Par T. Matique.
Depuis environ une cinquantaine d’années, certains États évaluent l’économie souterraine de leur pays et pour y parvenir ont recours aux méthodes établies par des économistes, dont notamment Vito Tanzi, Edgar Feige, Freidrich Schneider. Pourtant, le compte n’y est pas car, quelle que soit la méthode, les données prises en compte le sont sur des hypothèses non avérées.
L’approche monétaire (rapport billets/dépôts à vue, demande de monnaie, etc) ne tient pas compte des sociétés écran, des devises étrangères pouvant être utilisées, du troc, des dépenses faites dans un pays limitrophe, des dépenses faites par des travailleurs détachés d’un autre pays, etc.
L’approche Dépense/Revenu/Épargne purement comptable (PIB/Déclarations de revenu/Comptes en banque) ne tient pas compte des revenus non déclarés, dont les ressources non imposables (exemple les bourses), ou les erreurs volontaires ou involontaires non décelées en raison d’un seuil critique non dépassé, des dépenses faites hors du territoire par les frontaliers et celles faites par les non résidents du pays dans le pays, les sommes importantes en liquide (même non autorisées) ayant passé la frontière pour des paiements en liquide, les achats en liquide des touristes ou étrangers de passage, etc.
L’approche de la participation au travail ne tient pas compte de ceux qui travaillent à la fois de façon formelle et de façon informelle en dehors de leurs heures de travail, ni des travailleurs détachés sous contrat extérieur ne résidant pas au pays, etc. et tend à comptabiliser le travail non déclaré en entreprise alors que le travail non déclaré émanant d’initiatives individuelles en marge des entreprises est bien plus répandu et difficile à quantifier financièrement.
L’approche de la consommation d’électricité omet les énergies renouvelables, les zones au climat très clément, et les activités sans recours à cette énergie (entre autres un petit potager personnel).
Et les approches mixtes dont le Multiple Indicators, Multiple Causes (MIMIC) omettent toutes ces exceptions auxquelles s’ajoute la difficulté d’évaluer la part des trafics en tout genre.
En fait, comme l’écrivait Huw Dixon en juin 1999 dans un numéro spécial du Economic Journal : « Il est très improbable qu’on soit capable de mesurer les activités de l’économie souterraine dans un futur proche »
L’évaluation de l’économie souterraine est si aléatoire que la disparité entre les chiffres annoncés par divers rapports en devient presque « logique ». Ainsi, le gouvernement espagnol annonce une économie souterraine qui représenterait 24,6% du PIB en 2012, tandis que le rapport ATKearney/Visa 2013 de Friedrich Schneider « The Shadow Economy in Europe 2013 » l’estime à 19,2% du PIB en 2012 avec une moyenne européenne de 19% et de 18,6% du PIB en 2013 avec une moyenne européenne de 18,5%.
Comme bien des données fondées sur des hypothèses, celles concernant l’économie souterraine passent au décryptage et finissent par se transformer en source d’affirmations telles que les corrélations successives créées entre forte fiscalité, les inégalités sociales, le taux de chômage élevé et l’économie souterraine. Pourtant, selon l’étude de Friedrich Schneider et les données pour 2013, la France a une économie souterraine qui représente 9,9% du PIB alors que les prélèvements obligatoires sont bien supérieurs, entre autres, à la Finlande dont l’économie souterraine atteint 13%. La Suède, dont le modèle social n’a rien à envier au modèle français, a une économie souterraine de 13,9% du PIB tandis que le Royaume-Uni, bien plus éloigné de ce modèle social, a l’une des plus faibles économie souterraine avec 9,7% du PIB. Le taux de chômage atteint les 25,8% en Espagne et 9,3% en Estonie et pourtant l’Estonie a une économie souterraine qui représente 27;6% du PIB tandis que celle de l’Espagne est de 18,6%. En conjuguant les trois facteurs, nous avons l’Espagne et pourtant son taux est dans la moyenne des pays de l’Union européenne, puis d’autres pays, notamment l’Italie, le Portugal qui eux dépassent largement l’Espagne sur ce taux. Il y a de quoi s’y perdre tant les exceptions sont nombreuses à toute tentative de corrélation, dont celle de Friedrich Schneider lui-même.
