Une piquette peut-elle être un « océan bleu » ?

Doit-on s’émerveiller de la rupture stratégique opérée par le vin australien YellowTail, vin destiné à ceux qui habituellement n’en boivent pas ?

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Une piquette peut-elle être un « océan bleu » ?

Publié le 15 novembre 2014
- A +

J’ai déjà eu l’occasion de discuter des limites théoriques de l’approche préconisée par Stratégie Océan Bleu de W. Kim et R. Mauborgne. On le sait, celle-ci invite les entreprises à délaisser les « océans rouges » de la concurrence directe sur les marchés existants pour créer de nouveaux marchés, « océans bleus » sans concurrence.

Plusieurs exemples sont cités dans le livre et il me semble intéressant de discuter d’un d’entre eux, celui de YellowTail. Il s’agit d’un vin australien. Non, attendez, ne partez pas. La spécificité de YellowTail est d’être le premier vin destiné à ceux qui habituellement n’en boivent pas. Au lieu de jouer dans la symbolique habituelle du vin, avec son château et ses prétentions élitistes, YellowTail ressemble plutôt à de la bière, avec une constance du goût, un étiquetage attractif, et un refus de l’élitisme habituel du vin. Et Kim et Mauborge de s’émerveiller de la rupture qu’une telle approche représente.

On reste un peu pantois car au final, lorsqu’on achète la bouteille, ce que je me suis résolu à faire par conscience professionnelle, on découvre un vin médiocre avec une jolie étiquette jaune. C’est l’une des rares bouteilles que j’ai eu du mal à finir. On pourra arguer que, amateur de vin, je ne suis effectivement pas dans la cible, mais il n’en reste pas moins que l’exemple peine à convaincre. Joli coup marketing, certainement, réussite commerciale, sans aucun doute, mais océan bleu, peut-être pas, sauf à ce que le terme d’océan bleu ne recouvre à peu près toute différenciation, si minime soit-elle. Auquel cas, le message se ramène à « Pour réussir, différenciez votre produit ». Ah…

Outre la faiblesse de cet exemple, on peut faire une seconde critique fondamentale à l’encontre de Océan Bleu qui est que si l’on peut, à la rigueur, constater qu’une entreprise a investi un segment tout à fait nouveau avec un produit de rupture, cela ne signifie pas pour autant que l’entreprise a mené volontairement une stratégie Océan Bleu. L’ouvrage suggère clairement que de telles aventures sont le résultat d’une démarche délibérée de la part de l’équipe de direction, qui décide, un jour, de créer un océan bleu, par une sorte de « big bang ». Or les exemples, lus avec soin, suggèrent une approche complètement différente. Au lieu d’un « big bang », on observe plutôt une évolution continue du concept. Ce n’est qu’au final que l’entreprise se retrouve dans un segment nouveau. Ce n’était pas nécessairement planifié au départ. C’est important car au final on peut faire une lecture complètement différente des exemples donnés par Kim et Mauborgne, celle d’une amélioration prudente, progressive et patiente d’un modèle d’affaire au travers d’un processus d’expérimentation.

Contrairement à océan bleu, l’approche prudente minimise les risques pour l’entreprise et pour les cadres qui sont impliqués dans la démarche. Les entreprises se retrouvent à l’issue de ce processus dans un océan bleu sans vraiment l’avoir voulu, ce positionnement ne résulte pas d’une décision ex ante, mais plutôt d’une volonté d’expérimenter.


Sur le web.

Voir les commentaires (7)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (7)
  • Bleu ? Jaune ?

    Au final, la même piquette. Et les vins australiens n’ont pas attendu ce pseudo « océan bleu » pour appliquer les méthodes marketing classique, les cuves industrielles, les étiquettes rigolotes, et les bouchons en plastique.

    Pour moi le vin australien c’est deux choses :
    -les prix les moins chers en Asie du sud est

    -et tellement infâmes que j’étais obligé d’ajouter des… glaçons dans mon verre (à Singapour, il faisait chaud certes)

    Il n’y a rien à récupérer de ces tord-boyaux qui tirent quasiment tous à 14,5 degrés.

