Être un bon intellectuel à Cuba

Le bon intellectuel conserve dans quelque tiroir cette chanson qu’il a composée avec ses tripes, ce poème où il se mettait à nu, ou cette bouche en forme de cri qu’il avait dessinée un jour

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Être un bon intellectuel à Cuba

Publié le 18 février 2012
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Le bon intellectuel conserve dans quelque tiroir cette chanson qu’il a composée avec ses tripes, ce poème où il se mettait à nu, ou cette bouche en forme de cri qu’il avait dessinée un jour.

Par Yoani Sánchez, depuis La Havane, Cuba

Perdu dans la métaphore, le bon intellectuel évite d’approcher la réalité pour la bonne raison que l’universel rendra son œuvre plus transcendante que le particulier. Il cache dans quelque paysage symbolique du scenario de sa pièce, dans la parabole d’un vers ou dans la petite figure à peine visible dans un coin de sa toile, cette dose de critique qui lui permettra ensuite de se vanter d’être celui qui « ne s’est jamais tu ». Il est conscient des effets corrosifs de  la censure, de la simulation et de la peur sur son travail, mais il s’irrite si on le lui rappelle. « Qu’est-ce que tu crois ? Que je vais aller travailler dans le bâtiment ? » lance-t-il à celui qui critique ses trop nombreuses concessions. Il préfère l’érotique au politique, le passé au présent, recréer les classiques plutôt que ses contemporains. Il a figuré sur les listes noires et  les listes grises, mais aujourd’hui on lui rend hommage et on lui remet des médailles. Il accède à internet de chez lui et il y a quelques années il a bénéficié d’un week-end, tous frais payés dans un hôtel de Varadero.

Le bon intellectuel fait la queue au Bureau des Intérêts des États-Unis dans l’attente d’un visa, mais ce jour-là il porte des lunettes de soleil et un chapeau pour que personne ne le reconnaisse. Il donne des conférences et fait la tournée des universités de « l’Empire », tout en essayant de moduler son discours entre ici et là-bas, il ne faudrait pas qu’il paraisse dépassé à un endroit ou trop libéral à un autre. Lorsque des délégations étrangères sont en visite il aime se trouver à proximité, inviter chez lui un visiteur, l’émouvoir un peu pour que celui-ci lui envoie une invitation quelque part dans le monde… parce qu’en fin de compte « on ne vit pas ici ». Il a une antenne parabolique bien cachée au dernier étage mais quand il parle avec ses collègues il fait comme s’il avait vu le journal télévisé national d’hier soir ou la table ronde de mardi dernier. Un ami lui passe une copie de ces pages interdites qu’il n’oserait jamais charger sur son propre ordinateur.

Le bon intellectuel attend très patiemment la réponse à sa demande de permis de sortie et quand il revient il se tient bien à nouveau pour qu’on lui autorise le prochain voyage. Il lui semble que toute forme d’activisme ou de positionnement politique évident est bonne pour ceux qui n’ont pas le talent de sa plume ou de son pinceau. Il regarde par-dessus son épaule ceux qui se déploient en discussions sur les « réformes », les « changements » ou autres broutilles passagères. Mais quand il a bu quelques verres il se demande s’il a atteint ces sommets artistiques à cause de son véritable talent ou à cause de l’exil massif de ceux qui auraient pu être ses concurrents. Il conserve dans quelque tiroir cette chanson qu’il a composée avec ses tripes, ce poème où il se mettait à nu, ou cette bouche en forme de cri qu’il avait dessinée un jour. Parce qu’un bon intellectuel ne se décompose jamais, ne s’enrôle jamais dans des passions sociales, ne se laisse jamais traîner dans la rue.

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Traduction : Jean-Claude Marouby

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