Loi sur l’énergie : faut-il la prendre au sérieux ?

Lecture critique de la loi en préparation sur la politique énergétique de la France.

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Loi sur l’énergie : faut-il la prendre au sérieux ?

Publié le 9 octobre 2014
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Un article du site Proteos.

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Je vais aborder dans ce billet les objectifs prévus par l’article 1 de la loi sur l’énergie en discussion actuellement au parlement. Ces objectifs sont censés déterminer la politique énergétique suivie par la France ces prochaines années. Malheureusement, ils me semblent impropres à pouvoir engendrer une politique cohérente. D’une part parce qu’ils me paraissent irréalistes, mais aussi parce qu’ils semblent avoir été écrit à la va-vite, effet renforcé après le passage en commission parlementaire du texte.

Les modifications verbeuses et contradictoires des parlementaires

Il peut d’abord être utile de comparer la version originelle du projet de loi et celle qui est sortie de la commission ad hoc. On peut constater que la version du gouvernement contient 4 objectifs pour le futur article L. 100-1, 6 pour le L. 100-2 et 5 pour le L.100-4. Au sortir de la commission, il y a 7 objectifs pour le L. 100-1, 8 pour le L. 100-2 et 7 pour le L. 100-4. Plus on ajoute d’objectifs, moins il est difficile de justifier qu’une politique corresponde aux buts énoncés : à force d’en ajouter, il devient possible de justifier à peu près toutes les politiques possibles, à charge pour le gouvernement de choisir les objectifs qu’il veut atteindre parmi ceux qui se contredisent.

Par ailleurs, certains de ces ajouts n’apportent rien ou presque, voire se contredisent entre eux. Ainsi pour le futur L. 100-1, les parlementaires ont jugé bon de donner 3 objectifs quasiment équivalents :
(…)
« 3° Maintient un coût de l’énergie compétitif ;
« 4° (Supprimé)
« 5° Garantit la cohésion sociale et territoriale en assurant l’accès de tous à l’énergie sans coût excessif au regard des ressources des ménages ;
« 6° (nouveau) Lutte contre la précarité énergétique ; (…)
On ne peut pas dire qu’il y ait une grande différence entre un “coût compétitif”, “la lutte contre la précarité énergétique” et “l’énergie sans coût excessif au regard des ressources des ménages” : ces 3 objectifs ont les mêmes conséquences pratiques et il doit bien être possible d’en proposer une synthèse claire, en gardant le seul 3° — qui existe déjà dans la version actuelle — ou par exemple en écrivant: “Maintient un coût de l’énergie compétitif et abordable pour tous sur l’ensemble du territoire de la République”.
Mais ce n’est pas tout : pour le futur L. 100-2, ils ont fait ajouter la phrase “Procéder à l’augmentation progressive de la contribution climat-énergie, qui (sic), dans la perspective d’une division par quatre des gaz à effet de serre” qui semble contradictoire avec les dispositions qu’ils ont fait ajouter juste avant !

Les objectifs chiffrés ont-ils été bien énoncés ?

ségo royal rené le honzecLe futur article L. 100-4 porte les objectifs chiffrés. Certains des chiffres proviennent d’engagements européens déjà pris ou en passe de l’être. C’est le cas des 23% d’énergie renouvelable dans la consommation finale en 2020 et de la baisse de 40% des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030. D’autres comme la baisse de la consommation d’énergie finale de 50% d’ici à 2050 ou la baisse de la part du nucléaire à 50% dans la production d’électricité relèvent des choix du gouvernement actuel.

J’ai déjà parlé l’an dernier, en mal, de la division par 2 de la consommation d’énergie finale d’ici à 2050, lorsque François Hollande avait annoncé cet objectif. Pour revenir aux arguments chiffrés, il faut remarquer que l’objectif fixé en Allemagne est une baisse de seulement 40%, pour une population attendue en baisse de 10%, alors qu’en France, on attend une population en hausse de 10%. L’effort est donc extrêmement conséquent et inédit. Les chances sont fortes que l’activité économique soit fortement impactée. Il se trouve que la loi donne un objectif complémentaire : le rythme de baisse de l’intensité énergétique finale à atteindre en 2030, 2.5%/an. L’intensité énergétique est la quantité d’énergie consommée — corrigée des conditions météo — rapportée au PIB, c’est donc une mesure d’efficacité. Or, il se trouve que la division par 2 de la consommation finale d’énergie implique un rythme de baisse moyen de 1.8% par an. Ce qui veut dire que le gouvernement se fixe grosso modo comme objectif une croissance moyenne de 0.7% par an d’ici à 2050. Je ne suis pas convaincu que ce soit le message que veuille faire passer le gouvernement!
Mais il s’avère aussi que l’objectif de rythme annuel de baisse de l’intensité énergétique est pratiquement hors d’atteinte : en dehors des pays ayant traversé une grave dépression et les anciens pays du bloc communiste, je ne sais pas si on peut trouver des exemples. On peut même voir qu’en France, le rythme de baisse de l’intensité énergétique finale est à peu près constant depuis au moins 30 ans à environ -1.1% par an, comme on peut le voir ci-dessous :

proteos

Les statisticiens du ministère de l’énergie indiquent dans le bilan énergétique annuel (p103) que le rythme depuis 2005 est de -1.3% par an. On voit donc qu’il faudrait qu’une modification rapide et fondamentale de la société française se produise et que les fondements de l’activité économique changent du tout au tout. Des gains de productivité inédits devraient se produire pendant une longue durée !

