De la germanophobie à la phobie de la responsabilité

Si les Allemands ont des « principes », c’est parce qu’ils reviennent de loin justement

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
imgscan contrepoints433

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

De la germanophobie à la phobie de la responsabilité

Publié le 6 décembre 2011
- A +

Dans son discours de Toulon, Nicolas Sarkozy a eu une petite pique à l’égard de la démocratie bavarde des Allemands. Mais si ceux-ci ont des « principes », c’est parce qu’ils reviennent de loin.

Par Emmanuel Martin
Article publié en collaboration avec UnMondeLibre

Angela Merkel s’est pour le moment montrée inflexible sur la monétisation des dettes souveraines de l’Euroland par la BCE, ainsi que sur la création d’eurobonds. Elle a par ailleurs proposé une solidarité sous conditions à l’égard des pays-cigales. En France ce discours est très mal perçu par une bonne partie de l’intelligentsia, des politiques et des médias. Et pourtant…

 

Casques à pointe

Fin novembre, c’était le député socialiste Jean-Marie Le Guen qui comparait Nicolas Sarkozy à Édouard Daladier allant négocier avec Hitler à Munich en 1938.

Le 1er décembre, Arnaud de Montebourg comparait madame Merkel à Bismark en matière de politique européenne.

Le 2 décembre, les Guignols de l’info dépeignaient le discours de Toulon comme celui de… la chancelière allemande lançant aux Français un « Arbeit ! » à une tribune ornée des faisceaux de verges entourant la hache, symbole du fascisme. Casques à pointe, fascisme, « Arbeit (macht frei) », toutes ces références au passé souvent peu glorieux de l’Allemagne sont en réalité du plus mauvais goût.

D’abord, les Français sont sans doute fiers de leur modèle, mais force est de constater qu’il est un tantinet moins efficace que le modèle allemand. Bien sûr notre niveau d’endettement public est sensiblement le même. Mais il y a ceux, outre-Rhin, qui s’endettent pour construire l’avenir – en tâchant de réparer le passé (avec la réunification) – et ceux, nous, qui s’endettent pour consommer sur le dos des générations à venir. Il y a ceux qui ont une économie florissante, moteur de technologies exportatrices, et il y a nous, avec nos Rafales par exemple. Il y a ceux, outre-Rhin, qui ont 47 % du PIB en dépenses publiques (et qui ne paient pas de péages autoroutiers) et il y a nous, avec 56 % – pour faire quoi ? Comme nous le rappelait Coluche, si les Français ont choisi le coq comme emblème, c’est sans doute parce que c’est le seul animal à chanter les pieds dans la m…

Principes ou pragmatisme ?

Si les Allemands ont des « principes », c’est parce qu’ils reviennent de loin justement, – de loin quand on s’aventure sur la route du « pragmatisme » et du rejet de toute « satanée orthodoxie ».

Dans son discours de Toulon, M. Sarkozy a eu cette petite pique à l’égard de la démocratie bavarde, pour venter le modèle « dirigiste » des institutions françaises paraît-il supérieur en cas de crise : ne pas s’embarrasser de démocratie ! Oui, Angela Merkel, elle, est redevable devant un Parlement. Suprême obstacle à la volonté du politique pour un homme d’État français. Mais en Allemagne, le nazisme est passé par là. Et par ailleurs, quand il s’agit de distribuer l’argent du contribuable, il paraît utile et juste aux Allemands que la démocratie ait son mot à dire. Dans la France dirigiste, ce réflexe est nettement moins automatique, puisque le contribuable y est considéré comme un vache à lait qui n’a pas son mot à dire sur l’évolution et la structure de la dépense publique. Depuis Colbert, on y sait que « l’art est de plumer l’oie sans qu’elle criaille ».

On pourra bien sûr reprocher à l’Allemagne d’être justement anti-démocratique lorsqu’il s’agit de laisser décider les Grecs de leur avenir. À ceci près, que les Allemands ont mis la main au porte- monnaie avant pour la soi-disant « solidarité » (au passage cet épisode permet de saisir à quel point le mot a totalement perdu sons sens profond dans le discours politique aujourd’hui : il signifie désormais « assistance aux irresponsables »). À ceci près encore que la volonté soudainement démocratique de référendum de M. Papandréou est intervenue après un an et demi de sauvetages… D’ailleurs, de ce point de vue, si les Allemands demandent un contrôle européen des budgets nationaux, ce n’est pas « contre la démocratie », c’est aussi pour éviter ce qui s’est exactement passé en Grèce ou en Italie : lorsque les politiciens locaux décident avec l’argent des autres, ils ont curieusement tendance a être davantage laxistes. Il est quand même difficile de prétendre vouloir le beurre et l’argent du beurre. Cette mesure de contrôle budgétaire ex ante peut même alors paraître comme une saine mesure d’encadrement constitutionnel de la démocratie, dans le contexte de cette redistribution intra-européenne. Un garde-fou constitutionnel, ce n’est pas du « dirigisme ».

