La Russie prisonnière du Kremlin

La réélection de Poutine dimanche dernier est le point d’orgue de cette Russie nouvelle, mais qui par certains côtés n’est que la Russie éternelle : sous le joug des tsars, bénie par la religion d’État, liberticide et pauvre.

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La présidentielle française vue au Kremlin (Crédits : Sabine Nourrit/Aleps, tous droits réservés)

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La Russie prisonnière du Kremlin

Publié le 13 mars 2012
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La réélection de Poutine dimanche dernier est le point d’orgue de cette Russie nouvelle, mais qui par certains côtés n’est que la Russie éternelle : sous le joug des tsars, bénie par la religion d’État, liberticide et pauvre.

Par Jacques Garello.
Article publié en collaboration avec l’aleps

Le 31 août 1991, au cœur de notre Université d’Été à Aix, nous avions accueilli les frères Kotchevrine en héros. Une ovation de près de vingt minutes, des larmes et des embrassades : nous fêtions comme il convenait ces jeunes révolutionnaires de la liberté, acteurs et témoins de la chute du Parti Communiste de l’Union Soviétique. Ils arrivaient directement de Moscou, l’avant-veille ils étaient aux côtés d’Eltsine sur les chars de l’Armée Rouge. Les militaires s’étaient ralliés au Président de l’URSS après avoir été embrigadés dans une tentative de putsch menée par les durs du Parti Communiste. Eltsine venait de prononcer la dissolution du PCUS.

Cette victoire a été de courte durée. La situation économique et politique de la Russie n’a cessé de se détériorer et, symbole de la rupture, le 31 janvier 1999 Eltsine faisait choix d’un nouveau Premier Ministre : Vladimir Poutine.

Poutine va réussir là où les putschistes avaient échoué : remettre en place le système dictatorial que la jeunesse russe avait naguère anéanti, mais aussi remettre en selle une nomenklatura plus puissante, plus riche, plus ouvertement arrogante que celle des apparatchiks soviétiques.

La réélection de Poutine dimanche dernier est le point d’orgue de cette Russie nouvelle, mais qui par certains côtés n’est que la Russie éternelle : sous le joug des tsars, bénie par la religion d’État, liberticide et pauvre.

Car la Russie est pauvre. C’est l’Espagne du XVIème siècle. Cette Espagne croulait sous les richesses naturelles, avec un stock impressionnant de métaux précieux, non par sa production, mais par ses armées qui ramenaient or et argent du Nouveau Monde. Mais le peuple espagnol mourait de fin, l’inflation traduisait le fait qu’il y avait beaucoup de monnaie, mais rien à acheter. Le mercantilisme avait interdit tout commerce extérieur, de peur de voir l’or et l’argent sortir des frontières. Les Espagnols croyaient que les métaux précieux apportaient le pouvoir et la richesse. Ils n’ont apporté que la misère. Mais le pouvoir a survécu pendant deux siècles, avant de s’effondrer sous la pression combinée du commerce et de la liberté.

Aujourd’hui, l’or et l’argent s’appellent pétrole et gaz. Et la Russie, comme un pays du tiers monde, ne peut exporter que des matières premières. Il n’y a plus d’activité industrielle, plus de construction, plus d’agriculture même dans certaines régions. Demeure l’insolente puissance de Gazprom, de ces quelques milliardaires qui ont fait leurs profits non pas à partir d’entreprises au service d’un marché, mais à partir de leur appartenance à la mafia en place.

Au lieu de s’être libéré des chaînes du communisme, le peuple russe s’est retrouvé prisonnier du Kremlin. L’obsession du pouvoir a envahi à nouveau la Russie. Elle explique la diplomatie russe, et son soutien sans faille au régime syrien. Elle explique le chantage au gaz fait sur les pays européens. Les dirigeants de Moscou veulent reconstituer l’empire, et se poser en puissance mondiale capable de défier le reste du monde. L’obsession ira-t-elle jusqu’à l’aveuglement ? Le verrou turc ayant sauté, combien de temps la Georgie et les États voisins pourront-ils résister ? Les États baltes eux-mêmes sont menacés. On peut tout craindre d’un tsar qui doit administrer la preuve de la puissance politique de son pays pour mieux en masquer l’effondrement économique.

Le Kremlin, le pouvoir : voilà la force dramatique qui brise les peuples et sème les guerres.

Par contraste, c’est en se libérant de l’obsession du pouvoir que la civilisation a pu progresser. L’Europe a ouvert l’ère du développement en laissant s’exprimer le marchand, l’entrepreneur, le banquier. Elle a rechuté au XXème siècle quand la politique et l’idéologie ont repris le dessus, avec deux guerres mondiales, des dizaines de guerres locales, et trois régimes totalitaires majeurs. Malgré tout, la mondialisation a produit ses effets, et les ennemis d’hier sont peu à peu entrés dans le cercle vertueux de l’échange et de la paix.

La société de puissance irait-elle à nouveau éliminer la société de confiance ? Depuis un certain 11 septembre 2001, elle la menace en tous cas.