    • Je vous conseille de gouter au vin de la Margaret Rivers (région de Perth) qui sont plutôt bon voir très bon pour des vins australiens. Ceux de la Barossa Valley se défendent aussi, bon ceux de la Hunter Valley par contre…

      Le problème des vins australiens reste dans l’assemblage, a savoir qu’ils n’en font pas ou très peu.
      Mais les australiens sont plus buveurs de bières / cidres & poirés et alcools forts que de vins. Donc ils n’y a pas non plus un grand marché pour chercher a produire de la qualité (que tu n’as pas besoin quand au demeurant tu pratiques le binge-drinking a la semaine).

  • Le fait d’arriver à un océan bleu ne signifie pas nécessairement que la stratégie est émergente. Le dirigeant peut avoir eu la vision de l’océan bleu et y être allé par petites touches, pour minimiser les risques et augmenter l’adhésion de ses troupes.

  • Je n’ai jamais bu de vin australien , et cela sans regret car un de mes amis en a fait l’expérience désastreuse. Par contre il sévit en France un vin dont le nom est Bastard. En Hollande, pour me faire plaisir(les Hollandais, dans la très grande majorité, ne connaissent rien vin ) des connaissance ont tenté de me faire boire cette…ce que vous voulez. Horrible. cette marque que j’ai approché par internet est détenu par des Anglais qui font passer ce vin pour un Bordeaux. Ils l’exportent vers les pays européens tels que la Hollande. Belle image de marque pour nos vignobles. La bouteille et son étiquette sont bien entendu agréables à l’oeil pour faire imaginer aux clients potentiels que le contenu est de la même veine que le contenant.
    Ces pratiques(emballer dans une jolie présentation un produit qui est de la …) sont des actes commerciaux déloyaux, frisant l’escroquerie. Je leur ai envoyé mon opinion et fustigé leur produit. Réponse: aucune.

  • bonjour CC , sans doute une question de commerce ,car à l’occasion d’escales maritimes en Nouvelle Galles du Sud et dans le Victoria ,l’intendant du bord ,s’étant procuré quelques bouteilles de vins issus de Cabernet ,puis l’escale d’après d’autres vins issus de mêmes cépages Cabernet- Sauvignon + un vin issu lui de Pinot (sans autre précision ); il n’y avait pas grand-chose à redire .
    Je veux bien admettre que le marin français en escales n’est pas le nec plus ultra dans la dégustation , surtout quand sa propre cave affiche niveau bas , quoi qu’il en soit ,ça faisait bien notre affaire ….A la bonne vôtre !

  • vive le vin français , c’est le meilleur;

    • Français, français, c’est vite dit… Il y a pas mal de piquettes en France.
      Vive le Bourgogne, oui. A 50km de Beaune c’est déjà tendu…

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Le monde du management est noyé sous les mots-valises, les expressions à la mode et les concepts creux. C’est un problème parce que mal nommer un phénomène, c’est s’empêcher de pouvoir l’appréhender correctement, et donc de pouvoir le gérer.

Un bon exemple est celui de l’expression technologie de rupture, très trompeur.

Je discutais récemment avec le responsable innovation d’une grande institution, qui me confiait : « La grande difficulté que nous avons est d’identifier parmi toutes les technologies nouvelles celles qui sont vra... Poursuivre la lecture

L’attaque surprise est la plus vieille tactique militaire de l’humanité. Elle repose sur l’idée que la stratégie est un paradoxe, c’est-à-dire qu’il peut être payant de faire quelque chose qui va sembler totalement illogique à l’adversaire. Elle repose aussi sur l’idée de tromperie, qui nécessite une fine compréhension de l’adversaire et de ses croyances. Ce sont ces croyances qui rendent la surprise possible.

Regardons-le sur un exemple tragique, celui des attaques terroristes toutes récentes du Hamas contre Israël le 7 octobre dernie... Poursuivre la lecture

Lors d’une émission de la chaîne économique Xerfi Canal, l’intervenant Olivier Passet opère la démonstration que les bullshit jobs conceptualisés par David Graeber (1961 – 2020) mènent inéxorablement au bullshit management.

Une assertion facilement vérifiable par tout individu qui parcourt les entreprises de services numériques où l’armée de managers qui s’affairent de réunion en réunion devrait pourtant alerter tout dirigeant averti sur la détérioration de valeur inhérente à cette réalité.

Une nécessité de correction d’autant p... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles