Par Philippe Silberzahn.
Cet article est le troisième d’une série consacrée à l’effectuation, la logique utilisée par les entrepreneurs experts dans la création de nouvelles entreprises et de nouveaux marchés.
L’entrepreneur, lit-on souvent, résout des problèmes. Cette caractérisation de l’activité de l’entrepreneur est trompeuse car elle dénote une situation relativement bien identifiée à laquelle il existe une solution et une seule, qu’il faut deviner. En fait l’entrepreneur n’essaie pas de résoudre un problème, comme un puzzle par exemple. Les questions auxquelles il s’intéresse sont en général non déterminées. Internet en 1991 n’est pas un problème à résoudre, mais un marché à construire à partir de rien, ou presque (personne ne pense, en 1991, qu’Internet puisse être un marché).
La résolution de problème, comme un puzzle, n’est donc pas une bonne métaphore pour représenter l’action de l’entrepreneur. D’une part parce que l’entrepreneur fonctionne avec ce qu’on appelle une “rationalité expansive” (créativité), et d’autre part parce que cette rationalité repose sur une dynamique sociale. C’est ce que traduit le troisième principe de l’effectuation, le patchwork fou.
Créativité
L’entrepreneuriat est un processus créatif. L’entrepreneur transforme une idée en un artefact social, une entreprise, un produit, un marché. Comme tout processus créatif, il ne consiste pas seulement à ré-assembler les pièces existantes d’un puzzle pour trouver la bonne solution. Au contraire, l’entrepreneur crée des pièces au fur et à mesure de sa démarche, et les assemble progressivement. Il n’a en général aucune idée de ce à quoi ressemblera l’assemblage final. Souvent il ne sait même pas qu’il est dans une telle démarche. Les fondateurs de U-Haul, par exemple, le principal loueur de camionnettes américain, ont commencé de manière informelle et se sont seulement rendus compte qu’ils avaient un projet entrepreneurial quelques mois après avoir démarré.
Pour le chercheur français Armand Hatchuel, cela correspond à une activité basée sur ce qu’il appelle une “rationalité expansive”, c’est-à -dire génératrice de connaissances, et qui échappe donc à l’analogie de la résolution de problème. Hatchuel donne ainsi l’exemple d’un couple qui souhaite passer une soirée agréable. La première option consiste à aller au cinéma. La sélection d’un film parmi les programmes des cinémas de son quartier et potentiellement fastidieuse, mais le choix est limité. Il s’agit bien d’une résolution du problème : quel film choisir parmi ce qu’on nous offre ? La seconde option est d’organiser une soirée à thème avec des amis. C’est beaucoup plus complexe car le nombre de possibilités est infini, et il faut “négocier” certains choix avec les amis en question. Nul ne peut savoir à l’avance ce que donnera la soirée, qui sera en quelque sorte “créée au fur et à mesure”. La soirée ainsi conçue est donc, dans une certaine mesure, une action entrepreneuriale.
On retrouve ici, formulée différemment, la distinction que l’économiste Frank Knight fait entre les environnements risqués (états connus et dénombrables) et les environnements incertains (états objectivement inconnus et donc indénombrables). À la vision de l’entrepreneuriat comme résolution de problème, qui choisit parmi un nombre limité de possibilités, on substitue donc une vision créative, qui génère une infinité de possibilités nouvelles.
Dynamique sociale
Comme l’exemple de la soirée l’a montré, le processus créatif ainsi engagé est intrinsèquement social. Les pièces du projet entrepreneurial apparaissent progressivement, au fur et à mesure du développement du projet, et sont le plus souvent apportées par des partenaires qui s’investissent dans celui-ci. Ainsi, au client qui accueille l’entrepreneur venu lui présenter son nouveau produit en lui disant “votre produit m’intéresse, mais il faudrait apporter telle et telle modification”, il y a plusieurs réponses possibles. L’entrepreneur peut trouver un autre client, ou il peut adapter son produit et revenir voir le client dans quelques mois. Mais il peut aussi tenter une logique de co-création en répondant : “OK pour apporter ces modifications, mais à conditions que vous vous engagiez maintenant à m’en prendre trois.” Si le client accepte, il rejoint le projet et en devient un acteur, ayant dès lors intérêt à sa réussite.
La démarche entrepreneuriale consiste donc non pas à résoudre un puzzle conçu par d’autres, mais à assembler un patchwork avec des parties prenantes qui se sélectionnent elles-mêmes, sans que l’on puisse dire à l’avance avec qui le patchwork sera crée, et donc quelles pièces seront apportées, ni quelle forme le patchwork prendra. Le patchwork est “fou” au sens où il n’y a pas de logique explicite (ou objective) à son développement, mais seulement une logique sociale (subjective) de parties prenantes qui s’engagent à participer à son développement en apportant leurs pièces et en les cousant. Dès lors, la qualité principale d’un entrepreneur devient sa capacité à susciter l’engagement d’un nombre croissant de parties prenantes dans son projet.
Voir les deux premiers articles de la série ici : « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » et Le raisonnement en « perte acceptable ». Pour une introduction générale à l’effectuation, voir ce billet.
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Sur le web.
j’adore vos articles. ils sont positifs et instructifs
Nous sommes à la recherche des partenaires pour l’implantation des sociétés au Togo.
Cette qualité , cette capacité ce charisme n’ est pas donné à quiconque ,
la création, le développement , ce sont des compétences et des dons différents
Dès que Contrepoints cesse de râler pour tout ou n’importe quoi, à prophétiser la fin du monde ou à suggérer que ses solutions sont ‘Les’ solutions, je me remets à aimer ses publications. J’aime beaucoup cette série d’articles à propos de l’entreprendrait.
Seule l’expression ‘Ancien entrepreneur’ dans le profile de Monsieur Silberzahn m’interroge.