Par ailleurs, quelles que soient les orientations des analyses, elles ne reposent que sur des calculs de données fournies par chaque État, chacun d’eux ayant à leur tour des méthodes différentes de calculs. L’exemple le plus significatif étant les références prises pour le mode de calcul du taux de chômage dans chaque pays. La France a déjà une particularité distincte de ses partenaires européens : les bénéficiaires du RSA. Selon un rapport de Pôle emploi du 21 mai 2013 sur les demandeurs d’emploi bénéficiaires du RSA en mars 2013, 763 010 demandeurs d’emploi sont bénéficiaires du RSA et ventilés en catégorie A, B et C. Un rapport de la CAF pour cette même période parle de 2,18 millions de foyers bénéficiaires du RSA dont 1,96 résident en France métropolitaine. À Défaut de plus d’éléments pour dissocier au sein d’un foyer ceux qui sont inscrits à Pôle emploi et ceux bénéficiant notamment d’un CER (Contrat d’engagements réciproques dont les signataires n’ont pas à s’inscrire à Pôle Emploi), nous pouvons en déduire que sur le nombre de bénéficiaires du RSA, seuls 15% à 30% d’entre eux sont recensés dans l’évaluation du chômage en France. Dès lors, avec le système de décompte du nombre de chômeurs en France, il pourrait y avoir entre 1 et 3 millions de chômeurs (à ne pas confondre avec le nombre de foyers) qui disparaissent des statistiques du taux de chômage .
De plus, il est étrange d’apprendre qu’un pays comme la France ayant autant de pays frontaliers, a une évaluation de son économie souterraine inférieure à la plupart de ces pays notamment l’Espagne, la Belgique, l’Allemagne, et l’Italie, alors que des milliers de Français traversent ces frontières pour y faire des achats en fonction des disparités de prix d’un pays à l’autre (tabac, meubles, produits de consommation courante, etc) sans qu’il y ait de contrepartie de ces pays en France. Comment évaluer la part dans l’économie souterraine de ces dépenses frontalières avec un flux français grandissant vers ces pays frontaliers sans un flux inverse pour le compenser, et avec en plus une difficulté à pouvoir associer le signe distinctif d’un État membre sur l’euro et son détenteur du fait de la libre circulation des capitaux ? Et si la supposée économie souterraine des pays limitrophes à la France n’était que le transfert du fruit de l’économie souterraine française dans leur économie ? Sur des hypothèses, tout le monde peut conjecturer.
L’évaluation de l’économie souterraine n’est qu’un indicateur, une estimation hypothétique qui permet d’entrevoir une tendance et son évolution, mais il ne s’agit en aucun cas d’une donnée exacte permettant toute extrapolation comportementale avérée, toute certitude. Pourtant, les étatistes et les socialistes, ont souvent recours à cet outil afin de justifier leurs défaillances politiques et d’accroître les contrôles. D’économie souterraine à la fraude fiscale, chez eux il n’y a qu’un pas vite franchi.
Il est aisé pour certains représentants politiques espagnols de laisser stigmatiser leurs concitoyens afin de mettre en place un contrôle plus accru de l’État sur l’activité économique, alors que l’économie souterraine en Espagne tend à baisser même si elle est presque un sport national depuis Franco et touche même les couches politiques. Quels que soient les chiffres avancés, comment distinguer dans l’économie souterraine de ce pays la part de la corruption de représentants politiques, celle des petits boulots permettant à des ménages de préserver un pouvoir d’achat décent (les minimas sociaux et aides sociales de l’État étant pratiquement inexistants, ou du moins dérisoires), celle des trafics illégaux en tout genre difficilement quantifiables, celle des sommes transférées notamment par les Français qui y font leurs achats en liquide, etc. ?
Tout comme il est aisé en France de se servir des estimations de l’économie souterraine afin de ne pas remettre en cause ce modèle social si « envié », afin de cacher la misère grandissante par tant de contraintes fiscales et administratives, et tant de rigidité du marché du travail qui poussent certains (travailleurs, étudiants, chômeurs, et retraités) à trouver des compléments de revenu dans des travaux de maison ou de mécanique, des tâches ménagères ou de couture, des dépannages informatique, etc. qui bien souvent, concernant les frontaliers français, nourrissent le PIB des pays limitrophes où ils font leurs achats. Il est plus aisé en France de stigmatiser les investisseurs et les « riches » en parlant directement d’exil fiscal et d’entretenir le patrie-austisme tout en justifiant leurs mesures étatistes/socialistes et leur politique démagogique. Il est plus aisé en France de stigmatiser les chefs d’entreprises et de leur associer contrôles fiscaux, contrôles de l’Urssaf, et Inspection du travail bientôt habilitée à les verbaliser avec des amendes, que de faire en sorte que les ménages puissent profiter du fruit de leur labeur sans être vampirisés ou puissent trouver du travail en tout légalité.
Les conjectures sur l’économie souterraine sont arrangeantes pour les étatistes et les socialistes car ils peuvent éluder le problème de fond de leur politique sclérosante et castratrice tout en fomentant en chacun l’indignation et les préjugés par des soupçons de fraudes. Force est de constater qu’un pays comme la Suisse, ayant une politique bien plus libérale que bien des pays européens, foncièrement étatistes ou socialistes, n’est pas vraiment touché par l’économie souterraine puisqu’elle ne représente que 7,3% du PIB. Au fond, l’économie souterraine n’est-elle pas le fruit de politiques étatistes et socialistes ? N’est-elle pas leur propre rejeton ?
Bien sur que si… « Plus il y a de lois, plus il y a de voleurs » disait Lao Tseu. L’inflation juridique inhérente au socialisme crée un attrait et une opportunité financière dans l’économie sous terraine. De même que la prohibition est un cadeau aux dealers, la réglementation et la taxation du travail est un cadeau aux travailleurs au noir, et les surtaxes des cadeaux aux contrebandiers.
En voulant « lutter contre les abus » les etatistes valorisent ces « abus » en leur donnant une rareté économique artificiellement haute.
Pour l’Espagne, je confirme que les chiffres sont loin de la réalité ;).
Comme en France (et dans les pays latins en général), la corruption représente une grosse part de ce chiffre. Mais même sans ça, en Espagne, le travail au noir est bien souvent de rigueur ;).
Et en France, c’est pareil, même si contrairement aux espagnols, on n’assume pas cette tendance. C’est pour ça qu’on accuse les agriculteurs espagnols d’employer de la main d’oeuvre pas chère au noir, en omettant les petits bangladais pas franchement déclarés qui travaillent dans les champs du sud de la France….
Le travail au noir est l’ajustement automatique de la société aux dérives socialistes. Plus de couverture maladie, accident, retraite ni de salaire minimum ou d’impôt. Bref le libéralisme sauvage.
Et l’état ferme alors les yeux car l’économie moribonde ne peut se passer de ce travail au noir en temps de crise. Officiellement, la société est juste, protectrice, merveilleuse. Officieusement c’est la loi de la jungle, le cache-cache avec la loi, la montée des mafias.
Cherchez l’erreur !
Il n’y a pas d’erreur car la prospérité du peuple n’est pas le but du socialisme. Le but de l’idéologie est l’acquisition et la conservation du pouvoir par tous les moyens, l’économie, qu’elle soit officielle ou souterraine, n’étant qu’une variable d’ajustement de l’équation politique immorale.
pragma: « Et l’état ferme alors les yeux »
Au dernier stade d’imbécilité et de faillite il commence à combattre l’économie souterraine considérée comme un « manque à gagner ».
On en est là .
Il le fait comme il combat la corruption : en parole. Et pour les mêmes raisons : parce que les politiciens, la police et la justice sont impliqués comme tout le monde et qu’ils s’auto-persuadent que c’est sinon nécessaire, du moins inévitable.
De toutes façons, il ne faut pas confondre les causes et les effets. Le jour où nos dirigeants (et les électeurs) auront compris cela, on aura fait un grand pas en avant.
Il y a d’autres formes sournoises de black ou Black + avantages sociaux E.
Une boîte cassée par la CGT qui se retrouve avec 10 % du personnel en SCOP que je préfère appeler autogérée. La moitié du personnel environ travail 1 à 2 semaines dans le trimestre plus trois semaines de maladie et hop il reste inscrit à la sécu, le reste du temps, black. Il faut reprendre simplement les conditions du maintien du régime sécu et roule ma poule ! (Je le constatais dans le livre du personnel… malin le lynx)
ce qui est honteux, ce n’est pas le travail au noir, mais faire travailler quelqu’un sans le payer, ou gagner de l’argent sans rien faire.
le travail au noir, ça devrait etre O – BLI – GA – TOIRE !!!
Si on en croit les chiffres (comment mesure-t-on ce qui est caché?) il semble que l’économie souterraine est faible dans les pays prospères et pratiquant une économie libérale.
L’illusion de la société redistributrice – valeur de gauche, idéal égalitariste – a l’effet pervers que, n’y croyant pas et trouvant cela trop cher, on y échappe par le travail au noir. Tout en réclamant ses « droits », bien entendu!