D’autre part, si le gouvernement entend réduire le chômage, une croissance de l’ordre de 1.5% par an est nécessaire. Cela rend aussi plus facile d’équilibrer les comptes de l’assurance maladie, des caisses de retraite, etc. Bref, s’il veut tenir ces autres engagements qui me semblent nécessaires à la paix civile dans notre pays et très conformes aux demandes des citoyens, c’est un rythme de gains d’efficacité énergétique de l’ordre de 3.5%/an pendant 30 ans qu’il faut viser. En attendant, si la tendance actuelle se poursuit, le gouvernement s’est donné pour objectif une récession moyenne de 0.5% du PIB par an pendant plus de 30 ans. Avis aux amateurs !

Une nouvelle fois, la source ultime de cet engagement est connue : diviser par 2 la consommation finale d’énergie est à peu près la seule façon d’espérer se passer de nucléaire sans augmenter les émissions de COâ‚‚. Tous les scénarios écologistes sont bâtis sur cette hypothèse, mais même ainsi, se passer de nucléaire relève de l’exploit. Mais au final, on voit bien qu’aucun gouvernement véritablement sain d’esprit ne s’engagera dans une telle politique. La tendance est claire : si on veut réellement diviser la consommation d’énergie par 2 d’ici à 2050, c’est une dépression de 30 ans qui est prévisible. Même avec un objectif très optimiste de gains d’efficacité, la croissance restera très faible. Il se passera donc avec ces objectifs ce qui s’est passé partout dans le monde face à ce type d’engagement intenable : il sera abandonné lorsqu’il deviendra trop évident qu’on ne peut pas l’atteindre. Il reste toutefois qu’il devient difficile de prendre au sérieux aucun des objectifs mentionnés dans cette loi quand on voit que le gouvernement fixe un objectif de croissance de 0.7%/an à rebours de tout ce qu’il promet par ailleurs ! Mais cela n’empêchera pas dans l’intervalle de prendre des décisions néfastes sur cette base…

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  • L’objectif numéro 1 de la loi est de laisser une bombe à retardement dans les mains de ceux qui succéderont à la majorité actuelle en 2017 et de la faire exploser avant 2022.

  • Bien sûr qu’il faut prendre au sérieux cette loi ! Tout autant que le budget 2015 avec ses prévisions de déficit et ses soit-disant baisses de dépenses. Tout autant que l’objectif d’inversion de la courbe du chômage en 2013.

    Avoir des objectifs c’est bien, ça fait rêver les politiques et leurs électeurs. Quand un objectif se révèle inatteignable, c’est pas grave: on l’oublie et on en invente un autre. On occupe le terrain dans les médias et on affiche de grandes ambitions. Pourquoi faire autrement, tant que les électeurs suivent?

  • Bizarre j’aurais pensé voir une corrélation de ce graphique avec la desindustrialisation massive qui s’est produite depuis l’adoption des 35 heures, l’an dernier par exemple le seul gros nouveau abonné électrique du Nord de la France fut OVH ou alors autre explication le particulier qui en passant de plus en plus au tout electrique a compensé cette perte (+ de Pompe a Chaleur, + de clim…)

  • Il y a une logique: les écologistes sont les apôtres de la décroissance. Il serait bon que les Français se rendent compte de ce que cela signifie.

    • Cela signifie, et c’est gravissime, que l’on n’est tout simplement plus gouverné : la majorité actuelle est basée sur des promesses utopiques qu’ils ne peuvent remettre en cause. Impossible de faire des économies ou simplement de mettre un frein dans la course vers le précipice.

      Ils continueront à jeter l’argent par les fenêtres et saborder l’économie quoi qu’il arrive. Ni la cour des comptes, ni les indicateurs économiques, ni le parlement européen, ni l’évidence qu’ils sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis n’y changera quoi que ce soit.

      Et l’utopie écolo (comme sociale) est autant ancrée à droite que à gauche.

      • pour moi c’est ça qui est ahurissant le moindre reportage journalistique sur des exemples de machins verts ne résisteraient pas à la critique…mais il n’y en a pas.
        J’avais l’impression qu’on commençait à voir des fêlures mais je n’en suis pas si sûr…

        ça a un peu à voir avec la sanctification des ong….qui sont devenus les seuls détenteurs de la morale…

  • La phrase clef qui aurait pu être mise en exergue ou en titre :

    “le gouvernement s’est donné pour objectif une récession moyenne de 0.5% du PIB par an pendant plus de 30 ans. ”

    Faut-il en rire ou en pleurer ?

  • Pourtant la solution est tellement évidente … Même si elle ne semble pas politiquement correcte aujourd’hui : Il suffit de construire des centrales nucléaires !

    C’est l’énergie la moins chère et si le vrai problème à très court terme c’est bien le réchauffement climatique ce que je pense … Et bien le nucléaire c’est 0 émission de CO2.

    Ceci permettrait de baisser les coûts de l’énergie et de garantir les conditions de la croissance économique ce qui semble essentiel.

    Pour les amateurs de la décroissance sachez qu’on est en plein de dedans et ça sent pas le bonheur. En plus ça ne règle pas des masses de problèmes environnementaux ou sociaux.

    Le nucléaire c’est pas la solution ultime bien entendu ( tout comme ça ne peut pas être la totalité du mix ) mais en attendant que la science nous trouve une vrai alternative qui ne manquera pas d’arriver j’en suis convaincu. C’est ce qu’on a de mieux comme carte a jouer.

    Pour le reste, il faut continuer à chercher une vraie alternative car c’est pas avec les éoliennes et les panneaux solaires qu’on va régler le problème. Les écolos devraient être moins dogmatiques et plus cohérents: si le problème c’est le réchauffement, la solution c’est le nucléaire à court terme et la recherche à long terme.

    Si le problème c’est le capitalisme alors faut pas nous faire chier avec l’écologie. Ce n’est qu’une excuse pour un programme politique qui ne dit pas son nom.

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