Pour nous Français, ces faits sont matière à réflexion. Parmi les grands pays, la France est encore, avec la Russie et quelques autres, un de ceux où la politique pèse le plus lourd, tandis que l’entrepreneur, le marchand et le financier, sont souvent attaqués et méprisés.

Par chance, nous n’avons pas de tsar. L’Élysée n’est pas le Kremlin. Mais nous demeurons cependant prisonniers de la politique. Elle envahit la vie quotidienne ; dans l’économie, dans les rapports sociaux, dans l’éducation, la culture, voire la justice. Pourtant quel triste spectacle et quelle médiocrité nous offrent actuellement les affrontements partisans !

La Russie vient de se donner un tsar. Nous n’en avons pas les moyens. Mais puissions-nous un jour nous débarrasser de la politique, de l’obsession du pouvoir et de la société de puissance, pour retourner à notre économie de libertés, à l’harmonie sociale et à la société de confiance !

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  • Ron Paul se charge de défoncer les politiciens aux usa tout en pronant la liberté/responsabilité qui a fait la richesse et la puissance de ce beau pays.

  • « La réélection de Poutine dimanche dernier est le point d’orgue de cette Russie nouvelle, mais qui par certains côtés n’est que la Russie éternelle : sous le joug des tsars, bénie par la religion d’État, liberticide et pauvre. »

    Affirmation à l’emporte pièce ! Oui, la Russie a souffert du joug de certains tsars fous et/ou irresponsables, mais il ne faut pas oublier les progrès accomplis par d’autres tsars qui se sont battu contre les hiérarchies religieuses et qui ont essayé d’occidentaliser et de développer leur pays :
    – Pierre le Grand a certainement adopté des méthodes brutales, mais il a laissé un pays plus tourné vers l’Europe et moins arriéré. Idem pour Catherine II.
    – Alexandre II a aboli le servage (de façon plus intelligente et pragmatique que les européens dogmatiques ont aboli l’esclavage), a mis son pays sur les rails de l’industrialisation, développé l’enseignement, etc.

    – La Russie des années 1860-1917 a produit de grands musiciens, écrivains, peintres, architectes, etc. Les bolchéviques ont laminé presque toute l’élite intellectuelle du pays.

    Comparer la Russie à la France ou à l’Espagne n’a pas de sens (sauf rhétorique) compte tenu de la diversité de peuples, de la dimension de la Russie, de son histoire et aussi de sa situation géographique entre l’Europe et l’Asie.

    Il ne s’agit pas de soutenir Poutine à 100%, mais il serait irréaliste de prétendre qu’un pays que n’a jamais connu de système politique parlementaire libre (sauf pendant quelques mois avant la prise du pouvoir par les bolchéviques) puisse passer du jour au lendemain au modèle occidental sans tomber dans l’anarchie et l’éclatement territorial. Peut-être qu’une évolution lente est préférable, d’autant plus que la plupart des russes actuels ont été gavés dès leur jeune âge aux « bienfaits » du socialisme et à leur condition d’assistés et de servage vis-à-vis de l’Etat tout puissant : il serait illusoire de vouloir aussi changer les mentalités à court terme.

    • A l’aune de
      « de la diversité de peuples, de la dimension [], de son histoire et aussi de sa situation géographique entre l’Europe et [le reste du monde] », et plus encore de sa dépendance aux matières précieuses (or et argent hier, gaz et pétrole aujourd’hui) et de sa politique de puissance, la comparaison de la Russie avec l’Espagne est au contraire assez évidente. C’est la malédiction des ressources minières, et plus généralement des ressources économiques, lorsqu’elle sont centralisés dans les mains du pouvoir ; aucune démocratie, aucune république ne peut tenir

  • Oui, avec un taux de chômage national à 6%, un salaire moyen en hausse continue (dépassant le Smic français en ce qui concerne le salaire moyen moscovite), avec l’émergence dune classe moyenne, une dette publique si faible qu’elle ferait pâlir n’importe quel oligarque européen, et une inflation en baisse continue, la Russie est de plus en plus pauvre, c’est clair.
    En fait, Garello ne l’a pas dit, mais les Russes mangent des cailloux tous les jours, et le dimanche, ils mangent les enfants s’ils en ont (l’alcool a rendu tous les hommes impuissants). Poutine a des esclaves qu’il torture lui-même, tous les Russes portent des chaînes et les conditions de vie au Goulag sont évoquées avec nostalgie comme une période de faste.
    L’obsession anti-Russe de Contrepoints me fait penser à ces banquiers new-yorkais du début du XXe siècle (Warburg, Schiff et autres) qui détestaient tellement la Russie qu’ils finançaient en sous-main les mouvements révolutionnaires.

  • Pour ceux qui ne sont pas satisfaits par les affirmations débiles lancées sans preuves du genre « Car la Russie est pauvre. C’est l’Espagne du XVIème siècle » (sic, c’est tellement nul qu’on dirait du Rue89, qui reprend le même genre de clichés russophobes), il y a le blog dAlexandre Latsa d’http://www.alexandrelatsa.ru/
    Il passe son temps à démonter le genre de clichés médiatiques qu’on peut lire ici sans arrêt.
    Prenez-en de la graine, propagandistes du dimanche.

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