État en pleine régression. Ce constat est d’autant plus alarmant que, comme les auteurs le font très pertinemment remarquer, les pourcentages qui pourraient donner l’impression qu’en réalité les catégories défavorisées ne sont pas les plus nombreuses cachent la réalité brutale des chiffres en valeur absolue et ces derniers correspondent à des centaines de millions d’individus.

Or, le bilan qui est fait de la situation indienne est encore plus poignant en raison du silence dont elle fait l’objet. Les réflexes de castes peuvent encore jouer et introduire des biais dans la pratique démocratique6. De manière plus générale, le sort des plus pauvres n’intéresse que peu l’opinion publique indienne ; celle-ci ne se formalise que des situations les plus extrêmes comme par exemple les histoires de viols collectifs de jeunes filles. Sans noircir le tableau, les auteurs montrent qu’une apathie démocratique subsiste encore qu’il s’agit de secouer.

 

Des solutions entre bon sens et parti pris

Pour comprendre les solutions, il faut revenir sur le parcours d’Amartya Sen.

L’auteur est un des premiers à avoir lié le développement avec la liberté, ce qu’il appelle la capabilité, à savoir la possibilité concrète pour un individu de mener à bien son ou ses objectifs7. Sa pensée est alors compatible avec la tradition libérale qu’elle oblige à repenser en mettant au cœur de son projet le bien-être de la personne.

inde fakir rené le honzecToutefois, vouloir placer au centre le bien-être comprend le risque d’aboutir à se focaliser sur ce point et à en oublier la liberté. Ainsi, les marchés sont-ils souvent accusés dans cet ouvrage tout comme les privatisations et les politiques d’austérité dans un mélange d’accusations pontifiantes. Selon les auteurs, ce n’est pas par une intervention moindre de l’État que l’Inde pourra renouer avec le progrès mais par une plus grande présence.

Des situations appellent une nécessaire régulation comme c’est le cas dans le délitement progressif de l’apport nutritionnel des jeunes enfants. Pour autant, les passages sur la présence de l’État dans tous les aspects de la santé peuvent être sujets à caution ou tout au moins suscitent un débat. Ces réflexions sont mêlées à d’autres qui promeuvent la transparence dans la fonction publique ou la multiplication des moyens d’informations pour mettre un terme aux phénomènes d’« information asymétrique ».

L’ouvrage propose des pistes de réflexion et une théorie du progrès économique et social. Il traduit aussi l’infléchissement de la pensée des auteurs vers un interventionnisme d’État de plus en plus marqué. Le caractère documenté du propos – il se fonde sur de nombreux articles de recherche aussi bien empiriques que plus abstraits – appelle la discussion et une nécessaire définition de ce qu’il faut entendre par liberté lorsque ce terme est couplé à celui de développement.


Sur le web.

  1. « Inde : dix femmes meurent après une opération de stérilisation de masse », Le Monde, 11/11/2014.
  2. Jean Drèze et Amartya Sen, Splendeur de l’Inde ? Développement, démocratie et inégalités, Paris, Flammarion, 2014, p. 32-36.
  3. Jean Drèze and Amartya Sen, An Uncertain Glory: The Contradictions of Modern India. London, Allen Lane, 2013.
  4. Sanjeev Sanyal, « L’Inde change de modèle », Le Monde, 28/08/2014.
  5. Ibid., p. 305-312.
  6. Ibid. p. 264-267.
  7. Louis Nayberg, « Philosophie de la justice sociale » Trop Libre, 18/04/2014 : « Sen met au cœur de sa réflexion les notions de « modes de fonctionnement » et de « capabilité ». Les premiers sont ce qu’un individu est en mesure de réaliser étant donné ce qu’il possède (se nourrir, circuler librement, accéder à la connaissance, etc.). La seconde est la possibilité effective qu’a un individu de combiner comme il l’entend ces « modes de  fonctionnements ». Selon Sen, l’organisation sociale ne peut se concevoir sans cette liberté effective des individus. »
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  • Si quelque chose caractérise bien l’Inde c’est la taille de sa bureaucratie étatique. Bref, ce livre est à mettre à la poubelle.

    • C’est surtout le mélange explosif de socialisme borné + système de castes.

      La comparaison entre Chine et Inde est stupéfiante.

      Et commence à devenir sérieusement dérangeante et humiliante pour cette dernière.

      Pourquoi la Chine avance, alors que l’Inde stagne ou avance comme une tortue ?

      Culture, religion, histoire… Il y a là une étude de cas absolument fascinante.

      • « Pourquoi la Chine avance… »

        Bah justement, je ne suis pas sûr que la Chine avance tant que ça. En tout cas, je me demande vers quoi elle avance.

        • Je pense que la Chine et l’Inde avancent parce qu’elles partent d’un point où un marché absolument gigantesque était complètement cloisonné. On a une croissance phénoménale du fait de l’ouverture très relative des marchés et du recul très relatif de l’Etat profite immédiatement à une grande partie de la population. Mais ces Etats restent gargantuesques et si de nouvelles réformes ne sont pas menées vers plus de libéralisation, ces pays devraient atteindre un nouveau plafond voire reculer. C’est pour cela que ce livre est du WTF!

        • Le PIB chinois serait 35% plus bas que ne le dit le gouvernement chinois, dont les statistiques seraient complètement trafiquées..

      • la chine avance parce qu’elle est jacobine …

        • cette petite coquine ….

           » qu’est ce que je suis heureuse de rencontrer un homme aussi bon que vous ! j’ai vraiment de la chance et je voudrais vous présenter à mes parents … « 

    • Les supermarchés, très utiles et efficaces, n’arrivent même pas à s’implanter à dause de ce mélange de socialisme et nationalisme qu’il y a en Inde, c’est vraiment triste…

  • selon wikibéral, Amartya Sen est un libéral de gauche. comment se fait il qu’il propose des réformes basés sur l’étatisme ???

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