En matière monétaire, idem. Les Allemands ont connu Weimar et l’hyper-inflation. Là encore, ils ont appris. Hyper-inflation = montée du nazisme = Deuxième Guerre mondiale. On l’a sans doute oublié de ce côté-ci du Rhin. Ainsi, pour eux, la monnaie a une dimension essentielle : on ne peut pas la manipuler sans en subir les conséquences. En France, toujours dans la tradition dirigiste, la monnaie est vue comme un instrument du pouvoir, une illustration du fait que la politique serait « l’art du possible ». D’où l’incompréhension française devant le soi-disant « diktat » allemand en matière monétaire.

Au-delà de la germanophobie, c’est bien la phobie d’un discours de responsabilité dont souffre la France. Il faut dire qu’avec des intellectuels (?) du niveau d’un Emmanuel Todd qui préconise tout bonnement d’effacer l’ardoise de notre dette (c’est si facile ! Y’a qu’à !), ou des politiciens comme M. Sarkozy dont le pragmatisme le mène à dire tout et son contraire, les Français ont du mal à trouver de l’inspiration du côté des idées de la responsabilité…

—-
Sur le web

Voir les commentaires (8)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (8)
  • C’est bien résumé. C’est à regretter que l’Allemagne soit encore dans l’euro, non pas que je sois germanophobe, mais nos hommes politiques n’auraient alors plus de boucs émissaires. Ils n’auraient plus qu’à s’en prendre aux martiens!

  • d’accord à 100% avec cet article très bien écrit

  • Super article, merci.

    Juste une chose, je ne parlerais pas du « pragmatisme » de Sarkozy qui le mène à dire tout et son contraire, mais plutôt de sa démagogie.
    Et ils sont tous comme lui malheureusement…
    Personnellement, avec notre classe politique actuelle au pouvoir, je ne vois aucunement comment on pourrait sortir de l’impasse sans un cataclysme majeur…

  • J’ai l’impression, avec ces déclarations, qu’on nage dans un point Godwin géant. Voilà, on peut être rassurés quant à la compétence de nos politiciens, tout va bien…

  • Excellent article qui remet les choses à leur place. Mais pourquoi toujours citer le Rafale, excellent avion rendu beaucoup trop cher par l’allongement démesuré des programmes en raison d’une politique à courte vue; la même politique qui nous a empêché d’avoir deux porte-avions pour le prix d’un seul.

  • Disons, de l’extême pragmatisme (par opposition à la pensée « de principes »). C’est toute l’architecture de notre démocratie dysfonctionnelle qui fait que la réforme est presque impossible (voir un autre article http://www.unmondelibre.org/Martin_democratie_Dysfonctionnelle_081111).

  • SKZ rampe devant Berlin, qui sait bien que son premier désir, violent, est d’être réélu. …SKZ , sachant parfaitement que Berlin a un pouvoir d’influence suffisant pour le faire tomber. C’est ce qui s’appelle être tenu …en laisse. On comprend que, dans ces conditions, les intérêts de l’Allemagne passent avant ceux de la France. Quelle importance, si l’on pense « après moi, le déluge ! »
    On commence à critiquer François Bayrou, c’est bon signe. Lui n’embrassera pas Merkel et fait lui-même ses discours. Il est dénué de toute vulgarité. Les Français en seront fiers.

  • >> En réalité Mr Juppé se trompe; il ne s’agit pas de germanophobie, mais d’ostracisme allemand envers tous ceux qui ne se laissent pas asservir au Droit des Allemands. L’amitié franco-allemande est une ILLUSION. Elle est la main tendue unilatéralement de la France à l’Allemagne. Cette dernière a su parfaitement l’exploiter à son seul profit.
    https://www.facebook.com/note.php?note_id=10150398673162021

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
5
Sauvegarder cet article

Le principe de la démocratie est de déterminer une majorité pour gouverner un pays dans l’intérêt commun présent et futur. Aucun système n’étant parfait, les différentes manipulations électorales ont abouti en ce mois de juillet 2024 à un blocage gouvernemental depuis longtemps oublié.

 

Du mensonge à l’irresponsabilité

En se plaçant au-delà des partis et des idéologies, on peut tenter d’en expliquer les causes. La motivation principale des candidats et des élus est leur élection ou leur réélection. Il leur est donc primord... Poursuivre la lecture

4
Sauvegarder cet article

Le droit des étrangers immigrés s’est construit depuis cinquante ans à l’abri du regard des peuples. Les gouvernants se sont totalement coupés de la population sur ce sujet.

 

La campagne pour les élections législatives de 2024 en France est un reflet saisissant du fossé qui sépare l’élite dirigeante de la population. La question migratoire révèle tout particulièrement cette rupture. Elle n’est pas la seule, mais le sujet est si émotionnel qu’il joue un rôle important dans le rejet de la classe politique par les citoyens.Poursuivre la lecture

4
Sauvegarder cet article

C’est bien connu, à force de jouer aux apprentis-sorciers, on risque bien d’agir fort imprudemment, au point de se trouver vite dépassé par des événements qu’on n’avait su anticiper. Les péripéties récentes, et celles peut-être à venir – ne le souhaitons pas – pourraient bien donner raison à cet adage.

 

Les dangers de la tambouille politique

Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Macron, nous assistons, médusés, à une surenchère, comme nous ne l’avions jamais vue, de compromis ou compromissions, tr... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles