SMIC : le coup de pouce… pour qui ?

Le débat sur le « coup de pouce » au SMIC revient sur le devant de la scène en France. La hausse est-elle aussi juste que ce qu’elle y paraît ? N’a-t-elle pas des effets pervers annulant ses avantages supposés ?

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SMIC : le coup de pouce… pour qui ?

Publié le 15 juin 2012
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Le débat sur le « coup de pouce » au SMIC revient sur le devant de la scène en France. La hausse est-elle aussi juste que ce qu’elle y paraît ? N’a-t-elle pas des effets pervers annulant ses avantages supposés ?

Par Emmanuel Martin.
Article publié en collaboration avec Unmondelibre.

Le débat sur le « coup de pouce » au SMIC revient sur le devant de la scène en France. Selon un sondage Viavoice-BPCE pour les Échos et France Info du 25 mai, l’augmentation du SMIC représente la première attente pour 39% des Français sondés. Le nouveau président de la République entend respecter sa promesse de campagne qui, selon lui,améliorera le pouvoir d’achat des français. Mais pour la Commission européenne et certains économistes, cette mesure fait débat. Est-elle aussi juste que ce qu’elle y paraît ? N’a-t-elle pas des effets pervers annulant ses avantages supposés ?

Critiques traditionnelles

Les critiques traditionnelles à l’encontre de l’augmentation du SMIC en France, notamment en temps de crise, sont régulièrement rappelées : élévation de la barrière à l’entrée sur le marché du travail pour les jeunes et les non-qualifiés, effet inflationniste (les entreprises de certains secteurs répercutant les hausses de coûts sur les prix), écrasement de la grille des salaires, impact négatif sur les dépenses publiques du fait d’allégements de charges dans les entreprises et des rémunérations plus élevées de fonctionnaires, pas d’effet positif sur le recul de la pauvreté.

L’effet pervers majeur est une destruction d’emplois. Le Centre de recherche en Économie et Statistique rappelle qu’« une augmentation de 1 % du SMIC correspond à une destruction d’environ 1,5 % des emplois situés au salaire minimum, soit de l’ordre de 15.000 à 25.000 postes ». Et ce sont « les petites entreprises qui seront affectées : la proportion de salariés au SMIC y est de l’ordre de 24 % dans les entreprises de moins de 10 salariés, contre 4,5 % dans les grandes. Au moment où les PME sont déjà très fragiles, une hausse du SMIC les fragiliserait encore plus. » (1)

« Déhomogénéiser »

Élaborons sur ce dernier effet pervers, pour lui ajouter une dimension territoriale trop souvent omise et en rappelant que le SMIC français est national et que, à 60% du salaire médian (2) il est en réalité assez élevé. Le niveau de développement économique n’est pas le même partout sur le territoire : certaines zones sont en retard, d’autres extrêmement dynamiques. En dépit des moyens de communications qui « floutent » les frontières physiques, la « taille du marché » pour les entreprises et les branches dans ces différentes zones n’est pas la même. Or, l’on sait au moins depuis Adam Smith que la division du travail (et donc la productivité et les salaires) dépend de la taille du marché.

Concrètement, une petite entreprise des Alpes de Haute-Provence n’aura, typiquement, pas le même « marché » qu’une entreprise à Boulogne-Billancourt. Sa capacité à rentabiliser des embauches au même niveau de SMIC qu’à Boulogne sera ainsi bien plus faible. Il n’y a pas de salaire minimum européen pour cette raison-là : imposons le niveau de SMIC français en Bulgarie demain et c’est la catastrophe à Sofia. Et le développement de la Bulgarie est-il si loin de celui des Alpes de Haute-Provence ? Pourtant il y a le même SMIC à Manosque et à Boulogne. Mais le prix du mètre carré pour un appartement à Manosque est en moyenne de 1884€, contre 7123€ à Boulogne… (3).  L’égalité « nationale » et les politiques nationales de redistribution et d’infrastructures communes nous ont sans doute fait oublier ces faits.

Remettre en cohérence

Il ne s’agit bien sûr pas ici de défendre la baisse globale des salaires, de faire l’apologie d’un monde à la Zola ou une quelconque autre caricature. Il faut sortir de l’idée du « patron richissime » qui exploite ses salariés, et réaliser que pour payer des salaires plus élevés les entrepreneurs, notamment les petits, doivent d’abord créer de la valeur, et que cela dépend fortement du territoire économique où ils sont implantés. Il faut donc mettre en cohérence la capacité des entrepreneurs à payer, largement fonction de leur territoire économique, avec tel niveau de salaire minimum. Autrement, ce sont des régions entières que l’on sacrifie sur l’autel d’une illusoire égalité – et de la démagogie.

Cette remise en cohérence permettrait de redynamiser des régions sinistrées. Le rôle des syndicats serait ici fondamental pour négocier le salaire minimum par branches et territoire économique (surtout en période de transition et de fort chômage durant laquelle leurs services seraient essentiels). Du fait de leur connaissance des contraintes et enjeux locaux ils exerceraient – enfin !– une responsabilité majeure en matière de salaire minimum. Cela supposerait cependant une dénationalisation, aux deux sens du terme, de l’activité de services syndicaux.

Augmenter le pouvoir d’achat

On l’oublie trop souvent : augmenter le pouvoir d’achat peut passer aussi par la baisse des impôts et taxes. Un exemple assez ironique en matière de pouvoir d’achat est d’ailleurs celui du blocage du prix de l’essence qui était prévu par le nouveau gouvernement – avant que les cours du pétrole ne piquent du nez, permettant ainsi une annonce électoraliste n’ayant pas coûté un kopek. Près des deux tiers du prix du carburant représentent des taxes : sur 100€ donc, « en gros » 66€ de taxes. Blâmer les « méchants » pétroliers paraît donc quelque peu culotté puisque nous sommes en présence d’une taxation à 200%, qui, bien sûr, n’apparaît nul part sur les tickets de caisse des pompistes : « l’art de la taxation c’est de plumer l’oie sans qu’elle ne criaille » disait Colbert… Voilà donc une autre notion de « niche fiscale » qu’il s’agirait de réduire un tantinet pour augmenter le pouvoir d’achat des Français.

Mais baisser les impôts, cela signifie engager une réduction sérieuse des dépenses publiques non justifiées par l’intérêt commun de la nation, ou, au grand minimum, celles issues de la mauvaise gestion. Le gouvernement actuel ne semble pas prendre le chemin de ce type de réforme, en dépit de quelques annonces sur le train de vie des ministres et du Président. C’est pourtant une des clés de la remise de la France sur les rails de la croissance de long terme, de l’augmentation des salaires et du pouvoir d’achat.

De son côté, l’éventuel coup de pouce au SMIC profitera à ceux qui le touchent. Il ne profitera certainement pas à ceux que le SMIC empêche de travailler.

Notes :

(1) Les Échos, Entretien avec Francis Kramarz le 13 juin 2012.
(2) OCDE pour 2010 : http://stats.oecd.org/Index.aspx?QueryId=7219 (soit deuxième plus élevé dans l’OCDE après la Turquie).
(3) Chiffres disponibles sur le site immobilier http://www.meilleursagents.com, accédé le 13 juin 2012.


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